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Régis Malet : "Il est au moins admis désormais qu’enseigner est un métier qui s’apprend"

Muriel Florin Publié le
Selon Régis Malet, la rhétorique de la professionnalisation des enseignants se traduit peu dans les actes. Le professeur en sciences de l’éducation pointe des difficultés propres à la France au regard de l’évolution et de la réalité de la formation dans d’autres pays. Il intervenait mercredi 23 janvier à Lyon lors du colloque inaugural de la chaire Unesco "Former les enseignants au XXIe siècle".

Régis MaletDepuis quelques années, on parle beaucoup de la professionnalisation de la formation des enseignants. Est-ce un discours partagé dans d'autres pays ?

Les discours d'administrateurs, de politiques, de formateurs, un peu moins d'enseignants singulièrement, sont bercés par la rhétorique de la professionnalisation. Celle-ci s'est épanouie au tournant des années 80. La révélation de l'impuissance des écoles et des enseignants à rectifier les déterminismes sociaux et à favoriser un accès plus équitable aux diplômes, l'effritement de l'idéal égalitaire, mais aussi la diversification des publics ont favorisé la montée de cette rhétorique : aux Etats-Unis d'abord, en Amérique du Nord, en Océanie, en Europe puis dans l'ensemble des pays industrialisés.

Avec quels effets ?

Cela mériterait un sérieux bilan. Il serait de mon point de vue bien mitigé : la notion de professionnalisation masque des intérêts divers ; elle est souvent incantatoire, ses effets en actes paraissent limités. Mais pour un métier longtemps travaillé par les mythologies du don et de la vocation, il est au moins admis désormais qu'enseigner est un métier qui s'apprend, au-delà de la seule maîtrise de connaissances académiques.

Pourquoi cette difficulté à transformer la rhétorique en actes ?

En France, le savoir prime depuis toujours sur le savoir-faire, le savoir à enseigner sur le savoir enseigner. Ailleurs, l'enseignant n'est pas exclusivement un passeur de savoirs scolaires. On ne pose pas le même regard sur l'action d'éduquer. Dans les pays nordiques par exemple, la formation de l'enfant prime sur l'institutionnalisation de l'élève.

Comment a évolué la formation des enseignants ailleurs ?

La plupart des pays européens ont adopté le modèle intégré avec une alternance de formations disciplinaires et professionnelles tout au long du cursus. On a aussi parfois renforcé des dispositifs de tutorat, de mentorat, de conseil dans les établissements scolaires autant qu'à l'université, comme c'est le cas en Ecosse.

Dans les pays nordiques, la formation de l'enfant prime sur l'institutionnalisation de l'élève

La France se distingue par une difficulté persistante à dépasser une conception consécutive de la formation des enseignants. La formation reste centrée sur les savoirs académiques, évalués par concours, suivis d'une période probatoire de quelques mois où on se pose peu la question de savoir si la personne est apte à enseigner ou non.

Ce qui est proposé avec les ESPÉ vous semble-t-il correspondre à une formation par laquelle le métier s'apprend ?

Les ESPÉ suscitent beaucoup d'espoir, mais aussi des craintes. La concertation sur l'école a mis en évidence l'importance de préparer les enseignants au travail réel plutôt que de vérifier des connaissances déjà validées par l'université. Elle a pointé l'urgence d'une orientation précoce vers le métier, comme dans les pays scandinaves. Je crains qu'en bout de course la pression de la logique académique s'impose de nouveau, que l'on grime un peu les IUFM et que l'on concède, plutôt qu'on ne confère la place que doit avoir l'apprentissage d'un métier, qui en effet s'apprend. Si tel était le cas, nombreux sont ceux qui continueront à chanter les louanges de la professionnalisation sans que le discours s'applique dans les faits.

Régis Malet est professeur en Sciences de l'éducation et co-dirige le Laboratoire "Cultures, Education, Sociétés" de l'Université de Bordeaux IV. Il travaille sur l'évolution du groupe professionnel enseignant dans une perspective comparatiste.
Muriel Florin | Publié le