Le projet professionnel étudiant (PPE) est-il un outil efficace pour l'orientation des étudiants ?
José Rose : Je suis réservé sur l'utilisation du mot "projet", car la réflexion des étudiants évolue selon leurs expériences vécues. Cette démarche est intéressante à condition de souligner le caractère provisoire des projets. Je préfère parler de mise en projet. Le PPE peut aussi accroître la motivation des jeunes dans leurs études, être une source d'engagement plus nette. Il faut cependant enlever l'injonction au projet.
François Sarfati : Les professionnels de l'orientation mettent trop souvent les jeunes face à la question lancinante : "Qu'est-ce que vous voulez faire plus tard ?" Ce choix, angoissant, est perçu par les jeunes comme définitif. Aussi, pour ne pas passer aux yeux du professionnel pour un "jeune à problèmes", ils se mettent à réciter un projet sans avoir d'idée concrète du métier dont ils parlent. C'est moins un projet qu'ils habitent, qui a du sens pour eux, qu'un projet "bouclier", qui vise à repousser le professionnel. Il faudrait plutôt plébisciter des dispositifs de participation à des expérimentations, comme monter un projet associatif. Il faut moins se concentrer sur l'injonction du projet professionnel, pour tester les missions qui plaisent ou pas : négocier, trouver des partenaires, gérer les finances, communiquer...
D'où vient cette "injonction au projet professionnel" ?
J. R. : Elle est présente dès le lycée. Souvent on demande aux étudiants les métiers qu'ils veulent faire, au lieu des activités dans lesquelles ils sont à l'aise. C'est ensuite avec la rencontre de professionnels qu'ils ont une prise de conscience et peuvent identifier leurs envies.
Aujourd'hui, l'idée qu'une formation doit préparer à un emploi précis est contredite par la variété des postes occupés à l'issue d'une même formation. Des études de psychologie ne mènent pas forcément au métier de psychologue. Mais la diversité inquiète, car garder cette illusion "adéquationniste" est plus simple et commode pour prendre une décision d'orientation. Il faut aussi s'intéresser aux compétences transférables d'un domaine à un autre.
F. S. : Dans notre société de "plein chômage", tout le monde est confronté au chômage et à la précarité, de manière directe ou parce que ses proches sont touchés. La conscience de cette proximité de la précarité, cette crainte du chômage mènent à l'injonction de bien choisir ses études avec l'espoir de décrocher un emploi derrière.
Aujourd'hui, l'idée qu'une formation doit préparer à un emploi précis est contredite par la variété des postes occupés à l'issue d'une même formation.
(José Rose)
Est-ce qu'il n'est pas paradoxal d'inciter les jeunes à avoir un projet professionnel précis alors qu'aujourd'hui on sait qu'ils seront amenés à effectuer des métiers différents tout au long de leur vie ?
J. R. : Cela semble moins paradoxal si on considère l'utilité de de se mettre en projet, mais aussi de se confronter à la réalité de métiers. La notion de projet ferme trop les choses et stresse les étudiants, que l'on n'ait pas défini de projet ou bien que l'on se sente obligé de s'y tenir à un en particulier.
F. S. : Aujourd'hui, les parcours sont de plus en plus faits de bifurcations et de réorientations. Le rôle de l'enseignement supérieur, c'est de mieux préparer les étudiants à ces évolutions. La notion de projet repose sur un système inégalitaire, on ne demande pas aux meilleurs étudiants de faire des projets, mais d'entrer dans la meilleure classe prépa, puis la meilleure école, la question du projet se pose seulement à la fin des études. Mais un jeune qui a des difficultés au collège, connaîtra très tôt cette injonction au projet, qui le pousse à sortir de la "voie normale".
L'université doit-elle avoir pour mission l'insertion professionnelle ?
J. R. : Non, le rôle de l'université n'est pas d'insérer les étudiants, mais de les préparer à leur vie professionnelle. C'est aux organismes comme Pôle emploi ou l'Apec de s'occuper de l'insertion. Mais l'université se doit de préparer les jeunes à toutes les dimensions de leur vie et donc se préoccuper de leur devenir professionnel : c'est une de leurs attentes d'ailleurs.
F. S. : La LRU en 2007, a reconnu l'insertion professionnelle comme l'une de ses missions. Toutefois, l'université est en premier lieu un espace de production et de diffusion des savoirs. Elle doit favoriser la coopération avec les acteurs de l'emploi, sans s'y substituer. C'est dans ce sens qu'on peut lire le protocole pour l'insertion professionnelle des jeunes issus de l'enseignement supérieur signé en février dernier.
L'université est en premier lieu un espace de production et de diffusion des savoirs. Elle doit favoriser la coopération avec les acteurs de l'emploi, sans s'y substituer.
(François Sarfati)
A l'université, quels sont les obstacles au développement de l'aide à l'insertion ?
J. R. : Il faut convaincre de la nécessité de cette mission : beaucoup d'enseignants-chercheurs pensent que cette nouvelle mission change leur métier. De plus, s'occuper de l'insertion, c'est un métier à part entière. Beaucoup d'universités ne sont pas armées, il faut leur fournir les outils nécessaires. L'accompagnement à l'insertion nécessite un accompagnement individuel. Avec la taille des universités, on se heurte à un problème de ressources financières et humaines.
F. S. : On a ajouté le projet professionnel dans les maquettes des formations, mais en gardant un budget constant, il a donc fallu réduire le contenu disciplinaire. La préparation à la vie professionnelle ne doit pas se faire en concurrence avec le temps accordé à la transmission de savoirs. En outre, construire le projet professionnel contre l'enseignement ne va pas convaincre les enseignants-chercheurs de s'y investir.
La participation des enseignants-chercheurs à ce type de dispositif d'orientation devrait être valorisée de quelle manière ?
J. R. : Les enseignants-chercheurs sont réticents à s'y investir, car ils sont évalués sur la partie recherche de leur travail. Il faut modifier les critères de leur évaluation, car la recherche est aussi trop dominante par rapport à la formation. L'implication pédagogique doit être reconnue. Il faudrait mettre en place des dispositifs de décharge incitatifs pour ceux qui s'engagent à monter un bureau d'aide à l'insertion, par exemple. Des professionnels doivent aussi être embauchés pour alléger le travail des universitaires en leur donnant des outils.
F. S. : Quelques enseignants-chercheurs pionniers s'investissent sur ce sujet en travaillant avec les services concernés. Mais la majorité n'en ont pas envie, soit parce qu'ils n'ont pas le sentiment d'être entrés dans la carrière pour cela, soit par manque de reconnaissance. Leur engagement restera limité, tant que l'université ne saura pas reconnaître et valoriser cette activité dans leur rémunération ou dans les possibilités de promotion.
La préparation à la vie professionnelle ne doit pas se faire en concurrence avec le temps accordé à la transmission de savoirs.
(François Sarfati)
La généralisation des stages, est-ce une solution ?
J. R. : La généralisation des stages, peut être un slogan politique mais pas un projet réaliste si on entend faire bénéficier tous les étudiants d'un stage véritablement professionnalisant. Il faut aussi apprendre aux étudiants à tirer parti de toutes leurs expériences d'emploi car nombre d'entre eux ne sont pas des débutants, ce que les employeurs oublient. Mais les jeunes ont souvent une fascination pour les stages et pensent que c'est un critère pour la qualité d'une formation.
F. S. : La multiplication des stages à tous les niveaux de formation pose un problème à l'échelle du territoire local, il n'y a pas autant de bons stages que d'étudiants, ce qui mène à la concurrence entre étudiants et aux mauvais stages. De plus, on peut apprendre autant de choses dans un job étudiant, un projet collectif mis en œuvre à l'université ou encore en faisant du bénévolat. Il faut repérer ce que les jeunes ont appris comme savoirs et savoir-faire dans ces expériences.