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Emmanuel Ethis : "Les films de campus sont révélateurs de la place symbolique du savoir dans chaque pays"

Propos recueillis par Céline Manceau. Publié le
Emmanuel Ethis : "Les films de campus sont révélateurs de la place symbolique du savoir dans chaque pays"
Emmanuel Ethis // © 
Emmanuel Ethis, professeur des universités et président de l’université d’Avignon, est co-auteur d’un livre sur les films de campus (1). Son œil de sociologue pointe les lieux communs de ces chefs d’œuvres ou nanars ayant pour toile de fond la question du passage à l’âge adulte.

A qui décerneriez-vous le  "César du meilleur rôle" d'enseignant-chercheur dans un film de campus ?

J'ai deux ex-aequo. Le premier César irait à Rachel Weisz pour son rôle d'Hypatie dans Agora, d'Alejandro Amenabar. Elle interprète une professeure de philosophie, également scientifique, puisqu'elle est mathématicienne et astronome. Elle montre combien il faut se battre contre les archaïsmes et la superstition pour imposer le savoir. Elle est exemplaire dans son combat, à la fois comme enseignante et en tant que femme. Mon deuxième César reviendrait à James Stewart, alias Rupert Cadell, dans La Corde d'Alfred Hitchcock. Il illustre très bien la position d'un professeur d'université et comment le savoir implique une posture modeste pour comprendre les intrigues de la société qui est la sienne.

Quels sont vos films de campus "coup de coeur" ?

C'est difficile de choisir après en avoir visionné 650 ! Mes préférences vont à Docteur Jerry et Mister Love, La beauté du diable ou encore Will Hunting. Dans Docteur Jerry et Mister Love, le personnage principal est Julius Kelp, un professeur de chimie, timide, maladroit, à la fois introverti et submergé par son inventivité de chercheur. Il va mener des recherches afin de mettre au point une solution miracle pour devenir Mister love, une sorte de séducteur qui pourra rivaliser avec tous les sportifs-héros du campus. La potion s'avérant très imparfaite, à la fin du film, Julius Kelp n'a pas d'autre choix que de rester lui-même et de s'accepter tel quel. Ce film joue sur toutes les ressources métaphoriques qu'autorise l'ordre universitaire pour interroger de manière plus profonde la place que chacun d'entre nous aspire à occuper dans l'ordre général des relations qui régissent une société.

Et puis, j'ai aussi une pensée pour les Dents de la Mer, pour cette scène où un policier fait appel à un universitaire, océanologue, pour tenter de comprendre pourquoi le requin attaque. Ils partent tous deux, en bateau, au large, avec un pêcheur, un homme de terrain et d'expérience. Les trois personnages vont alors confronter leurs savoirs, et le policier et l'universitaire trouveront la solution. On voit ici que la science permet de s'adapter face à toutes nos peurs et à l'inconnu.

Si l'université française n'inspire pas nos cinéastes, ce n'est pas un hasard. Ils ne l'ont pas fréquenté.

Quels films de campus américains pourraient faire l'objet d'un "remake" français ?

Tous. Il n'y a pas de problème pour transposer des enseignants-chercheurs dans l'exercice de leur métier ou des étudiants en construction identitaire. Les seuls films qui n'auraient pas de raison d'être en France, sont ceux sur les Spring breaks comme Piranha 3D ou les sociétés secrètes étudiantes : tels que la série des Skulls, car ces événements n'appartiennent pas à la culture estudiantine française. Si l'université française n'inspire pas nos cinéastes, ce n'est pas un hasard. Ils ne l'ont pas fréquenté. Ce lieu ne les inspire donc pas. Et quand il les inspire, ce n'est pas d'un point de vue générationnel, pour étudier la jeunesse en devenir, mais pour réaliser des films intimistes comme le très récent Mes chères études. Les quelques films de campus français sont rares : l'Etudiante, l'Auberge Espagnole et bien sûr les Amitiés Maléfiques d'Emmanuel Bourdieu... Sur le lycée, en revanche, la production est bien plus importante.

Les films de campus

Quels romans de campus mériteraient leur "adaptation cinématographique" ?

Très peu de livres de David Lodge ont été adaptés, sans doute parce que les personnages sont très bavards, ce qui ne facilite pas la transposition cinématographique, mais Un tout petit monde pourrait être tourné dans n'importe quelle université... dans le monde ! Un cinéaste pourrait aussi s'emparer du roman de Scott Fitzgerald : l'Enfer du paradis qui raconte les ambitions contrariées d'un étudiant en lettres à Princeton. Et puis l'adaptation de Qui a peur de Virginia Woolf ? a permis de réaliser un formidable film mais on pourrait de nouveau transposer cette histoire au cinéma pour comprendre comment, d'une époque à l'autre, se traitent les questions de l'individualisme, de la passion dévorante et de la difficulté de vivre.

Pourriez-vous imaginer un "scénario" pour un film de campus dans une université française ?

Oui, tous les genres sont possibles. Thriller ou énigmes permettraient, comme dans Ce que mes yeux ont vu, de mettre en scène nos professeurs ou maîtres de conférences. Ce sont des héros eux aussi, toute comme notre jeunesse qui se pose les mêmes questions identitaires qu'ailleurs. Nombre de réalisateurs pourraient être sollicités : Guillaume Canet, Christophe Honoré, Emmanuel Bourdieu, Jacques Maillot, Alexandre Aja, Géraldine Nakache... Et nombre de comédiens ( Fabrice Luchini, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Sophie Marceau...) feraient d'excellents professeurs. Gianni Giardinelli, Guillaume Delorme, Samuel Perche, tous les acteurs de la série la Vie devant nous, qui s'est arrêtée lorsque ces jeunes passèrent le bac, feraient d'excellents étudiants.

Quelle université française serait la mieux placée pour servir de "décor" à un film de campus ?

Toutes nos universités françaises recèlent des lieux extraordinaires et tout à fait propices. Nous pensons depuis longtemps avec mon co-auteur, Damien Malinas, qu'il nous faut revendiquer notre patrimoine universitaire. Bien entendu, je pense que l'université d'Avignon serait formidablement adaptée à un tournage parce qu'elle rassemble tous les attributs nécessaires à un film de campus ! Son patrimoine est à la fois moderne et ancien. Elle est située en centre ville et possède une bibliothèque splendide, des couloirs immenses et des amphithéâtres propres aux plus belles intrigues. J'ai ici un petit parti-pris, vous le comprendrez, mais je crois qu'il est normal que les lieux que l'on habite nous inspirent ! C'est le cas quand j'entends la plupart des présidents d'université en France. On pense aussi comme décor à la Sorbonne, magnifique lieu cinématographique mais dont l'image est aussi forte que la Ville où elle est installée – Paris – ce qui lui fait perdre un peu son aspect "campus".

L'investissement financier d'un pays dans son enseignement supérieur est directement corrélé au nombre de films de campus produits.

Quel est votre "meilleur espoir" de voir le cinéma français s'emparer des films de campus ?

Le sujet intéresse tous les pays, sauf la France. Au palmarès des campus les plus filmés, les américains arrivent largement en tête, suivis, dans l'ordre, des campus britanniques, d'Europe du Nord, japonais, allemands, espagnols... D'un point de vue sociologique, je constate que l'investissement financier d'un pays dans son enseignement supérieur est directement corrélé au nombre de films de campus produits. Donc, quand on investira beaucoup plus d'argent dans l'université, les films de campus – nous en faisons le pari - seront plus nombreux. L'intérêt premier d'investir dans l'université est d'intégrer l'enseignement supérieur sous la bannière des universités, ainsi – contrairement à ce qui se passe aujourd'hui – nous aurions plus de chances d'avoir dans un même lieu des jeunes issus de toutes les "classes sociales". C'est bien mieux pour les intrigues cinématographiques ! Les films de campus sont révélateurs de la place symbolique du savoir et de la recherche dans chaque pays, et donc de la manière dont on mise sur l'avenir. Ils peuvent devenir aussi un formidable outil de promotion du désir d'étudier à l'université comme c'est le cas pour les films de campus anglosaxons. Et ce, quelque soit leur genre : aventures (Indiana Jones, Benjamin Gates...), comédie (Scream, Peggy Sue s'est mariée, La revanche d'une blonde...), thriller (Crimes à Oxford, Tesis...).

(1) Les films de campus, l'université au cinéma, par Emmanuel Ethis et Damien Malinas, Armand Colin, 128 pages, octobre 2012.


Pour aller plus loin :

- Le site de la fac d'Avignon qui parle du livre

- Le blog d'Emmanuel Ethis

- Le site de l'éditeur, Armand Colin, pour acheter le livre

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Propos recueillis par Céline Manceau. | Publié le