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Pierre Cahuc : "L'apprentissage doit concerner en priorité les jeunes sans diplôme"

Danièle Licata Publié le
Pierre Cahuc : "L'apprentissage doit concerner en priorité les jeunes sans diplôme"
Pierre Cahuc , économiste et auteur de la note du CAE sur l'apprentissage // ©  C. Lebedinsky / Challenges-REA
Si les effectifs d'apprentis ont quasiment doublé en vingt ans, l'apprentissage profite surtout aux diplômés, notamment du supérieur. Or, en laissant les jeunes sans diplôme de côté, l'alternance ne joue pas son rôle d'insertion. Il est donc urgent de réformer en profondeur le pilotage du système. Un avertissement que lance l'économiste Pierre Cahuc avec Marc Ferraci dans la dernière note du CAE (Conseil d'analyse économique), publiée mercredi 7 janvier 2015.

Dans la nouvelle note du CAE (Conseil d'analyse économique) que vous venez de publier avec Marc Ferracci (et la contribution de Jean Tirole et Étienne Wasmer), vous plaidez pour une réforme en profondeur de la formation en alternance en France. Pourtant, en une décennie, les effectifs d'apprentis sont passés de 211.000 à 405.000. Alors pourquoi vouloir tout révolutionner ?

L'apprentissage en France s'adresse de moins en moins aux jeunes peu ou pas diplômés. Certes, les effectifs d'apprentis ont crû de 211.000 en 1992 à 405.000 en 2013, mais ce bond a essentiellement bénéficié aux jeunes déjà diplômés, notamment ceux du supérieur. Pour preuve : deux jeunes sur trois entrant en apprentissage en 2011 avaient déjà un diplôme, contre un sur deux en 1992. Et la part des diplômés du supérieur est passée de 1% à 14% sur la même période.

Si le développement de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur peut s'avérer favorable pour les publics concernés, les travaux existants montrent pourtant que ce dispositif de formation a un impact beaucoup plus décisif pour les jeunes sortis sans diplôme de l'enseignement général. En d'autres termes, c'est justement pour ces jeunes que l'apprentissage est le plus utile en termes d'insertion professionnelle.

Pourquoi le système en place a-t-il dérivé, selon vous ?

Le développement de l'apprentissage repose sur une importante contribution financière de l'État, des Régions et des entreprises. En outre, les moyens financiers consacrés à l'apprentissage ont augmenté de plus de 50% entre 2000 et 2012. Pourtant, le nombre de personnes en formation en alternance (apprentissage et contrat de professionnalisation) reste nettement plus faible que dans des pays qui réussissent à intégrer efficacement les jeunes dans l'emploi grâce à l'alternance, comme l'Allemagne. Les causes du dysfonctionnement sont multiples. D'abord, le circuit de la formation professionnelle en alternance est beaucoup trop complexe. De nombreux acteurs y interviennent : l'Éducation nationale, les Régions, les chambres de commerce, l'État, les organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage (OCTA), les partenaires sociaux, les branches, les entreprises, pour n'en citer que quelques-uns. Leurs actions ne sont pas systématiquement coordonnées. Le système n'a pas de pilote.

Pourtant la loi Sapin de mars 2014 contribue à réduire cette complexité, en abaissant de 140 à 40 le nombre d'organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage ?

En effet, mais le nombre d'intermédiaires demeure encore trop important, au détriment de la lisibilité du système, de son pilotage d'ensemble et du contrôle de sa qualité. Du coup, une partie importante des ressources qui devraient être dévolues à des formations en alternance pour des jeunes peu ou pas diplômés est orientée au profit de formations de l'enseignement supérieur qui se déroulent parfois hors alternance.

En outre, créer une formation en apprentissage est très compliqué pour les entreprises. Par conséquent, elles n'en proposent pas suffisamment et sont insuffisamment impliquées dans le système. Une autre difficulté réside dans le poids des enseignements académiques généraux tels que le français ou les mathématiques, qui occupent une place importante à l'examen, au niveau du CAP notamment. Cela contribue à un taux d'abandon très élevé dans l'enseignement professionnel (d'environ 40% au niveau du CAP).

Le financement des établissements d'enseignement supérieur et de recherche doit passer par d'autres canaux que la taxe d'apprentissage.

Et l'Éducation nationale dans tout cela ?

L'Éducation nationale, trop éloignée de l'entreprise, ne semble avoir ni les moyens ni les incitations pour offrir aux jeunes des formations professionnelles qui valorisent suffisamment des compétences pratiques. Et puis, n'oublions pas que l'apprentissage peine encore à être perçu par les enseignants, les acteurs de l'orientation et les familles comme une solution positive d'orientation. Finalement, ni les entreprises ni les jeunes ne trouvent leur compte.

Que faire pour inverser la tendance ?

Il est indispensable d'instituer un système plus simple, plus transparent. Cela passe par une modification de sa gouvernance. Une instance nationale, composée de représentants des branches professionnelles, des ministères du Travail et de l'Éducation nationale, déciderait des orientations générales. Des agences de certification seraient responsables du contrôle de qualité et de mise en œuvre des formations subventionnées et les Régions du versement des subventions. Dans ce système, qui s'inspire de celui qui prévaut en Allemagne pour la formation professionnelle, l'apprentissage et le contrat de professionnalisation seraient unifiés ainsi que le financement et la collecte.

Nous proposons enfin de concentrer sur l'apprentissage et le pré-apprentissage les moyens publics en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes peu qualifiés, de réduire la part des matières générales dans les diplômes de CAP et de promouvoir le tutorat des apprentis. Le financement des établissements d'enseignement supérieur et de recherche doit passer par d'autres canaux que la taxe d'apprentissage, dans le cadre d'une réforme plus globale des modes de financement de ces établissements.

 

Danièle Licata | Publié le