Que s'est-il passé au cours du test des ECNi ?
Philippe Touzy : Au cours des deux premières journées, nous avons rencontré des problèmes différents. Lundi, nous avons eu affaire très vite à une saturation des serveurs, malgré des tests préalables réalisés sur des robots. Cela nous a étonnés.
Jean-Pierre Gondran : Nous avions effectué ces tests pour 10.000 étudiants. Cela passait. Mais robots et étudiants n'ont pas les mêmes comportements... Nous avons donc multiplié les serveurs pour le lendemain. Mardi, les candidats ont pu composer plus longtemps, mais le système est de nouveau tombé en rideau.
En réalité, ce n'est pas la machine, mais une faille liée à la conception de l'application elle-même – précisément un sous-programme utilisé pour la correction des épreuves – qui s'est révélée responsable du problème. Quand un étudiant soumettait une réponse, le système analysait les réponses de tous les autres. Cette option était inutile au moment des épreuves et faisait que les serveurs se saturaient d'eux-mêmes. Ce problème a été résolu dans la nuit de mardi à mercredi. Dès lors, tout s'est déroulé normalement ou presque. Cela nous a apporté une certaine satisfaction et une sérénité supplémentaire : nous avions la preuve que l'architecture fonctionnait.
Les étudiants, ainsi que la CPU (Conférence des présidents d'université), ont vivement critiqué la façon dont avait été mené ce test, mais aussi votre communication. Comment reconquérir leur confiance ?
Philippe Touzy : On nous a effectivement reproché d'être trop optimistes... Nous savions qu'il y aurait des problèmes, mais peut-être moins. Nous comprenons que les étudiants soient inquiets, déçus, agacés. Ils voyaient cela comme des épreuves blanches et non comme des tests. Nous n'avons cessé de dire que si ceux-ci permettaient d'évaluer, c'était très bien, mais nous ne nous étions pas engagés en ce sens.
Aujourd'hui, nous sommes dans le recensement des bugs. Nous allons réaliser des essais complémentaires dans les facultés pour que le prochain test des ECNi, en mars 2016, soit plus fluide. Je me souviens que le CNG a également essuyé des critiques sévères en 2011, au moment de la mise en place de la procédure de choix [des postes d'internes, à la place de "l'amphi de garnison"] informatisée. Pour reconquérir la confiance des uns et des autres, on leur dit que l'on ne peut travailler sans eux.
Jean-Pierre Gondran : Nous avons prévu une réunion le 18 décembre avec les équipes des facultés et les étudiants pour avoir leur retour d'expérience. Puis, nous présenterons nos pistes d'amélioration sur l'application au jury national et au conseil scientifique le 13 janvier.
L'important était de mettre en place la rupture numérique du dispositif. On pourra améliorer le reste ensuite.
Comment pouvez-vous garantir la sécurité des épreuves ?
Jean-Pierre Gondran : De ce point de vue, le système fonctionne. Tous les sujets qui se retrouvent dans les tablettes des étudiants sont cryptés par le conseil scientifique. Seul le président du jury peut desceller le dispositif. En revanche, il faudrait porter une amélioration sur les tablettes et davantage les verrouiller que lors de ce premier test. Un gros travail de labellisation des centres d'examen et des outils a été réalisé par le prestataire Solucom, une société experte en sécurité des systèmes d'information.
Avez-vous prévu un plan B pour juin, au cas où ?
Jean-Pierre Gondran : On a imaginé toutes les hypothèses, y compris la solution papier, la dernière possible. Les plans B posent problème. On fait tout ce travail pour les étudiants, qui se préparent depuis deux ans sur tablette. On a du mal à imaginer devoir faire marche arrière. Je pense qu'ils seraient vraiment mécontents... Mais nous sommes optimistes. Nous avons montré que nous pouvions rectifier le tir en 48 heures.
La forme des ECNi est critiquée. Leur fond l'est aussi. À quand les vidéos, les sons, les questions à réponses ouvertes à la place des simples QCM ?
Philippe Touzy : Le CNG ne peut pas porter toutes les responsabilités ! Les sujets sont conçus par le ministère de l'Enseignement supérieur et le conseil scientifique. Côté technique, il faut savoir que nous avions peu de marge de manœuvre : 18 mois pour être prêts en juin 2016. Il n'était pas prévu de mettre en place autre chose que des QCM, surtout pour les tests. Des progrès dans les épreuves ont déjà été réalisés grâce aux dossiers cliniques progressifs.
Jean-Pierre Gondran : L'important était de mettre en place la rupture numérique du dispositif. On pourra améliorer le reste ensuite.
Combien aura finalement coûté ce test des ECNi ?
Philippe Touzy : Le test aura coûté environ un million d'euros. Une équipe de cinq à dix personnes a suivi l'opération cette semaine, à laquelle il faut ajouter sept personnes, membres du jury national et du conseil scientifique. Mais, en temps normal, un seul agent du CNG s'occupe de gérer le concours. Aucun moyen supplémentaire n'a été accordé pour le projet ECNi.
Ils se sont surnommés la "promo crash test" et ont délivré leurs messages de dépit toute la semaine sur les réseaux sociaux. Les étudiants en sixième année de médecine gardent un goût amer de ce premier test des ECNi. Dans un communiqué envoyé le 9 décembre 2015, l'ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France), déclare : "les promesses grandiloquentes répétées à l'envi depuis bientôt deux ans n'ont pas suffi : faute d'un investissement financier et humain à la hauteur de l'enjeu, les premières épreuves tests des ECNi ont tourné au fiasco".
Et pose un ultimatum aux ministres Marisol Touraine et Thierry Mandon : "Elle [l'ANEMF] exige qu'une enveloppe budgétaire d'urgence soit libérée pour renforcer les équipes techniques du CNG et garantir la qualité de la plateforme d'examen". Sans quoi "les étudiants en médecine se tiennent prêts à la mobilisation".