Pourquoi avoir ouvert un lab dans la Silicon Valley ?
Dès 2007, Renault et Nissan ont jugé important de disposer d'une structure dans la Silicon Valley mais la crise a retardé le projet, qui a finalement été lancé en 2011. Il fallait être ici, en Californie, pour capter à la source les nouvelles idées, notamment sur des sujets comme la voiture connectée ou le véhicule autonome.
Comment qualifieriez-vous la démarche d'open innovation que vous menez ?
Nous ne sommes pas dans la Silicon Valley pour rester dans nos bureaux. Ici, il n'y a qu'à se baisser pour trouver de l'innovation, il est donc important, pour être crédible et réussir, de bien identifier un périmètre d’innovation, adapté à l’environnement technologique californien et aux moyens que l’entreprise y consacre. L'idée est d'aller chercher l'innovation là où elle se trouve en travaillant à la fois avec le réseau des start-up, même celles qui ne sont pas directement liées à l'industrie automobile, et les grandes universités que sont Stanford, Berkeley et l'antenne de Carnegie Mellon University. Nous identifions des thèmes de recherche que nous proposons à des étudiants en master ou à des doctorants. Nous sommes par exemple très intéressés par tout ce qui se fait autour des bracelets connectés, notamment pour voir comment ces capteurs qui mêlent analyse du signal et big data peuvent s'adapter à l'automobile.
À l'occasion de la visite de François Hollande début 2014, nous avons aussi monté un "Open Innovation Club" avec d'autres industriels présents dans la baie, à l'image de celui créé en France. Nous partageons des problématiques et organisons des meet-up, où nous invitons des start-up à pitcher leurs projets.
Ces rencontres informelles sont un point clé de l'innovation dans la Silicon Valley. Il faut y passer du temps pour se faire un réseau dans le foisonnement des start-up. Et entrer dans cette boucle rapide de l'innovation. Ici, on peut planter dix graines en même temps et, si une seule pousse, c'est bien. La démarche "try and fail" permet d'aller vite.
Nous ne sommes pas dans la Silicon Valley pour rester dans nos bureaux.
En avez-vous déjà tiré des solutions concrètes pour Renault ?
Nous comptons une dizaine de contrats actifs sur des technologies innovantes. Mais il est un peu tôt pour en parler. Évidemment, le Graal pour nous, c'est de transférer ces technologies en France ou au Japon, et nous avons déjà commencé. Nous nous concentrons sur quelques sujets au prix de bousculer assez fortement nos procédures internes. L'industrie automobile est une vieille dame qui n'aime pas être brusquée. Or, dans cet environnement d'open innovation, il faut aller vite, tenter des coups, être dans une itération constante.
À votre avis, que faudrait-il changer dans la formation en France pour générer cet esprit d'innovation ?
Il n'y a pas de recette miracle. Cela fait des dizaines d'années que l'on parle des relations école-entreprise mais les deux mondes restent relativement imperméables. En France, un prof est un prof, un entrepreneur est un entrepreneur. Pas de mélange des genres... Alors que dans la Silicon Valley il n'y a pas un étudiant de Stanford ou de Berkeley qui ne lance pas sa start-up avant la fin de ses études, et pas un enseignant-chercheur qui ne soit investi dans une ou plusieurs jeunes pousses.
Il faudrait aussi pouvoir insuffler la culture de l'erreur. On ne valorise pas assez l'erreur comme un outil d'apprentissage puissant alors que, dans la vie, on apprend beaucoup de ses erreurs. Ici, en Californie, on pense plutôt : "Si tu ne t'es jamais planté, c'est que tu n'as pas tenté quelque chose d'assez innovant." Un CV dans lequel il apparaît des tentatives de start-up a de la valeur de ce côté-ci des États-Unis. En France, on aura tendance à l'occulter. Un élément pour changer ça ? Permettre aux étudiants de multiplier les projets dans le cadre de leur cursus.
Le mélange des disciplines apparaît aussi fondamental. Dans nos projets, nous associons assez rapidement des ethnologues, des designers, des développeurs, des statisticiens... Tous sont légitimes à donner leur avis. Pour aborder un problème, plus il y a de cerveaux différents, mieux on se porte !