La question des droits d'inscription à l'université, et plus généralement dans l'enseignement supérieur, ne figure pas dans votre programme. Pour quelles raisons ?
Si je ne l'ai pas mentionnée, c'est que je n'ai pas pour projet d'augmenter les droits d'inscription à l'université. Cela aurait aujourd'hui des effets néfastes sur l'accès à l'enseignement supérieur des étudiants issus des milieux moins favorisés ou encore de classes moyennes, lorsqu'ils ne sont pas boursiers. Or, l'enjeu c'est l'accès équitable à la réussite et la formation de toute une génération.
L'État prendra ses responsabilités pour le financement de l'université. Par ailleurs, le secteur privé, qui a intérêt à embaucher des jeunes bien formés, pourra aussi contribuer à travers les fonds de la formation professionnelle. Ma position est plus ouverte sur les droits d'inscription des étudiants étrangers : il n'y a pas de raison que les contribuables français financent les études de tous les étudiants étrangers qui choisissent de venir chez nous, cela doit relever d'une stratégie d'internationalisation des établissements français.
Vous parlez "d'afficher des prérequis" à l'entrée de toutes les formations universitaires. Entendez-vous par là une sélection à l'entrée en licence ?
J'ai le devoir d'être lucide : seuls trois étudiants sur dix obtiennent leur licence en trois ans. C'est un gâchis d'efforts pour les étudiants, mais aussi un gâchis de moyens, évalué à 500 millions par an. Le bac doit continuer à donner accès à l'enseignement supérieur. Mais plusieurs évolutions doivent être conduites.
D'abord, le lycée va évoluer vers un système plus modulaire (c'est la logique du bac à quatre matières). Ensuite, chaque filière du supérieur pourra fixer les connaissances indispensables à l'entrée : l'inscription supposera que les bons modules aient été acquis, soit au bac, soit lors de cours d'été ou un semestre dédié à l'université.
Dans chaque académie, tous les étudiants pourront accéder à une formation supérieure correspondant à leurs orientations. Mais ce parcours pourra comporter des mises à niveau dans telle ou telle matière en amont de la licence. Ce nouveau système instaurera un contrat de réussite entre l'étudiant et l'université, qui définira, à chaque fois que nécessaire, un parcours de formation personnalisé. Les universités seront invitées à développer une politique d'innovation pédagogique ambitieuse autour de cet objectif, avec le soutien de l'État. Cela permettra de proposer aux étudiants des formations où ils s'épanouiront, plutôt que des formations où ils sont susceptibles de décrocher et d'échouer, comme cela est trop souvent le cas aujourd'hui.
Que pensez-vous du recours au tirage au sort ?
Je considère qu'il est injuste et inefficace : il faut une véritable politique d'orientation assumée. L'augmentation et la diversification de l'offre de formation, le système des prérequis avec un contrat de réussite rendent caduque l'idée de recourir in extremis au tirage au sort.
L'inscription [dans l'enseignement supérieur] supposera que les bons modules aient été acquis, soit au bac, soit par des cours d'été ou un semestre dédié à l'université.
Vous écrivez vouloir "franchir une nouvelle étape" dans l'autonomie des universités. Cette dernière doit-elle donc être renforcée ?
Aujourd'hui, l'enseignement supérieur est au milieu du gué : la centralisation n'est plus ni possible ni souhaitable, mais l'autonomie réelle se fait attendre. Sur ce sujet, notre pays est en queue de peloton dans la comparaison effectuée par l'Association européenne des universités.
Il faut libérer l'énergie de nos universités, leur capacité à se réinventer en leur donnant une autonomie réelle et concrète : une plus grande souplesse, leur permettant de s'adapter à la spécificité de leurs besoins et de mieux faire face à la concurrence internationale. Cette question est fondamentale et ce n'est pas une question technique : cela concerne tout le monde à l'université et cela aura des effets positifs, concrets, sur les conditions d'étude des étudiants et sur les conditions de travail des enseignants-chercheurs.
En quoi cette autonomie accrue consisterait-elle ?
Cela signifie d'abord une plus grande autonomie pédagogique, afin que les enseignants développent de nouvelles façons de faire cours, davantage centrées sur les besoins des étudiants et la réussite du plus grand nombre : numérique, alternance, plus de flexibilité pour les étudiants qui travaillent ou qui ont un engagement associatif...
L'autonomie des universités, ce n'est donc pas seulement l'autonomie des présidents d'université : c'est celle aussi des enseignants-chercheurs et de l'ensemble de la communauté de l'université. En complément de ces nouvelles libertés pédagogiques, il faudra veiller à ce que les dispositifs d'évaluation des enseignements et des formations par les étudiants soient effectifs à tous les niveaux, et en contrôler l'exercice, notamment lors de l'évaluation périodique et dans le cadre de l'accréditation.
L'autonomie des universités, ce n'est donc pas seulement l'autonomie des présidents d'université.
Quid du recrutement des enseignants-chercheurs ?
Nous permettrons aux universités de recruter elles-mêmes des enseignants-chercheurs sous statut dans le cadre d'une procédure vraiment décentralisée. Ces établissements qui souhaiteront maîtriser leur politique scientifique et disposer d'une véritable réactivité, notamment face à leurs compétiteurs au plan international, se verront dotés de capacités accrues de recrutement direct sur normes nationales, mais sans obligation de recourir au CNU (Conseil national des universités).
La qualité des recrutements fera l'objet d'une évaluation a posteriori et interviendra dans les relations contractuelles entre l'État et l'université. Le processus devra éviter tout risque de localisme et se conformera à la norme académique, qui réprouve le primorecrutement au sein de l'université où l'on a passé son doctorat, et satisfaire au respect des normes internationales de qualité et d'indépendance.
Cet accroissement de l'autonomie aura-t-il un impact sur la gouvernance même des universités ?
Nous instaurerons, en cinq ans, un système universitaire structuré autour d'établissements autonomes, définissant librement leur stratégie et leur organisation, mais aussi leur offre de formation et de recherche et leurs partenariats stratégiques. La réglementation sera réduite et modifiée pour favoriser le développement des initiatives.
En contrepartie, nous évaluerons les résultats obtenus, via une procédure simple, conduite selon les meilleures pratiques internationales et adaptée aux spécificités des établissements. Je souhaite également donner aux universités la possibilité de choisir un mode de recrutement de leurs dirigeants conforme aux normes internationales.
Dans votre programme figure "le soutien à la constitution d'universités de niveau mondial, sur la base de regroupements volontaires d'universités et de grandes écoles". Qu'entendez-vous par là ?
Le paysage mondial de l'enseignement supérieur est en mutation rapide. Nous ne pouvons pas nous permettre de décrocher, ni pour l'université française, ni pour les étudiants, ni pour l'économie. La France dispose d'établissements de premier plan et d'équipes de recherche au meilleur niveau mondial, mais nos institutions sont en retard, nos pratiques parfois désuètes et nous ne répondons pas suffisamment aux attentes des étudiants. De plus, l'approche engagée avec les Comue n'est pas satisfaisante partout.
Voilà pourquoi je fixe comme objectif pour le prochain quinquennat de transformer le paysage de notre enseignement supérieur grâce à un cadre juridique innovant et adaptable ; en permettant notamment la création de nouveaux ensembles cohérents, qui transcendent les distinctions historiques entre universités, écoles, organismes, sur la base du volontariat des acteurs. Cela encouragera la constitution d'universités de niveau mondial, plus visibles et plus attractives.
L'approche engagée avec les Comue n'est pas satisfaisante partout.
Cela signifie-t-il la poursuite de la politique des Idex, dont l'objectif était de faire émerger une dizaine d'universités de rang mondial ?
Depuis dix ans, avec l'expérience acquise dans le cadre de l'action du PIA (programme d'investissements d'avenir), nous avons une meilleure idée de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Il est clair que le PIA, qui a porté les Idex (initiatives d'excellence) est un succès ; nous poursuivrons ce mouvement. D'autres formes d'excellence, davantage centrées sur la formation ou plus ancrées dans les territoires, seront aussi encouragées.
Le livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche préconise une hausse des dépenses de l'État de 10 milliards d'euros en dix ans pour le secteur. Êtes-vous sur la même ligne ?
Je suis convaincu de la nécessité de créer un nouveau modèle de croissance, qui permette de développer et de valoriser les compétences des Français, en prenant appui sur l'innovation et en favorisant de nouveaux modes de vie plus économes en ressources. C'est pour cela que je me suis engagé à lancer un grand plan d'investissement de 50 milliards d'euros. Naturellement, l'enseignement supérieur et la recherche en bénéficieront.
Tout d'abord, nous investirons dans les campus, avec la création de 60.000 nouveaux logements pour les étudiants. Nous développerons également fortement le numérique dans les universités, parce qu'il peut transformer l'ensemble de notre société et que les étudiants doivent être à la pointe dans ce domaine.
Nous devons aussi engager un effort national pour les compétences. Je souhaite que les universités y prennent toute leur part, dans la formation initiale comme dans la formation continue, où elles sont encore trop peu présentes. Nous formerons 1 million de jeunes sans emploi et 1 million de chômeurs de longue durée, les uns et les autres sans qualification. Nous créerons 100.000 places supplémentaires dans des filières courtes professionnalisantes. C'est un effort très conséquent, mais qui profitera à l'ensemble de la société.
Enfin, et c'est essentiel, nous attribuerons des moyens supplémentaires aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche sur des bases contractuelles. Cela nous permettra d'affronter sereinement la concurrence internationale, et d'être à la hauteur des attentes de nos étudiants.