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Hervé Biausser : "CentraleSupélec n'est pas une fusion mais une création"

Delphine Dauvergne Publié le
Hervé Biausser : "CentraleSupélec n'est pas une fusion mais une création"
Hervé Biausser, directeur de Centrale-Supélec © D.Dauvergne // © 
Après l'alliance lancée en 2008 entre Centrale Paris et Supélec, les deux écoles officialisent maintenant leur fusion. Directeur de CentraleSupélec depuis septembre 2013, Hervé Biausser détaille les enjeux de ce rapprochement et ses ambitions à l'international.

À quelle étape en est le rapprochement avec Supélec ?

Le projet de décret de fusion est prêt, il a été validé par toutes les instances des deux écoles. Il est passé au Cneser (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche) le 15 septembre 2014. Il doit maintenant être validé par le Conseil d'État avant la fin de l'année. CentraleSupélec aura le statut de grand établissement public (loi de 1984). Pour Centrale, c'était déjà le cas mais, pour Supélec, c'est un grand changement car cette école avait le statut d'association de droit privé, qui fonctionnait avec un modèle d'économie mixte entre subventions d'État et ressources privées. Pour obtenir le maximum de soutien de l'État, il vaut mieux évoluer dans un cadre public.

Aujourd'hui, peut-on enfin parler de fusion, le tabou est-il levé ?

Ce n'est pas une fusion, c'est une création. Un travail de rapprochement initié depuis 2005. Nous avons des points forts à Centrale et à Supélec. Nous voulons les regrouper et lever nos points faibles, construire des projets nouveaux. Ainsi, nous n'allons pas simplement mélanger les cursus des deux écoles. Pendant trois ans, ils vont se rapprocher, jusqu'à former un seul cursus en 2017. Les premiers diplômés CentraleSupélec sortiront en 2020. Que ce soit pour les cours optionnels ou pour la formation continue – qui mutualise son catalogue cette année –, le principe est de ne rien supprimer mais d'enrichir nos offres. 

Vous insistez beaucoup sur la complémentarité, avez-vous des exemples concrets ?

Nous sommes très complémentaires en recherche. Les enseignants-chercheurs qui travaillent ensemble portent le rapprochement. Nous avons six chaires en commun, notamment une dans le bâtiment durable. Cette complémentarité nous permet de répondre ensemble aux appels d'offres de Saclay.

Il n’est pas simple de rapprocher une structure privée et une structure publique dans une nouvelle structure publique.

À quelles difficultés vous êtes-vous heurtés pendant ces années de processus de rapprochement ?

Il n’est pas simple de rapprocher une structure privée et une structure publique dans une nouvelle structure publique. Cela n’a jamais été fait dans ce milieu. Nous avons rencontré des problèmes institutionnels et juridiques car, à la date de publication du décret, le dispositif social juridique en place à Supélec disparaît. Tout le dispositif des ressources humaines est à construire à l’aune de la nouvelle structure, qui devra savoir faire vivre ensemble des personnels fonctionnaires, des personnels contractuels de droit public et les personnels qui auront souhaité garder leur contrat de droit privé comme la loi de 2013 les y autorise.

Il est difficile de transférer des personnes ayant un contrat privé dans un établissement public, même en maintenant leur salaire. La loi leur permet de garder leur contrat privé s’ils le souhaitent pendant quinze ans. Mais les inquiétudes ne sont pas les mêmes pour les personnes partant dans quelques années à la retraite et pour celles qui viennent d’être embauchées. Cette question a été longtemps débattue l’année dernière, tout se fera bien sûr dans le respect des personnes, car c’est évidemment un sujet très sensible. Un accord a été conclu fin 2013 avec le personnel pour que la transition se passe bien. C’est un changement de monde pour les salariés de Supélec.

Comment évolue la gouvernance de CentraleSupélec maintenant qu'il n'y a plus qu'un seul directeur ?

Le décret qui va sortir définira les modalités de la gouvernance, qui restera celle très classique d'un grand établissement. Personne n'a été mis sur la touche au niveau de la direction. Aujourd'hui, nous n'avons déjà plus qu'un seul directeur des études, une directrice de la recherche et un directeur de la formation continue.

La fusion va-t-elle vous donner l'occasion d'augmenter les frais d'inscription ?

La question des frais d'inscription n'a pas encore été tranchée, cela dépendra des deux ministères de tutelle [Enseignement supérieur et Industrie]. Mais rien d'extravagant n'est envisageable. Concernant la taille des promotions, Centrale Paris oscille actuellement entre 500 et 600 étudiants par année, tandis que Supélec a une fourchette de 400 à 500 étudiants. Nous allons donc additionner les places, ce qui fera un millier par promotion CentraleSupélec. Cela peut paraître beaucoup, mais c'est une taille standard à l'international et elle permet d'être présent sur tout le spectre des ingénieurs.

Il est plus intéressant de s'implanter à l'étranger que de faire venir des étudiants étrangers en France.

Comment vont être pris en compte les campus de Metz et de Rennes, ne vont-ils pas être dévalorisés par rapport au campus de Paris à Saclay ?

Supélec est une école sur trois sites. Les campus de Metz et de Rennes ne vont pas être supprimés. Avoir des campus en province est une chance, car ils sont dans une logique de forts réseaux régionaux. Il est parfois plus facile de travailler en région qu'en Île-de-France. Les contacts avec les entreprises y sont plus simples, on y développe aussi une coopération avec les PME (petites et moyennes entreprises).

Ces deux campus ont aussi des atouts non négligeables : le Georgia Institute of Technology est installé à Metz, Rennes dispose de relations privilégiées avec les universités chinoises.

Au niveau international, après Centrale Pékin, l'école Mahindra École Centrale vient d'ouvrir en Inde. Quels sont les enjeux de ces implantations ?

Nous confrontons notre modèle de formation, cela nous permet de progresser. Il est plus intéressant de s'implanter à l'étranger que de faire venir des étudiants étrangers en France. Le modèle français séduit, pour nous l'ingénieur doit avoir une vision très large, des aptitudes particulières (capacité d'écoute, management...). Les professeurs qui se déplacent apprennent aussi en confrontant leurs expériences. L'objectif est que nous soyons présents là où l'avenir se fait, dans les pays développés, afin que notre modèle continue de s'enrichir et d'être reconnu comme excellent. Il faut savoir prendre des risques, ne pas se mettre en péril mais pouvoir aller au-delà des limites qu'on s'impose. En France la notion de "risque" est négative. Il faut se lancer, être dans une dynamique de changement, le monde ne nous attend pas.

Vineet Nayyar (vice-président de Tech Mahindra) et Hervé Biausser.

Vineet Nayyar (vice-président de Tech Mahindra) et Hervé Biausser.

Et où en est le projet d'implantation à Casablanca ?

L'école ouvrira en 2015. On facturera le coût du cursus initial à l'État marocain. Le but avec nos implantations n'est pas de gagner de l'argent, mais pas non plus d'en perdre. Le contexte au Maroc n'est pas le même qu'en Inde, car il y a des classes préparatoires, les étudiants parlent français et les besoins des entreprises sont différents. Les Marocains sont les premiers étudiants étrangers à Centrale Paris, ils savent donc que notre modèle est excellent. Il est important que la France lance des projets avec le Maroc, pour aider à son développement. Cet investissement, à terme, permettra une coopération industrielle entre les deux pays.

Delphine Dauvergne | Publié le