Comment est née l'idée de Migrens ?
Tout a commencé par le choc provoqué par les camps de réfugiés à Paris au début de l'été 2015. La plupart des fondateurs de Migrens, dont je fais partie, ont passé du temps dans les camps à la halle Pajol (XVIIIe arr.) ou au lycée Jean-Quarré (XIXe arr.). Choqués par ces expériences et par le déficit de prise en charge par les institutions, nous nous sommes questionnés sur nos possibilités d'agir.
Nous nous sommes accordés sur la nécessité de mettre en place des actions dans le lieu qu'on fréquentait, à savoir l'ENS. Nous sommes allés voir la direction en septembre 2015 pour lui proposer de lancer un programme étudiants invités (PEI). L'idée est de permettre à des réfugiés qui sont dans une situation d'attente insupportable et qui ne peuvent pas faire d'études d'apprendre le français, de retrouver une sociabilité étudiante, et de se projeter dans des études. La direction nous a donné le feu vert, et le programme a été lancé en octobre 2015, avec des étudiants et enseignants bénévoles.
L'association Migrens a été créée dans la foulée pour structurer notre action au sein de l'ENS. Enfin, le collectif Resome est le dernier-né : il regroupe des initiatives et des étudiants de plusieurs établissements qui partagent la même ligne politique. Le principe est de pouvoir organiser des réunions régulières, de tenir une permanence hebdomadaire à la Maison des initiatives étudiantes, de peser sur les institutions et de militer pour la création de programmes d'apprentissage linguistique et de reprise d'études dans l'enseignement supérieur.
Comment fonctionne votre "programme étudiants invités" à l'ENS ?
Le programme prévoit pour chaque personne huit heures hebdomadaires de cours de français donnés par des étudiants de l'ENS formés au FLE [français langue étrangère] par un professeur certifié. Nous préparons et inscrivons les étudiants invités au Delf [diplôme élémentaire de langue française]. L'an dernier, presque tous l'ont obtenu.
Le programme comprend aussi des activités plus informelles comme des heures en tandem de conversation bilingue, francais-pachtoune par exemple. Des activités culturelles et sportives sont également organisées. Les étudiants invités ont une carte d'accès qui leur permet d'aller à la bibliothèque, de déjeuner à la cantine ; ils sont donc très présents dans l'établissement. Ils sont également encouragés à suivre les cours en anglais dans les cursus "classiques", les cours en français quand ils le peuvent. Mais attention, le PEI est un programme de transition : les étudiants invités ne resteront pas à l'ENS – d'ailleurs le PEI ne débouche sur aucun diplôme –, et nous les incitons à trouver une formation pérenne dans un établissement.
À la rentrée 2016, une vingtaine de personnes ont arrêté, une vingtaine continuent, et 20 autres nous ont rejoints pour l'année universitaire. Elles sont afghanes, soudanaises, syriennes…
Nous avons énormément de demandes, plus de 50 pour l'ENS, et plusieurs centaines pour le Resome, ce qui montre bien l'insuffisance des dispositifs existants.
Avez-vous des critères de sélection ?
Nous avons énormément de demandes, plus de 50 pour l'ENS, et plusieurs centaines pour le Resome, ce qui montre bien l'insuffisance des dispositifs existants. La question de la sélection est très problématique pour nous car nous refusons d'entrer dans une logique d'immigration choisie.
Cependant, afin d'aider au mieux les étudiants invités au sein de l'ENS (qui est une école très spécifique), nous appliquons quelques critères lors d'un entretien fait en début d'année. Il faut que le candidat ait au moins suivi deux ou trois ans d'études dans un secteur couvert par l'ENS, et qu'il ait le projet de poursuivre des études. Nous ne serions pas aptes à aider quelqu'un qui a fait des études de type BTS. Dans ce cas, nous l'adressons au Resome. Nous devons lors des permanences hebdomadaires jouer le rôle de conseiller d'orientation mais nous déplorons le manque de moyens mis en place.
Pour faire leur demande, les réfugiés peuvent remplir un formulaire en ligne sur notre site, sur le groupe Facebook, ou obtenir des informations via des assistantes sociales dans les Cada [centres d'accueil de demandeurs d'asile].
Nous ne prenons en compte ni la nationalité ni la situation administrative (réfugié, demandeur d'asile…). D'ailleurs, il n'y a pas que des étudiants, nous sélectionnons également des gens qui ont dû arrêter leurs études parce que la situation dans leur pays ne leur permettait pas de les poursuivre.
Comment financez-vous le programme ?
Le programme fonctionne grâce au budget alloué par l'ENS. Nous fournissons aux étudiants invités notamment des tickets-repas et du matériel pour les cours. Nous cherchons aussi des fonds pour les soutenir en cas de difficulté, en particulier pour se déplacer, car même si les réfugiés ont droit à la gratuité des transports, il faut souvent des mois et des mois pour que ce droit soit effectif. Cependant notre rôle n'est pas de nous substituer aux institutions à qui incombe la responsabilité de financer les titres de transport des demandeurs d'asile et des réfugiés.
D'autres établissements sont-ils intéressés par un programme de type PEI ?
Le PEI est un programme de l'ENS, il n'a pas vocation à être dupliqué tel quel. Je sais que des programmes se sont montés, parfois sous l'impulsion des membres du Resome, à AgroParisTech, Paris 1, Paris 8, Paris 7, à l'École des ponts, à Sciences-Po, à l'ENS Lyon, à l'ENS Cachan. Le dialogue est plus ou moins facile avec les établissements, car les administrations ne sont pas toutes partantes pour soutenir ce type de programme.
Nous remarquons que les établissements où les programmes se montent sont souvent des établissements SHS, et qu'ils proposent fréquemment des programmes de recherche. Ce sont de bonnes initiatives, mais il s'agit d'études assez théoriques et longues. Tout le monde n'a pas envie de faire un doctorat. Ce sont dans les programmes courts comme les BTS et les IUT que les besoins sont les plus importants, et ce sont pourtant les filières les moins actives dans ce domaine.
EducPros en partenariat avec WISE, et sous le patronage de la Commission nationale française pour l'Unesco, organise le 26 septembre prochain à Paris une rencontre-débat sur la question de l'accès à l'éducation des réfugiés, en présence de la lauréate du prix WISE pour l'éducation, le Dr Sakena Yacoobi, fondatrice de l'Afghan Institute of Learning.
Le thème de cette rencontre sera "Éducation et réfugiés : pourquoi est-il important d'ouvrir nos écoles et nos universités ?".