Dans vos recherches, vous remettez en cause l'idée selon laquelle les jeunes, ceux qu'on appelle les "digital natives", sont naturellement à l'aise avec le numérique. Pourquoi ?
La biologie montre qu'il n'existe pas d'aire dédiée au numérique dans le cerveau, comme il en existe pour la lecture ou les mathématiques, qui sont apparues progressivement au cours de l'évolution. Le cerveau se modifie au gré des progrès techniques mais le numérique fera-t-il partie de ce mouvement ? Nous n'en savons rien pour le moment.
Dès lors, il est clair que les compétences numériques ne sont pas innées. Les jeunes doivent mettre en place dans ce domaine un processus d'apprentissage, comme le font leurs aînés.
Malgré tout, il est indéniable que les jeunes ont des capacités d'usage des outils numériques que certains adultes n'ont pas, en raison de leur contact privilégié, dès la naissance, avec ces techniques. C'est d'ailleurs à mes yeux la seule spécificité de la génération dite Y. Les bébés sont des éponges et ils acquièrent l'agilité numérique avec la même facilité qu'ils apprennent de nouvelles langues. Pour moi, il s'agit d'une question de temporalité, pas de génération.
Les jeunes ont-ils conscience de leurs compétences dans le domaine du numérique ?
Oui, et même peut-être un peu trop… Ils ont intégré le discours de la société sur les "digital natives", largement relayé par les médias, selon lequel ils maîtrisent les nouvelles technologies. Dès lors, quand on les interroge, ils disent avoir des capacités très élevées en la matière et pensent, par exemple, ne pas avoir besoin de cours d'éducation à la recherche d'information sur Internet.
Mais quand on les met en situation, les résultats ne sont pas toujours satisfaisants… C'est ce qui ressort en tout cas des expérimentations que j'ai pu faire dans le cadre de mes recherches qui, si elles portent sur de faibles échantillons, donnent des pistes d'étude intéressantes.
Au-delà du sentiment de maîtriser les outils numériques, les jeunes ont-ils envie de davantage les utiliser au cours de leurs études ?
Pas forcément. Ils sont intéressés par un peu de e-learning en amont d'un cours ou autour de notions très théoriques, sans souhaiter passer à une école ou une université totalement numérisée : ils veulent aussi avoir un enseignant pour les diriger, répondre à leurs questions.
La séparation entre les sphères publique et privée est très forte chez les 16-25 ans. Ce n'est pas parce qu'ils sont tout le temps sur Facebook qu'ils vont intégrer un groupe du réseau social pour travailler. Surtout si on le leur demande d'ailleurs ! Car on fait alors intervenir une notion de pouvoir, d'évaluation, et l'on retombe dans le schéma pédagogique de l'enseignant sachant qui transmet des connaissances.
Les jeunes sont intéressés par un peu de e-learning en amont d'un cours ou autour de notions très théoriques, sans souhaiter passer à une école ou une université totalement numérisée
Ce qui ne correspond pas vraiment à votre conception de l'enseignement…
Non, je considère plutôt l'enseignant comme un facilitateur, qui vient en appui des apprentissages que se construisent les étudiants. On entend beaucoup dire qu'il faut rendre les jeunes vraiment actifs mais ce n'est pas toujours le cas sur le terrain… La pédagogie universitaire reste largement traditionnelle, et encore une minorité d'enseignants travaillent en mode projet, qui n'est d'ailleurs pas toujours accepté.
Il faut dire que la question du statut est essentielle en France. D'où la réticence de certains enseignants à devenir des "accompagnateurs pédagogiques". Or, cette notion d'accompagnement prend tout son sens dans le monde numérique.
Comment les pratiques peuvent-elles évoluer ?
La question n'est pas de former les enseignants au numérique, mais à la pédagogie par le numérique. Les nouvelles technologies peuvent être fabuleuses, à condition d'être utilisées à bon escient.
Dans cette perspective, parce qu'elles ont l'ambition de former aux usages, les Espé (Écoles supérieures du professorat et de l'éducation) sont peut-être le lieu où l'on peut faire bouger les choses.
"La qualité au profit de l’apprentissage, pour une approche itérative" : tel est le thème retenu pour la 9e édition des Journées du e-learning, organisées par l'université Lyon 3, les 26 et 27 juin 2014.
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