Vous avez été nommée rectrice de Rouen le 3 janvier 2013. Quelles sont les spécificités de votre académie ?
Nous sommes dans une région où les gens bougent peu, ont envie de se former et de trouver un emploi sur place. La voie professionnelle occupe ici une place importante. Près d’un tiers des lycéens y sont scolarisés et la première chose qui m’a intriguée à mon arrivée dans l’académie était la baisse des taux de réussite aux bacs pros entre 2011 et 2012. Nous sommes bien en deçà du niveau national, alors que l’académie est en constante amélioration d’année en année du côté des taux de réussite des bacs généraux et technologiques.
Globalement, l’académie n’est ni bonne, ni mauvaise, mais 68,3% de bacheliers poursuivent dans le supérieur, alors que la moyenne nationale est de 74,6%. Le manque d’ambition est très lié au manque de mobilité des jeunes. Les gens de Rouen ont l’université à côté, mais cela se complique dès que l’on s’éloigne de 30 kilomètres.
Comment pensez-vous pouvoir inciter les jeunes à être plus mobiles ?
Notre but n’est pas de garder tous les étudiants dans l’académie, mais de les accompagner au mieux pour qu’ils puissent s’orienter vers des carrières qui correspondent à leurs possibilités. Une partie de ceux qui poursuivent leurs études vont à Paris. Il faut ouvrir les horizons et inciter la mobilité des jeunes avec des actions concrètes. Le futur projet académique le prévoira, en s’appuyant notamment sur les dispositifs européens, une mise en réseau des acteurs et une meilleure information. Il faut partir des endroits où il se passe déjà des choses. On pourra avancer et donner envie, par l’exemple, en faisant savoir que certains lycées sont déjà dans cette démarche.
Qu’allez-vous mettre en œuvre pour susciter davantage d’ambition en terme de poursuite d’études ?
Il y a un vrai travail à mener sur ce que l’on appelle le "bac-3/bac+3". C’est l’une des priorités des deux ministres, de l’Education et de l’Enseignement supérieur. Cette question doit être travaillée conjointement par les collègues de supérieur et des lycées. Il faut rassurer les jeunes qui vont dans le sup’ sur le fait que les gens qui les formeront savent où ils en sont.
La commission de suivi lycée/enseignement supérieur va être remusclée. Jusque-là, les participants partageaient de l’information une fois par an. Il faut être plus proactif, donner plus d’ambition au groupe, et faire en sorte que proviseurs et acteurs du supérieur se réunissent plus souvent. On devrait en sentir l’impact en 2014. D’ores et déjà, les acteurs du supérieur et de l’enseignement secondaire commencent à bien se connaitre car ils se sont rencontrés à l’occasion du travail sur la mise en place des ESPÉ (Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation).
Comment le travail sur l'ESPÉ (Ecole supérieure du professorat et de l'éducation) de l'académie s’est-il passé ?
L’ensemble du dossier a été mené de manière partenariale entre l’enseignement secondaire et supérieur. Des binômes ont avancé ensemble au sein de chaque groupe de travail. Par rapport à Lyon - St Etienne, que je connais bien pour y avoir occupé la fonction de DSR (directeur scientifique référent) au CNRS (Centre national de recherche scientifique) et où le contexte du supérieur est complexe, le paysage est simplifié en Normandie. Par conséquent, lorsque nous avons mis en place la formation des enseignants, nous avons pu nous attaquer tout de suite au fond du dossier, et, notamment à la question de la place du disciplinaire et de la pédagogie.
L’université de Rouen va porter l’ESPÉ. Le Havre, qui a d’autres priorités dans la gestion de son université, n’était pas candidate, mais y est associée. Il y a aussi des interactions avec la Basse-Normandie et nous allons travailler sur une formation mutualisée entre Caen et Rouen.
En dehors du travail sur le "bac-3/bac+3", quel sera votre chantier prioritaire dans les mois qui viennent ?
En lien avec la région, très impliquée sur ce point là, nous voulons associer les chefs d’établissements et également certains confrères de l’académie des technologies à un travail de fond sur les filières et formations professionnelles. L’idée n’est pas de travailler uniquement sur les prévisions de fermetures et d’ouvertures de formations, mais sur un schéma et une organisation qui prennent un peu de hauteur. Il faut veiller à adapter les formations de la population de notre région à l’évolution des secteurs et des métiers dans les différents bassins économiques.
Dans l’année à venir, les chefs d’établissements seront davantage associés aux évolutions des formations, ce qui leur permettra également de mieux comprendre les raisons de la fermeture de telle ou telle filière professionnelle. Ils vont être formés spécifiquement sur certaines filières, en lien avec les acteurs économiques et pourront donc informer plus facilement les élèves sur les futurs métiers et leur avenir. C’est un moyen de dynamiser la relation éducation/entreprise et c’est également très important car la masse des décrocheurs se trouve principalement en filière pro. Certains élèves arrêtent de venir en cours peu de temps après la rentrée parce que la perspective professionnelle n’est pas à la hauteur de leurs attentes ou qu’ils n’ont pas vraiment choisi leur voie.
Qu’aimeriez-vous avoir accompli lorsque vous quitterez la tête de l’académie de Rouen ?
J’aimerais avoir pu ouvrir autant que possible l’Education nationale sur les partenariats avec les mondes économique et artistique notamment, afin de générer davantage de mobilité et d’ambition chez les jeunes. Par ailleurs, j’en ai peu parlé ici, parce qu’il y a déjà un travail bien mis en place sur les dix bassins de l’académie, mais l’accompagnement et l’aide aux décrocheurs est vraiment important. Récemment, j’ai visité un collège, où l’on me parlait de vingt gamins arrivés sans savoir lire. Ce n’est pas possible ! Il faut travailler en amont. On se doit d’avoir une attention particulière pour les jeunes dès que cela ne va pas.
La biographie de Claudine Schmidt-Lainé