Vous travaillez dans une université française depuis quatre ans. Quelle est votre impression sur notre système ?
Mon expérience à Bordeaux est très positive. Je me suis vite adaptée en France. Il y a une bonne façon de travailler. Ce n'est pas un fonctionnement à l'américaine, avec toujours des objectifs à remplir. Cela nous laisse ainsi une marge de liberté, par exemple sur le choix des sujets de recherche. De même concernant le contenu des cours, nous restons assez libres.
J'ai aussi été très bien accueillie par mes collègues, qui m'ont bien coachée et donné des conseils. Je suis bien entourée pour l'enseignement et la recherche, et j'ai même accès à des formations chaque année.
Quelles difficultés rencontrez-vous au quotidien ?
Chaque pays fonctionne très différemment. En France, ce qui m'agace vraiment, c'est la bureaucratie. Pour avoir des informations à l'université, dès qu'on a affaire à l'administration, c'est toujours très compliqué.
Par exemple pour partir en mission, il faut remplir un formulaire, retourner voir la secrétaire, le faire de nouveau valider à un autre échelon, retourner voir la secrétaire… Cela fait perdre de l'énergie parfois. Dans les pays anglo-saxons, cela ne se passe pas comme ça. En Angleterre ou en Israël notamment, c'était beaucoup plus simple.
De la même manière pour les emplois du temps : dans mes précédents postes, je recevais en début d'année les cours que je devais faire avec leurs horaires. Ici je dois aller à la recherche des réponses, avec souvent pas mal d'incertitudes.
Et une petite difficulté supplémentaire : même si l'on parle le français, l'écrit "administratif" demeure très différent. Lorsque je dois lire un document officiel, il faut que je demande à des collègues de me traduire le texte… Mais ça nous fait rire aussi !
Qu'est-ce qui vous a marqué dans vos premiers face-à-face avec les étudiants français ?
Ils râlent beaucoup, évidemment, conformément à la réputation des Français ! Plus sérieusement, j'ai trouvé le niveau des étudiants moins élevé que celui auquel je m'attendais. Je leur ai notamment vite expliqué que ce n'était pas à moi - qui suis italienne ! - de corriger leurs fautes… de français.
Globalement, je trouve qu'ils ne sont pas assez responsabilisés, on leur mâche un peu trop le travail et on les traite beaucoup comme des enfants ici. Quand je donne des projets à réaliser, ils ne les font pas toujours, je dois les relancer et les inciter à les faire. Je suis peut-être trop exigeante mais je pense que c'est à eux d'être un minimum motivés. D'ailleurs, ceux qui s'accrochent avancent énormément.
Que faudrait-il changer à l'université ?
Les enseignants-chercheurs font beaucoup trop d'heures d'enseignement. Je suis pour ma part privilégiée, ayant un statut un peu particulier avec une décharge horaire. Ce qui me permet de bien préparer mes cours et de faire en même temps véritablement de la recherche. Je trouve fondamental et très enrichissant de faire les deux en même temps.
Mais dans un service normal, enseigner autant d'heures et faire de la recherche de pointe, ce n'est pas compatible. Les enseignants-chercheurs sont obligés de lâcher sur l'un ou l'autre des deux tableaux. C'est encore plus vrai avec les difficultés financières des universités. Le nombre d'étudiants dans les groupes de TD augmente. On demande de plus en plus aux enseignants de remplir des tâches supplémentaires, hors enseignement et recherche. Cela devient un peu ingérable.
La réussite en première année de licence fait partie des priorités de la ministre Geneviève Fioraso. Quelle serait l'une des solutions ?
Il faut déjà que les étudiants qui arrivent à l'université sachent pourquoi ils sont là. Dans des cours d'amphi en première année, je me demande souvent, pour une bonne moitié des étudiants, ce qu'ils font là…
Pour cela, il faut une vraie orientation en amont. Vouloir que tous réussissent, ce n'est parfois tout simplement pas possible. Soit on baisse le niveau, soit on oriente mieux, pour que chacun ait les moyens de réussir. Il faut aussi que tout le monde reconnaisse que les petites classes sont vraiment plus efficaces, et mettre les moyens nécessaires pour cela.
Les phénomènes de regroupements universitaires sont nombreux en France. En particulier, une fusion est prévue à Bordeaux où vous travaillez. Comment voyez-vous ces évolutions ?
C'est compliqué, j'ai un avis assez partagé. J'ai l'impression que pour l'instant, cela pose plus de soucis et que ce n'est pas encore bien clair. Par exemple, nous avons reçu un mail sur le rapprochement de Bordeaux 1 et Bordeaux 2, nous disant que les règles allaient changer l'an prochain et seraient communes à l'ensemble des enseignants-chercheurs de sciences. Mais on ne connaît toujours pas les règles en question !
J'espère qu'il n'y aura pas trop de décisions dictées par des questions de pouvoir, mais que les choix seront bien faits dans l'intérêt de la communauté. J'espère aussi que les passerelles seront plus simples pour les étudiants. Ensuite, dans dix ans, ce sera probablement très bien pour la visibilité de l'université de Bordeaux.
Comment tisser un partenariat avec une université du top 100 mondial ? C’est la question à laquelle les intervenants répondront lors de notre conférence le vendredi 15 novembre 2013.
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