Vous étiez directeur de cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, au moment de l'élaboration et du vote de la LRU. Dix ans après la mise en application de ce texte, quel bilan en tirez-vous ? Les résultats sont-ils à la hauteur de vos espérances ?
Je suis forcément un peu déçu. Quand on écrit une loi, on est toujours convaincu qu'elle va changer le système, instaurer de nouvelles dynamiques. Or, le changement est toujours plus lent à advenir. Deux éléments permettent d'expliquer cette lenteur : d'une part, nous ne sommes pas allés assez loin dans l'esprit du texte, d'autre part, la loi a créé de nombreuses opportunités qui n'ont pas été saisies par les établissements.
Nous avions par exemple ouvert la possibilité de recruter des enseignants-chercheurs en dehors des procédures nationales, ce qui offre une grande flexibilité aux universités, mais très peu ont profité de ces mécanismes. En France, les acteurs restent très étatiques. Au fond, on recherche toujours la bienveillance et l'autorité de l'État.
Autre exemple, nous avons autorisé les universités à créer des fondations pour développer leurs financements propres. Beaucoup se sont lancées dans l'aventure mais sans réelle stratégie et les universités souffrent encore d'une mauvaise image auprès des entreprises. On pourrait toutefois mentionner, en contre-exemple, l'université de Nice, qui a développé des choses extraordinaires, dont d'importants partenariats avec les industries et des diplômes internes.
La loi a créé de nombreuses opportunités qui n'ont pas été saisies par les établissements.
Malgré tout cela, je considère néanmoins que la LRU est un succès car on ne reviendra jamais en arrière. Aucun des acteurs en responsabilité, aucun président d'université ne remet en cause cette autonomie. C'était une évolution inévitable pour rester compétitif par rapport aux universités à l'international, bien que le système soit imparfait et les moyens toujours insuffisants.
Dans un entretien récent accordé à EducPros, l'ancienne présidente de Paris 8, Danielle Tartakowsky, soulignait les inégalités entre établissements pour attirer les fonds privés, inégalités inhérentes, selon elle, aux spécialisations disciplinaires et à la localisation...
L'idée selon laquelle les universités de sciences humaines et sociales seraient défavorisées par rapport aux universités scientifiques me semble fausse. Ces établissements ont un véritable potentiel pour attirer les entreprises. Il n'y a qu'à regarder ce qui se passe dans le monde des humanités : les humanités digitales évoluent à grande vitesse et la France a un vrai coup à jouer tant elle bénéficie d'un rayonnement mondial et historique sur ces sujets.
Dans cette perspective, des partenariats entre universités de sciences humaines et sociales, universités technologiques, écoles d'ingénieurs et entreprises seront plus que nécessaires. Il ne faut surtout pas rater le coche.
La critique la plus récurrente à l'encontre de la LRU reste qu'elle a mis en place une autonomie sans moyens. Peu après le passage aux RCE (responsabilités et compétences élargies), de nombreux établissements sont tombés dans le rouge. N'avez-vous pas transféré aux établissements la responsabilité de réduire leurs coûts, dans un contexte plus global de réduction des dépenses publiques ?
Absolument pas. Nous n'avons jamais relié la question de la réduction des dépenses et la mise en place de l'autonomie. D'ailleurs, le quinquennat de Valérie Pécresse s'est traduit par une revalorisation des salaires des enseignants-chercheurs, des investissements dans le plan Réussite en licence (730 millions d'euros) ou encore dans le plan Campus, sans oublier les investissements d'avenir. Au total, le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche a augmenté de 2007 à 2010 puis a stagné.
On peut, bien sûr, considérer qu'il n'y a jamais assez d'argent dans le système universitaire. Il n'empêche, je reste persuadé que les acteurs peuvent être beaucoup plus efficaces, et je ne parle pas de supprimer des heures de formation ou de geler des postes, mais de capacité à développer des stratégies viables en lien avec le monde économique.
Les RCE ne sont pas directement responsables des déficits des établissements.
La formation professionnelle en France, c'est 35 milliards d'euros, soit plus que le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il n'y a aucune raison pour laquelle les universités ne pourraient pas réussir à capter une partie de ce budget et de ce marché. Mais cela demande un vrai travail de fond. L'objectif n'est donc pas de faire plus d'économies mais d'aller trouver des ressources non publiques et surtout d'avoir un vrai discours politique et social au plus haut niveau de l'État sur la valeur de chaque citoyen dans un système de formation différencié.
Quant à la détérioration de la situation financière des établissements, les RCE n'en sont pas directement responsables. Le transfert de la masse salariale aux établissements leur permettait de basculer une partie de cette masse salariale vers le fonctionnement, et d'innover sur des projets ciblés. Or, de nombreux établissements ont saturé tout de suite leur plafond d'emplois perdant dès lors toute marge de manœuvre.
Malgré les millions du plan Réussite en licence, le taux de réussite en licence reste d'une stabilité étonnante depuis une dizaine d'années, autour de 27 %. Comment l'expliquez-vous ?
Pour réellement lutter contre l'échec en licence, il faudrait assumer une différenciation des établissements, avec des collèges universitaires proposant des formations courtes et professionnalisantes, ouvrant la porte au monde de l'entreprise en ménageant des portes aux universités de recherche. Il y a autant de valeur à être une université de formation qu'une université de recherche.
Là encore, nous ne sommes pas allés au bout de notre logique. Les universités ont le droit de créer des diplômes internes mais peu le font. Il y a en France, un très grand attachement au diplôme national sans que la supériorité de ce système n'ait jamais été démontrée. Penser que les diplômes se valent parce qu'ils sont nationaux est une illusion dont personne n'est dupe.
Penser que les diplômes se valent parce qu'ils sont nationaux est une illusion dont personne n'est dupe.
La valeur d'un diplôme ne tient pas à son caractère national mais à la qualité des gens qui le possèdent. Vu de l'extérieur, le système reste très contraignant en France. On donne de l'autonomie mais en même temps on ne fait pas confiance, on surveille.
Une concertation sur la mise en place de prérequis à l'entrée des licences vient d'être lancée. L'idée de prérequis fixés de manière indépendante par chaque université vous semble-t-elle réaliste et/ou souhaitable ?
Quand on voit la situation en Staps, la mise en place d'une sélection paraît inévitable. Une partie de l'université est déjà sélective (les IUT, les écoles d'ingénieurs internes, les IAE, les doubles licences...) et il est aberrant que les licences ne le soient pas. Mais bien sûr, cela passe par cette différenciation des universités et ce discours politique que j'évoquais précédemment.
Rien n'est perdu, rien n'est impossible mais je ne suis pas sûr que l'injonction de l'État soit la réponse à tout. Laissons à chaque université l'autonomie de proposer des solutions sans qu'elles soient encadrées par des carcans administratifs. Il faut devenir réaliste et pragmatique.
- Lire la biographie EducPros de Philippe Gillet