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Laurent Carraro (Arts et Métiers ParisTech) : «L’État doit nous laisser expérimenter de nouveaux modes de relations avec les entreprises»

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier Publié le
Laurent Carraro (Arts et Métiers ParisTech) : «L’État doit nous laisser expérimenter de nouveaux modes de relations avec les entreprises»
Laurent Carraro, directeur général d’Arts et Métiers ParisTech et membre de la commission permanente de la Cdefi // ©  S.Meyer
Nouvelle organisation interne, expérimentation de relations plus denses avec les entreprises, ouverture aux bacheliers technologiques… Le directeur d’Arts et Métiers ParisTech explique à EducPros les principes de la «refondation» de l’école dont il a pris la tête début 2012.

Quels sont les points forts et points faibles d’Arts et Métiers ParisTech que vous avez détectés quand vous êtes arrivé à la tête de l’école en février 2012 ?

L’ENSAM ressemblait à une belle endormie. Un établissement à forte notoriété doté d’une formation et d’une recherche de qualité, mais qui s’est insuffisamment rendu compte que le monde bougeait et bougeait vite. L’association des anciens a fait appel à moi – qui ne suis pourtant pas gadzart – pour refonder l’école. Je bénéficie pour ce faire d’un véritable alignement des étoiles : la direction de l’école, les anciens diplômés et l’Union des élèves  sont sur la même longueur d’ondes. Sinon, cela n’aurait pas été possible d’entreprendre un tel projet !

Les nouveaux statuts de l’école sont parus au Journal officiel du 4 novembre 2012. Pourquoi ce changement ?

L’organisation d’Arts et Métiers ParisTech s'est effectuée en 1990, date à laquelle l’ENSAM a été créée comme établissement unique regroupant huit écoles. Mais, malgré l’établissement unique, les huit centres ont conservé une très large autonomie : leur directeur n’était pas nommé par le directeur général de l’ENSAM mais par le ministre, les directeurs de centre géraient leurs ressources voire payaient leurs personnels. Ils avaient bien plus de pouvoirs qu’une école interne au sein d’une université.

Les limites de ce système confédéral sont clairement apparues au moment du passage aux RCE [responsabilités et compétences élargies] en 2010. Nous n’étions pas capables de dire, par exemple, de combien de personnels nous disposions. De plus, ce système éclaté nuisait à la cohérence de l’ensemble et certains centres étaient quasiment en concurrence.

Une fois prise la décision de changer les statuts pour unifier l’ensemble, il a fallu faire face à une certaine lenteur administrative qui a suscité des inquiétudes en interne. Depuis mon arrivée, fin février 2012, j’ai consacré mon temps à cette réorganisation. L’ENSAM est désormais un véritable établissement unique et nous allons pouvoir décliner les projets à l’échelle nationale.

Que comptez-vous faire concrètement ?

Ces dernières années, l’enseignement supérieur et la recherche n’ont été vus qu’à travers le prisme des politiques de site. Pourtant, des organismes de recherche nationaux comme le CNRS ont prouvé leur efficacité. Toute proportion gardée, Arts et Métiers ParisTech veut construire un modèle alternatif de grands établissements technologiques plurisectoriels. L’Hexagone a besoin de trois ou quatre établissements de ce type.

La première mission : refaire la carte des formations. Un vrai changement de culture en interne. Nous voulons donner une identité explicite à chacun des centres. Ils seront tous leaders sur un secteur, Bordeaux dans l’aéronautique par exemple. Mais attention, le diplôme restera le même sur l’ensemble du territoire. Il y aura donc du génie mécanique partout, mais chaque centre sera identifié sur un secteur applicatif.

Nous allons également formaliser un réseau autour de l’école, à l’instar de ce que fait l’Institut Mines-Télécom avec ses écoles associées. Ce réseau ne comprendra pas que des écoles d’ingénieurs. Nous sommes très intéressés par nouer des partenariats avec l’ENSCI sur la création industrielle ou avec des écoles d’architecture.

Je ne veux pas d’argent supplémentaire mais des moyens pour fonctionner. Une libération des contraintes qui ne coûte rien...

 

Malgré tout, les politiques de site sont très fortes aujourd’hui. Comment les articuler avec un établissement national ?

Les centres vont poursuivre leur politique de partenariat, mais nous ne pourrons pas être, comme d’autres, dans une logique fusionnelle. Je salue l’action de mes prédécesseurs sur ce point. À Paris, nous restons dans les deux PRES ParisTech d’un côté, et l’Hésam de l’autre. Bien que la vision initiale de ParisTech soit morte avec l’émergence de Saclay, les projets se poursuivent. Faire masse en ingénierie nous est utile en termes de relations entreprises et internationales. Nous sommes là sur notre cœur de métier. Avec l’Hésam, nous renforçons l’interface entre ingénierie et sciences sociales. Deux approches complémentaires.

Les universités font face à des difficultés budgétaires. Qu’en est-il pour un établissement comme le vôtre ?

Cette réorganisation nous permet, il est vrai, de faire des économies d’échelle. Moi, je dis à l’État : je ne veux pas d’argent supplémentaire mais des moyens pour fonctionner. Une libération des contraintes qui ne coûte rien. Nous sommes l’école de l’industrie. A l'heure du redressement productif, l’État doit accepter cette position et nous laisser expérimenter.

Sur quoi voulez-vous expérimenter ?

Le monde de l’enseignement supérieur en est encore à la préhistoire au niveau des relations entreprises, y compris nos écoles d’ingénieurs. Avec les entreprises, les établissements sont toujours dans une relation de donneurs d’ordre et de fournisseurs. Nos écoles apportent des stagiaires, des contrats de recherche. C’est très bien, mais c’est le niveau minimal qu’on peut attendre. Nous devons aller plus loin et construire des relations stratégiques. Il faut faire entrer les entreprises dans l’école. Ce qu’on ne peut faire aujourd’hui sous peine d’être accusé de distorsion de concurrence.

Nous n’avons le droit d’héberger une entreprise que sous des conditions drastiques, par exemple. À l’époque de la réindustrialisation du pays, il est dommageable qu’un établissement public ne puisse pas accueillir d’entreprises dans ses murs. De même, il serait bon que les enseignants-chercheurs puissent faire des séjours en entreprise de temps en temps. Mais, pour le moment, cela les pénalise dans leurs carrières car pendant ce temps ils ne font pas de recherche et ne peuvent pas obtenir d’avancement.

 

Le monde de l’enseignement supérieur en est encore à la préhistoire au niveau des relations entreprises

 

Allez-vous poursuivre la diversification des recrutements d’étudiants ?

Par son histoire, Arts et Métiers ParisTech est l’école de l’ascension sociale. Elle le reste encore aujourd’hui – notamment avec le dispositif OPTIM – mais pas assez.

La filière technologique est aujourd’hui en friche et l’école a un rôle à jouer dans sa reconstruction. Nous avions déposé un dossier IDEFI [Initiatives d’excellence en formations innovantes] en ce sens qui n’a finalement pas été retenu, mais nous continuons à travailler autour de ce projet.

Nous allons travailler sur le niveau L [licence] pour recruter des bacheliers, dont une forte proportion de bacheliers technologiques. En termes d’accompagnement comme d’orientation, former des bacheliers ou des titulaires de bac+2 n’a rien à voir. Tous ne seront pas ingénieurs Arts et Métiers. Certains iront après ce premier cycle vers d’autres formations d’ingénieurs, d’autres s’arrêteront là. La filière verra le jour à la rentrée 2014. Nous veillerons à ce que cette nouvelle filière ne soit pas en concurrence avec la prépa PT [physique et technologie], dont nous sommes tout à fait satisfaits.

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier | Publié le