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Philippe Poutou : "Nous proposons que les universités se gouvernent elles-mêmes"

Catherine de Coppet Publié le
Philippe Poutou : "Nous proposons que les universités se gouvernent elles-mêmes"
Philippe Poutou veut déconnecter l'université "des exigences immédiates de l'entreprise". // ©  Romain Beurrier/REA
Plus de moyens pour une gouvernance plus démocratique des universités, c'est, entre autres, ce que propose Philippe Poutou, le candidat du NPA à l'élection présidentielle. Dans une interview réalisée par écrit pour EducPros, il détaille ses propositions. Nouveau volet de notre série d'entretiens avec les candidats à l'élection présidentielle, tous sollicités par notre rédaction.

Vous plaidez pour des créations massives de postes de fonctionnaires et une titularisation des précaires... Combien de postes supplémentaires pour l'enseignement supérieur prévoyez-vous ?

Il est difficile de formuler un chiffre : toutes les données ne sont pas disponibles pour quantifier exactement les besoins. Mais, selon nous, le principe devrait être d'embaucher d'ores et déjà l'ensemble des précaires travaillant dans les universités (des administrations aux cantines en passant évidemment par les bibliothèques, les départements d'enseignement et les laboratoires de recherche), et sans qui ces établissements ne pourraient pas fonctionner.

En outre, il faut des créations de poste pour améliorer les formations proposées et la qualité d'enseignement, ce qui passe notamment par la baisse du nombre d'étudiants par enseignant. C'est d'ailleurs là une mesure de justice sociale : il n'y a aucune raison que les classes préparatoires aux grandes écoles, qui accueillent un public socialement beaucoup plus favorisé, bénéficient d'un taux d'encadrement et de conditions d'enseignement nettement plus favorables que les universités.

Rappelons qu'en 2012, un étudiant à l'université "coûtait" à l'État 10.940 euros en moyenne par an, contre 15.020 euros pour un élève de classe prépa. C'est à cette situation qu'il faut mettre fin, mais par le haut.

Vous proposez des "budgets adaptés aux besoins réels" et la suppression des lois LRU et Fioraso... Quel sera alors le schéma de fonctionnement de l'enseignement supérieur ?

Nous sommes favorables à la fois à un financement public accru – donc par l'impôt (nous proposons d'ailleurs une véritable révolution fiscale) – et un maximum d'autonomie locale pour les universités. La LRU, contrairement à ses prétentions, n'a d'ailleurs pas instauré une véritable autonomie des universités.

Elle a abouti en réalité à la situation inverse pour l'immense majorité des personnels des universités, en créant les conditions d'un pouvoir arbitraire des présidents d'université, et en aboutissant à la mise en difficulté de nombreuses universités (pour certaines en faillite). L'autonomie à la mode LRU, confirmée par la loi Fioraso, c'est en fait l'autonomie des présidents d'université et le désengagement de l'État !

Ce que nous proposons, c'est que les universités se gouvernent elles-mêmes au maximum (donc avec un minimum d'ingérence de l'État dans les contenus de formation par exemple), en faisant effectivement des choix démocratiques, décidés par les personnels dans le cadre d'assemblées et d'élections à la base.

Les universités – mais aussi les équipes de recherche, les laboratoires – doivent bénéficier de financements à la fois augmentés et pérennes, pour stopper le recours croissant aux personnels précaires et permettre à chacun de travailler dans de bonnes conditions. Et ainsi assurer les meilleures conditions d'accueil et d'étude à l'ensemble des étudiants.

L'autonomie à la mode LRU, confirmée par la loi Fioraso, c'est en fait l'autonomie des présidents d'université et le désengagement de l'État !

Vous promettez de supprimer la sélection à l'université... Qu'entendez-vous par là ? Comment répondrez-vous à la question des filières dites en tension ?

Le problème que vous mentionnez – les filières en tension – découle directement des politiques d'austérité qui affectent l'université et qui la détruisent. Notre réponse, c'est à la fois le refus de la sélection ET un investissement public massif dans l'université publique, pour permettre à chaque bachelier de suivre des études dans la filière de son choix. Il est quand même aberrant qu'actuellement, alors que les richesses ne manquent pas (les grandes entreprises battent des records de profits), il n'y ait de choix qu'entre la sélection et le tirage au sort.

Par ailleurs, il faut remarquer la profonde injustice à vouloir instaurer une sélection à présent que le bac est devenu accessible au plus grand nombre, notamment aux enfants des classes populaires. Quand le bac était obtenu essentiellement par les enfants des classes socialement privilégiées, jusqu'aux années 1960, il n'était pas question de sélectionner !

Enfin, rappelons que la sélection – même si elle est toujours présentée comme étant réalisée sur des critères scolaires – fonctionne en fait comme une sélection sociale, une sélection de classe. Elle aboutira ainsi inévitablement à exclure des études supérieures beaucoup d'enfants des classes populaires, encore plus qu'aujourd'hui.

Nous nous battons effectivement pour une université qui assume une déconnexion certaine des exigences immédiates des entreprises.

Vous prônez l'absence de chefs d'entreprise dans les conseils d'administration des universités... Et, plus généralement, une séparation de l'éducation des intérêts des entreprises... Comment l'enseignement supérieur doit-il s'articuler avec le monde du travail ?

D'abord, il n'y a pas besoin de chefs d'entreprise dans les conseils d'administration des universités pour que les universités soient connectées d'une certaine manière au monde du travail ; à moins de penser que ce que l'on apprend à l'université n'a aucune utilité pour former des enseignants, des psychologues, des médecins, des avocats, etc.

Ce que nous refusons, c'est en premier lieu la domestication patronale de l'université, à travers des filières qui seraient strictement ajustées aux exigences patronales, des contenus de formations dictées par les entreprises et qui viseraient essentiellement à conformer les étudiants à leurs futures places ou tâches dans le monde du travail. Mais plus profondément, nous nous battons effectivement pour une université qui assume une déconnexion certaine des exigences immédiates des entreprises.

Outre le fait que les qualifications nécessaires évoluent vite, et qu'il est sans doute plus utile pour le système éducatif de transmettre des savoirs permettant aux individus de réfléchir et d'apprendre par eux-mêmes, nous pensons que l'université a un rôle qui va bien au-delà de la formation de travailleurs qualifiés.

Selon nous, elle devrait former des citoyens capables d'exercer leur esprit critique, de comprendre le monde dans lequel ils vivent, de se l'approprier véritablement ; et ce peu importe la profession qu'ils exerceront par la suite. Pour cela, l'université ne peut pas être soumise au temps économique et aux exigences patronales. À l'université, membres du personnel ou étudiants ont besoin de disposer de leur propre temps, libérés de l'urgence et des impératifs de rentabilité auxquels sont soumis les salariés.

Catherine de Coppet | Publié le