Qu'est-ce qui vous a poussé à produire avec Dima Shepelyansky, de l'université Paul-Sabatier de Toulouse, un classement Wikipédia des universités ?
Dima Shepelyansky comme moi-même sommes des physiciens théoriciens, intéressés par les systèmes complexes, qu'ils soient naturels ou artificiels. Les open data en font partie, et nous avons souhaité comprendre leur dynamique.
Dima Shepelyansky s'est penché le premier sur Wikipédia, pour faire un classement des personnalités les plus citées. Wikipédia est un champ d'investigation particulièrement intéressant, car il reflète tous les aspects de l'humanité.
J'ai suivi cette recherche, et l'idée est venue ensuite naturellement de nous attaquer aux classements universitaires, comme prisme fécond pour sonder ce système. Il s'agit d'une étude scientifique, qui a consisté à repérer les établissements universitaires occupant les places les plus importantes dans le réseau Wikipédia.
Comment avez-vous procédé ?
Il faut regarder Wikipédia comme un réseau complexe : ses pages sont les nœuds du réseau, et les relations entre les différents nœuds sont les hyperliens permettant à un utilisateur de sauter d'une page Wikipédia à une autre. Wikipédia possède plus de 17 millions de nœuds !
Grâce à un algorithme, qui est à la base de Google d'ailleurs, nous avons repéré les pages les plus "importantes" sur les différentes éditions linguistiques de Wikipédia, c'est-à-dire les pages les plus visitées et vers lesquelles des pages très visitées elles-mêmes dirigent l'utilisateur par des liens. Nous avons obtenu le classement des pages les plus importantes de Wikipédia dans les différentes éditions.
Nous avons ensuite extrait de ce classement les pages consacrées aux universités. Pour chacune des 24 éditions linguistiques de Wikipédia que nous avons retenues, nous avons obtenu le classement des universités les plus importantes selon Wikipédia. Finalement, on a interclassé ces 24 classements pour obtenir un classement mondial des universités qui recoupe à 60% le top 100 du classement de Shanghai, et à 90% le top 10 !
Que peut-on en conclure ?
Que l'algorithme produit un résultat conforme à la réalité, qui a du sens ! Alors même qu'aucun établissement n'a été présélectionné, comme le fait le classement de Shanghai, par exemple. L'intérêt pour nous est d'abord scientifique, ce travail pourrait être utilisé sur d'autres sujets. Mais ce qui est particulièrement intéressant par ailleurs, c'est de constater à quel point Wikipédia reflète notre époque : le réseau intègre le poids historique, social et régional des établissements, l'excellence de leurs chercheurs, mais aussi l'opinion des étudiants sur les établissements.
Notre classement n'est pas comptable, il se contente d'observer ce que produit Wikipédia, comme si on secouait un sac et qu'on observait ce qu'il en sortait ! De même, notre classement ne favorise a priori aucun mode d'organisation de la recherche, toutes les éditions linguistiques sont traitées avec équité : les différentes cultures attachées aux différentes langues sont traitées sur un pied d'égalité.
L'algorithme produit un résultat conforme à la réalité.
Quid des universités françaises dans votre classement ?
Elles ne sont pas forcément avantagées par ce classement par rapport à celui de Shanghai. Cela reflète leur manque de dynamisme dans Wikipedia : elles ne suscitent pas un grand intérêt parmi la population susceptible de contribuer à Wikipédia.
Si on regarde les universités françaises, bon nombre d'entre elles n'apparaissent même pas dans toutes les éditions linguistiques les plus importantes (celles que nous avons utilisées). Cela veut dire que leurs étudiants, étrangers notamment, ne sont pas des relais pour communiquer sur leur université via Wikipédia.
En règle générale, les universités françaises sont assez en retard en matière de communication sur la Toile si on compare aux universités anglo-saxonnes, alors que Wikipédia constitue un formidable outil de promotion. À ce titre, il est intéressant d'observer, en regardant les onglets "discussion" de Wikipédia, à quel point les pages de certaines universités américaines font l'objet d'un activisme important dans les mises à jour.
Quel retentissement a eu votre classement ? Comment comprenez-vous l'écho qu'il suscite ?
Notre étude, qui a été acceptée par l'European Physical Journal, a donné lieu à pas moins de 100 articles sur la Toile, et les retours que nous avons eus sont généralement très positifs. Notre classement intéresse les établissements, les journalistes, et aussi plus généralement les personnes connectées. L'enjeu pour nous serait de le pérenniser, afin de l'actualiser et d'en faire un outil pertinent dans le temps.
Classements : nouvelle donne, nouvelles stratégies
Le vendredi 1er avril 2016, EducPros organise une conférence sur les classements. Avec une question phare : "Comment valoriser vos atouts et répondre aux critères ?" José Lages y interviendra.