Que reprochez-vous à l’enseignement de l’économie à l’université aujourd'hui ?
Il est très abstrait et accorde une place disproportionnée à l’acquisition des techniques, au détriment des matières réflexives telles que l’histoire de la pensée économique ou l’épistémologie. Ces dernières sont pourtant indispensables à un recul critique.
En outre, l’enseignement de l’économie en licence souffre d’un manque de pluralisme théorique - la théorie néo-classique est largement hégémonique - accentué par le contenu même des manuels souvent très normatifs. D’où un certain malaise parmi les étudiants qui, après trois années passées à étudier l’économie, ne sont pas capables de comprendre les mécanismes économiques et donc d’analyser les événements actuels. L’enseignement reçu est trop déconnecté du réel.
L’exemple le plus flagrant concerne la crise qui, alors qu’elle bouleverse l’économie mondiale, s’est arrêtée à la porte des salles de classe des universités d’économie. Notre constat repose sur l’analyse des intitulés d’enseignements de 50 des 54 licences d’économie proposées en France. Il ressort de cette étude une vision étriquée et très technique de l’enseignement de l’économie.
Que proposez-vous ?
Nous avons présenté, lors des états généraux, une maquette alternative de licence en économie dont le maître mot est le pluralisme : théorique, conceptuel et disciplinaire. L’idée est de repenser l’enseignement de l’économie non plus à partir d’une approche disciplinaire (macro, micro, théories économiques) mais d’une approche par objet d’étude comme le chômage, la monnaie, l’écologie, la croissance, etc.
L’énorme avantage de cette approche, c’est qu’elle permet de mettre en relation la théorie et la réalité et qu’elle fait appel à d’autres enseignements que l’économie comme la sociologie, l’anthropologie ou la géographie.
L’enseignement de la pensée et des faits économiques constituera la colonne vertébrale de l’enseignement en licence. Ce cours sera l’occasion de voir chaque théorie en détail, en les resituant dans leur contexte historique et politique.
L’enseignement de la pensée et des faits économiques constituera la colonne vertébrale de l’enseignement en licence.
Vous dénoncez une hégémonie des approches quantitatives en économie, comment comptez-vous y remédier ?
Nous ne sommes pas "anti-mathématiques" ni "anti-statistiques", mais nous souhaitons mettre ces enseignements sur un pied d’égalité avec l’apprentissage des méthodes qualitatives qui proviennent des autres sciences sociales, comme la technique d’enquête ou de recherche en archives.
Si vous voulez expliquer des phénomènes économiques complexes, vous êtes obligés de passer par la complémentarité entre méthodes quantitatives et qualitatives.
Votre maquette de licence ressemble à ce qui est enseigné en lycée, à travers les SES (sciences économiques et sociales) ?
Paradoxalement, aujourd’hui, un bachelier de la série économique et sociale est mieux armé pour comprendre le monde contemporain qu’un étudiant achevant sa licence d’économie.
Pour élaborer notre maquette, nous nous sommes donc largement inspirés de ce qui se fait en lycée, sur le contenu : pluralisme théorique et disciplinaire, comme sur la démarche : le cours comme réponse à une problématique.
Ne craignez-vous pas que cela dévalorise la licence ?
Non, au contraire. La licence conservera un ancrage disciplinaire fort, nous restons une licence d’économie qui s’ouvre aux sciences sociales. Elle a pour ambition de permettre aux étudiants de poursuivre leurs études vers le master qu’ils souhaitent, mais aussi de les préparer aux concours publics et aux masters professionnels.