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Claude Lelièvre : "Le bac est une fiction juridique"

Sophie de Tarlé Publié le
Claude Lelièvre : "Le bac est une fiction juridique"
Claude Lelièvre, historien de l'éducation // DR // © 
Le bac serait-il devenu une usine à gaz aussi inutile que coûteuse ? Historien de l'éducation, Claude Lelièvre fait le point sur ce diplôme bicentenaire et nous livre des pistes pour l'avenir.

Le budget du bac devient exorbitant. Comment en est-on arrivé là ?

Au fil des décennies, chaque association disciplinaire a voulu que sa matière soit au bac, c’était une forme d’anoblissement. Le domaine du professeur classique (latin, grec, français, voire histoire et philosophie) a perdu de son pouvoir pour laisser la place à d’autres matières plus spécialisées.
Désormais, il y a une agglomération de disciplines qui veulent toutes bénéficier d’une reconnaissance et occuper leur place dans les séries. On a vu le tollé qu’a provoqué chez les enseignants d’histoire la suppression de l’histoire-géo en terminale S. Le fait de perdre sa place dans les meilleures classes, lui faisait perdre de la valeur.
C’est une lutte générale pour l’existence et la reconnaissance de chacune des disciplines. Les horaires de cours ont aussi fortement augmenté au fil du temps à la demande de ces lobbies. Et c’est une bataille perdue de ne plus exister à l’examen.

Par le passé, l'écrit avait-il autant d’importance qu'aujourd'hui ?

Absolument pas. Quand le bac a été créé en 1808, c’était un examen d’entrée à l’université qui se déroulait uniquement à l’oral. Le jury était uniquement composé d’universitaires ayant fait une thèse. Par la suite, on a demandé que, durant l’oral, le candidat rédige quelque chose.
En outre, à l’origine, le candidat n’était évalué que sur quelques questions relevant des humanités classiques. Mais les questions étaient préformées. Le terme "bachoter" vient du fait que le candidat devait pour chaque question choisir au hasard une boule parmi 100 boules représentant les cent questions possibles. Les épreuves écrites sont apparues peu à peu, pour devenir finalement dominantes, alors même que les candidats devenaient de plus en plus nombreux.

Finalement, qu'est devenu le bac au fil du temps ?

Le bac est devenu une fiction juridique. On est dans le domaine de l’irrationnel ou du symbolique. C’est d'abord une fiction de dire que le bac est un examen d’entrée à l’université. Actuellement, le seul universitaire présent n’est guère là que pour signer le procès-verbal.
Ensuite, on parle du bac, mais "le bac" n’existe pas. Ce sont des bacs : les bacs généraux, les bacs technologiques et les bacs professionnels, qui n'ont absolument rien à voir.  Comment un universitaire pourrait-il juger de la qualité d’un bac professionnel qui est sûrement très bien dans une perspective d'insertion professionnelle, mais pas du tout adapté aux études universitaires ?
Enfin, je trouve aussi très curieux que le bac soit un examen anonyme pour rentrer à l’université. Alors que pour rentrer en classe préparatoire et en BTS on va regarder non seulement votre nom, vos notes, votre comportement mais aussi l’établissement d’où vous êtes issu. L’anonymat n’est alors absolument pas respecté. La France est bien le seul pays au monde où l’entrée au lycée (prépas, BTS) est sélective, mais où l’entrée à l’université ne l’est pas.

La France est bien le seul pays au monde où l’entrée au lycée (prépas, BTS) est sélective, mais pas celle à l’université

Comment le bac pourrait-il évoluer à l’avenir ? Avez-vous des pistes ?

Aujourd’hui, deux options sont envisageables. Soit on crée de toute pièce le bac (un seul bac) qui devient le "certificat de fin d’études obligatoires" de notre temps, qui certifiera une "culture commune". On peut envisager alors quelques épreuves terminales combinées avec un système de "crédits" que l’on pourra passer à divers moments du cursus. Dans ce cas, ce serait au Conseil supérieur des programmes prévu dans la loi de refondation de l’école qui pourrait être chargé au premier chef de cette tâche, puisqu’il est prévu qu’il fasse des propositions en matière non seulement de programmes mais aussi de leur évaluation et de leur certification.
Autre option : s’inspirer du bac d’origine afin qu’il redevienne un examen d’entrée à l’université en réduisant le bac à trois matières en fonction de l’orientation envisagée dans le supérieur. Un jeune qui souhaiterait faire des études scientifiques choisirait trois matières scientifiques, les autres seraient passées en contrôle continu. Il se spécialiserait au fur et à mesure de ses années de lycée. Ce qui impliquerait alors de réintroduire effectivement des universitaires dans les jurys. Mais pour que cela ait une chance d’aboutir, il faudrait sans doute qu’il n’y ait qu’un seul ministre pour l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur afin qu’il y ait une véritable articulation entre les deux.

Lire aussiLes billets de Claude Lelièvre sur son blog.

Les coûts cachés du bac : trop cher le bac ?

Le SNPDEN-UNSA (Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale) réclame que soit simplifié l'examen national au vu de son coût estimé à 1,5 milliard d’euros rien que pour le bac général et technologique. Un coût détaillé longuement sur son site internet.
Le syndicat évalue en effet à 74 millions (hors bac professionnel) les épreuves du bac. Mais c’est sans compter les cours non assurés dans les classes de terminale ainsi que dans les autres niveaux où les élèves sont, la plupart du temps, également privés de cours durant cette période. L’ajout de deux épreuves de langue cette année a vu également exploser les coûts, en "réquisitionnant environ 200.000 heures de professeurs pour un coût estimé à 6,5 millions d’euros", évalue le syndicat.
En décembre 2011, un rapport de l’inspection générale avait aussi dénoncé le coût trop élevé de l’examen, sous-estimé par l’Education nationale à 50 millions d’euros seulement, quand le rapport le chiffrait à 100 millions d’euros en raison d’une augmentation du tarif de la copie corrigée et de la reconquête du mois de juin.
Sophie de Tarlé | Publié le