Vous prônez l'expérimentation et dites refuser un pilotage vertical du système éducatif... tout en multipliant les annonces et les injonctions. N'est-ce pas contradictoire ?
Il n'y a aucune injonction ! J'ai réparé ce qui pouvait l'être après les erreurs constatées de la réforme du collège, par exemple. Et j'ai rouvert des possibilités aux acteurs. C'est le contraire de l'injonction.
Quand j'ai dit qu'il n'y aurait pas d'injonction verticale, je n'ai pas dit que je pratiquerais l'immobilisme. Il n'y aura pas de grande loi. Mais la méthode du changement consiste à responsabiliser les acteurs en leur donnant les moyens de leur liberté. Sur la réforme du collège, par exemple, nous conservons l'autonomie, nous restituons ce qui devait l'être aux établissements. Nous leur donnons la possibilité d'agir pour enrichir les enseignements, avec les classes bilangues, le latin et le grec, ou encore les parcours européens. Nous irons vers l'égalité par la liberté.
Quelles mesures mettre en œuvre pour permettre à chaque collégien et lycéen de faire les bons choix, sans "subir" son orientation ?
Notre système d'orientation souffre de plusieurs problèmes : une excessive dramatisation des enjeux, et une concentration dans le temps excessive des enjeux. Il faut arrêter de considérer que c'est au moment de s'inscrire sur APB que tout se joue. La réussite viendra d'une approche en continuum qui commence dès le collège et qui doit permettre de découvrir des métiers, de tenter des expériences. L'orientation ne se résout pas par un rendez-vous avec une personne mais par un dialogue continu avec les équipes de professeurs.
Il faut arrêter de considérer que c'est au moment de s'inscrire sur APB que tout se joue.
Comment améliorer la transition du lycée à l'enseignement supérieur ? Quelle transformation du baccalauréat cela suppose-t-il ?
Nous allons travailler en 2017-2018 avec tous les acteurs concernés. La réflexion sur le baccalauréat arrive aujourd'hui à maturité en France. Cela devrait nous permettre de formuler des propositions dans le courant de cette année scolaire.
Nous devons renforcer à la fois le prestige et l'utilité du baccalauréat pour les lycéens, dans le cadre de leur évolution vers l'enseignement supérieur. Pour cela, une perspective est de leur permettre de valider tout au long de leur parcours à la fois des compétences correspondant à la culture générale qu'ils doivent avoir à la fin de l'enseignement secondaire et des excellences qu'ils ont su développer dans des domaines particuliers qu'ils ont choisis.
APB vous semble-t-il un système juste ?
Le problème n'est pas APB en soi : cet algorithme peut s'améliorer mais nous avons besoin d'un système informatique pour organiser le flux des étudiants. Il ne faut pas oublier comment cela se passait avant. Quand les jeunes prenaient place dans une queue interminable pour s'inscrire. L'aléa était bien plus fort qu'aujourd'hui.
Le problème que révèle APB est celui des capacités d'accueil de l'enseignement supérieur et de la bonne orientation des élèves. La pratique actuelle du tirage au sort est la conséquence absurde d'un système où les enjeux d'orientation n'ont pas abouti à ce qui était attendu, c'est-à-dire en amont. Il n'est pas normal qu'un élève qui a toutes les chances de réussir dans une filière n'y soit pas admis alors même qu'un profil qui a peu de chances, statistiquement, de réussir soit lui accepté ex abrupto par le tirage au sort. Avec Frédérique Vidal, la ministre en charge de l'Enseignement supérieur, nous partageons la conviction que c'est profondément injuste.
Aujourd'hui, il y a un énorme gâchis pour tout le monde, pour les étudiants qui perdent du temps et peuvent ensuite développer une amertume et un manque de confiance en eux-mêmes face à l'échec, et pour les universités qui ne peuvent plus gérer ces situations et font face à une déperdition de moyens. Il vaut mieux que l'on investisse dans une orientation choisie au bénéfice des étudiants, grâce à une bonne information mais aussi grâce à des dispositifs qui dans le futur permettront à chacune et chacun de trouver sa place. L'objectif est bien d'emmener tous ceux qui ont vocation à faire des études supérieures à la réussite. Sans hypocrisie et avec efficacité.
Il vaut mieux que l'on investisse dans une orientation choisie.
Najat Vallaud-Belkacem a lancé un plan numérique pour développer l'usage des technologies en classe. Parallèlement, la EdTech française est un secteur en pleine croissance. Quelle vision portez-vous sur ce secteur et souhaitez-vous développer la EdTech française ?
Le numérique est au cœur de la question qui est posée à l'être humain au XXIe siècle : comment un monde de plus en plus technologique peut être un monde de plus en plus humain ? Et la réponse à cette question ne peut venir que de l'éducation. Je veux être en première ligne sur le déploiement d'un avant-gardisme français dans les EdTech. Nous prendrons des initiatives à l'échelle nationale et académique pour impliquer les professeurs, leur offrir les avantages qu'ils peuvent tirer de ces nouvelles technologies sur le plan pédagogique. Si elle ne poursuit pas d'objectifs de politique économique au sens strict, cette action présentera l'avantage de stimuler l'émergence d'acteurs français proposant un usage pertinent du numérique éducatif.
Je suis le premier à penser qu'il faut du discernement dans l'usage du numérique. La solution n'est pas dans le tout-numérique ou l'approche par les questions matérielles. En cette matière comme dans les autres, c'est la pédagogie avant tout qui compte. Nous devons avoir une compréhension des enjeux qui dépasse la question des tablettes et des écrans et nous amène à nous ouvrir à d'autres révolutions en cours comme la robotique, l'intelligence artificielle et la 3D.