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Patricia Vendramin (sociologue): "Le travail reste une valeur importante mais n'est plus dominante chez les jeunes"

Propos recueillis par Catherine de Coppet Publié le
Patricia Vendramin (sociologue): "Le travail reste une valeur importante mais n'est plus dominante chez les jeunes"
Patricia Vendramin, sociologue à l'université de Louvain (Belgique) // DR // © 
Sociologue à l'université de Louvain en Belgique, Patricia Vendramin soutient que la jeune génération cherche avant tout à se réaliser dans le travail. Une analyse qui met en perspective les résultats d'une récente étude mondiale sur les attentes de la "génération Y".

Comment expliquer le succès du terme "génération Y" et des études qui y sont consacrées ?

L'expression vient des consultants anglo-saxons, qui offrent un service aux entreprises sur des questions qui les interpellent. L'approche de ces études sur les jeunes est très culturaliste, ce sont avant tout les comportements qui sont analysés. Ce type de démarche est intéressant mais évacue totalement les changements intervenus dans le monde du travail ces dernières années, ce qu'une approche socio-économique permet, au contraire.

Comment, dès lors, caractériser le rapport de la jeune génération avec le travail ?

Le regard critique des jeunes vis-à-vis des entreprises ne doit pas faire oublier qu'ils sou­haitent travailler et que nombre d'entre eux ont du mal à trouver un contrat. Nous avons affaire à une génération très qualifiée, avec des attentes élevées vis-à-vis du travail, et ce dans plusieurs dimensions. La dimension instrumentale, car ils attendent un salaire juste et une sécurité de l'emploi. La dimension sociale, au sens où le travail doit apporter des relations sociales de qualité. La dimension expressive, enfin, puisque le travail doit être synonyme d'épanouissement de soi.

Peut-on parler d'attentes fortes des jeunes vis-à-vis des valeurs sociétales ?

Cette génération souhaite retrouver une cohérence éthique entre le monde du travail et la vie à l'extérieur de l'entreprise. Le travail reste une valeur importante mais n'est plus la valeur dominante : les jeunes ont une conception pluri­centrique de l'existence, ils souhaitent se réaliser dans de multiples domaines.

Eu égard au travail, la question du sens est donc déterminante, et c'est là que se situe la possibilité de l'épanouissement. Ce n'est pas en garantissant un cadre de travail agréable que les entreprises assureront cette dimension à leurs salariés. La génération précédente valorisait déjà la question du sens mais celle-ci se pose de façon encore plus criante aujourd'hui. Or, les changements dans l'organisation des entreprises (standardisation, etc.) ne vont pas dans ce sens. Par ailleurs, les jeunes ont moins peur que leurs aînés de la mobilité et du changement, ce qui peut déstabiliser les DRH.

Les jeunes ont une conception pluri­centrique de l'existence, ils souhaitent se réaliser dans de multiples domaines

Comment expliquer ces évolutions ?

L'amélioration des conditions de vie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur le plan économique mais aussi de l'éducation, a contribué à cette évolution des valeurs. L'éthique de l'épanouissement existe depuis Karl Marx mais n'a pu se réaliser qu'une fois les conditions économiques réunies, c'est-à-dire pendant les Trente glorieuses.

L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail est aussi un axe d'explication : leurs attentes vis-à-vis de la dimension expressive du travail, au-delà de la conciliation avec la vie de famille, sont plus fortes que pour les hommes, et cela influence le monde du travail. Il est intéressant de noter que beaucoup d'hommes jeunes très qualifiés sont désormais porteurs de ce type de valeurs favorables à l'épanouissement.

Note-t-on une tendance des jeunes à vouloir se réaliser professionnellement hors du monde salarié ?

Ce n'est pas parce que les jeunes attachent de l'importance à l'autonomie dans le travail, la liberté d'action et la participation aux décisions, qui sont souvent des valeurs associées à l'ac­ti­vité indépendante, que leur idéal est de se ­mettre à leur compte. Les jeunes sont tout à fait prêts à être salariés dans des entreprises qui leur assurent ces valeurs... On ne peut donc parler de tendance à ce niveau-là.

"Un rôle positif "
"Encourager l'esprit d'innovation, développer leurs compétences et jouer un rôle positif dans la société" sont les trois principales missions assignées aux entreprises par les actifs de 18 à 30 ans interrogés lors de la 3e édition annuelle de la Millennial Survey publiée par Deloitte*. Si près de 3 sur 4 estiment que les entreprises ont un impact positif sur la société (emploi, croissance), les interviewés jugent insuffisante l'action des acteurs économiques sur la pénurie des ressources (68%), l'égalité des revenus (64%). Plus de 50% aspirent à œuvrer dans une entreprise "aux pratiques éthiques" et près de 80% pointent l'innovation comme critère important dans le choix de leur employeur.
* Millennial Survey Deloitte Touche Tohmatsu Limited (DTTL), 23 janvier 2014.
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Propos recueillis par Catherine de Coppet | Publié le