Vous allez mener la mission pour la réforme sur le lycée et le baccalauréat, qui débutera "prochainement", selon Jean-Michel Blanquer. Selon vous, pourquoi le ministre vous l'a-t-il proposée ?
Comme on le présente comme un homme de droite, c'est bien que l'on me présente, moi, comme un homme de gauche. Comme cela, nous ferons une réforme bipartisane ! Plus sérieusement, je pense que la proposition qui m'a été faite par le ministre renvoie à plusieurs éléments. Nous nous connaissons depuis longtemps, nous avons été collègues et nous entretenons, je crois, une relation de confiance. Il sait donc que j'ai une certaine liberté de langage et une appétence pour le débat et l'échange.
Je pense aussi, par mon parcours, représenter une sorte de compromis entre le monde des écoles et celui de l'université. J'ai une bonne connaissance du lycée, grâce au programme de démocratisation PEI (programme d'études intégrées) que j'ai mis en place à Sciences Po Lille en 2007, dont je m'occupe encore, et que Jean-Michel Blanquer avait fortement soutenu lorsqu'il était Dgesco (Directeur général de l'enseignement scolaire). Enfin, je suis un ancien lycéen de province, boursier de la République, et un parent qui vient d'en terminer avec quatorze ans de lycée, ce qui me permet également de faire valoir une expérience d'usage.
Pourquoi avez-vous accepté ce rôle ?
D'abord parce que je sais que le ministre me laisse la possibilité de réfléchir librement et parce que je pourrai mener de nombreuses auditions et entendre les parties prenantes dans leur diversité. Ensuite et surtout, parce que je pense que la question du lycée et du bac représente un enjeu majeur pour notre système éducatif et sans doute pour la société tout entière.
Et dans cet enjeu, il y a celui de l'égalité des chances auquel je suis très attaché car, on le sait bien, le lycée dans son fonctionnement actuel est reproducteur d'inégalités. La réforme qu'il s'agit de mener doit bien évidemment bénéficier à l'ensemble des presque 2 millions de lycéens concernés.
Si on réussit, il est clair que les jeunes des milieux moins favorisés, ceux qui sont peu ou mal informés, peu ou mal encouragés et soutenus, tant au lycée que dans l'enseignement supérieur, s'en sortiront mieux. D'une certaine façon, les lycéens des catégories plus favorisées (ou plutôt leurs parents) ont toujours des ressources pour s'adapter aux réformes.
S'il s'agissait seulement de réduire le nombre des épreuves, je ne serais pas là.
Quelle méthode de travail suivrez-vous pour cette mission ?
Nous fonctionnerons en deux temps. Je mènerai d'abord une séquence d'auditions nombreuses des divers acteurs du lycée et de l'enseignement supérieur, en bénéficiant de l'appui technique des inspections générales, de la Dgesco et de la Dgesip. Je crois que nous ne sommes pas loin de 65 rencontres à mener. Nous terminerons cette séquence, si cela est possible, par des visites académiques et peut être par un voyage à l'étranger, car il est toujours intéressant de voir comment les choses se passent dans un autre pays.
Dans un second temps, je rédigerai un rapport à l'attention du ministre, dans lequel j'essaierai de tracer le plus précisément possible les contours de la réforme. J'ai donc une latitude de manœuvre certaine et, bien entendu, je travaille en coopération étroite avec le ministre et avec les services.
Comment réussir à faire passer cette réforme ?
Faire évoluer le lycée et le bac est une nécessité et bien entendu un objectif complexe, car il met en scène de très nombreux acteurs et véhicule beaucoup d'enjeux. Il faut donc, me semble-t-il, être très attentif aux propositions des acteurs et rechercher un chemin de compromis entre eux, ce qui passe d'abord par le fait d'arriver à se mettre d'accord sur des finalités : que voulons-nous faire du lycée et du bac et pourquoi ?
Mon objectif majeur est de parvenir des propositions qui ouvriront la voie à de vraies réformes globalement acceptables et acceptées par les parties prenantes. Mais je n'ai pas accepté cette responsabilité pour faire des ajustements techniques ici ou là. S'il s'agissait de ne changer que quelques coefficients au bac ou d'en réduire le nombre des épreuves, je ne serais pas là.
Ma conviction est que le lycée ne peut plus fonctionner comme s'il était la fin de l'histoire pour les élèves.
Quelle philosophie souhaitez-vous donner aux futurs lycée et baccalauréat ?
Ma conviction est que le lycée ne peut plus fonctionner comme s'il était la fin de l'histoire pour les élèves. Or je crois qu'il continue à fonctionner dans cette optique-là, alors même que 88 % réussissent le bac et que plus de 90 % d'entre eux continuent dans l'enseignement supérieur. Le lycée et le bac doivent vraiment s'inscrire dans un continuum d'instruction et de formation pour des jeunes qui, pour beaucoup, étudieront jusqu'à 23 ans et atteindront un niveau master.
Il faut que les bacheliers scientifiques soient vraiment prêts pour les filières scientifiques du supérieur. Il faut qu'un 18 au bac vaille réellement un 18. Aujourd'hui, presque 50 % des bacheliers mention très bien obtiennent ce résultat grâce aux points supplémentaires des options facultatives. Cet exemple, parmi d'autres, m'interpelle un peu...
Comment la réforme du lycée doit-elle s'adapter à celle de l'entrée à l'université ?
De nombreuses décisions annoncées par Frédérique Vidal le 30 octobre auront évidemment des effets sur le lycée, principalement tout ce qui concerne l'orientation, les avis des conseils de classe, le rôle que doit jouer l'enseignement supérieur au lycée. Si l'on veut vraiment relever le défi d'un passage réussi des lycéens dans l'enseignement supérieur, il est évident que l'articulation entre les deux échelons doit être repensée. Par exemple, l'une des questions que nous devrons nous poser concerne la date des épreuves du bac si nous voulons qu'un jour les notes obtenues soient prises en compte dans la nouvelle application qui remplacera APB.