Depuis quelques années, les initiatives "grand public" dédiées à l'apprentissage du code fleurissent, à l'image de la Code Week, organisée du 15 au 22 octobre. Qu'apportent-elles ?
Tous ces rendez-vous offrent l'avantage de donner à voir la variété des initiatives et des acteurs qui coexistent sur le sujet, tant en France qu'à l'international. La Code Week, qui est un événement européen, concerne par exemple plus de quarante pays.
À l'image de la Fête de la science, de la Nuit des musées ou encore de la Fête de la musique, ces événements permettent d'accéder au grand public. Toutes les initiatives de popularisation qui sensibilisent les familles à cette question sont essentielles.
Depuis la rentrée 2016, le code est entré dans les familles, grâce aux cours proposés au primaire et au collège. Le CNNum (Conseil national du numérique) plaide en faveur de ce type de formation depuis longtemps. Quel regard portez-vous sur ces programmes ?
Là encore, toutes les initiatives sont bonnes à prendre. Le ministère a fait tout son possible pour intégrer des modules de formation, à divers moments du cursus des élèves. Avec une contrainte que nous comprenons : l'impossibilité de créer des cours supplémentaires. Des heures de technologie ont été reconverties en cours d'informatique, par exemple.
Le code avait jusqu'à présent très peu de place dans les classes. Petit à petit, cela change. Au lycée, la spécialité ISN (informatique et sciences du numérique), proposée en terminale, se renforce et se généralise. Mais il y a tout de même un côté "bout de ficelle" pour toutes ces initiatives. Il manque une entrée cohérente, avec une vraie discipline bien identifiée.
Pour vous, l'informatique ne doit donc pas être cantonnée à une option ou spécialité ?
C'est certain : il s'agit bien plus que d'une option. Nous parlons tout de même de sciences et techniques qui réorganisent l'État, notre façon de consommer, nos rapports sociaux. C'est la pensée de notre époque. Pour faire un parallèle historique, dans les années 1960, on n'aurait jamais imaginé ne pas enseigner la physique... L'introduction de toute nouvelle matière est une bataille.
De plus, nous ne pouvons pas nier le fait qu'il y a un véritable intérêt stratégique national autour de la discipline informatique. La dernière étude Mc Kinsey le dit très clairement : il y a une véritable attente des entreprises autour des profils numériques. En France, nos ingénieurs informaticiens sont très reconnus dans la Silicon Valley, très courtisés. Mais ils sont très peu nombreux.
À l'université, on est malheureux : il existe bien les UFR d'informatique, mais ce n'est pas pour autant qu'elles irradient dans toutes les disciplines.
On parle des cours au primaire, au collège. Mais quelle est la situation dans l'enseignement supérieur ?
À l'université, on est malheureux : il existe bien les UFR d'informatique, mais ce n'est pas pour autant qu'elles irradient dans toutes les disciplines. Les humanités numériques constituent un mouvement très intelligent et sont une première réponse à cette transformation de la société. Mais il n'y a pas encore de transformation massive des enseignements.
Pour faire de la culture informatique une véritable discipline, encore faut-il que les enseignants soient formés...
C'est en effet l'un des obstacles pointés du doigt par le ministère. Il y a un manque de compétences, au sens où on ne va pas demander aux professeurs d'enseigner des disciplines qu'ils ne maîtrisent pas. C'est pourquoi nous plaidons en faveur de l'arrivée de nouveaux profils venus du monde de l'ingénierie, de l'éducation populaire, d'associations... C'est pour nous l'une des voies de transformation des métiers de l'enseignement.
Aujourd'hui, l'offre de formation dédiée aux enseignants ne vient pas de l'Éducation nationale mais d'organismes tiers. Est-ce un problème ?
Beaucoup d'initiatives se sont en effet mises en place, notamment dans le cadre de l'appel à projets "Culture de l'innovation et de l'entrepreneuriat" porté par le PIA 2. Je pense par exemple à l'Inria, qui produit un Mooc, Class'Code, à destination des professeurs. Simplon propose aussi des formations. Il faut absolument soutenir ces projets.
Il faut continuer d'introduire au cœur des cursus tous les changements sociaux que l'informatique a amplifiés.
Vous le dites, l'informatique, ou plutôt la pensée informatique, est plurielle et concerne tous les pans de la société. Il peut être complexe pour les professeurs de savoir comment, à quoi, former leurs élèves ?
Nous sommes en effet face à l'émergence de nouvelles formes sociales et nous avons bien du mal à les rattacher entre elles. C'est le travail des politiques de mettre en cohérence tout cela. On est sur une puissante recomposition sur laquelle on attend que le politique donne du sens.
Quelle éducation voulons-nous pour cette nouvelle société ? On parle de démocratie ouverte, 3.0. Où cela se voit-il dans les formations ? Nous pensons, au sein du CNNum qu'il faut continuer d'introduire au cœur des cursus tous les changements sociaux que l'informatique a amplifiés : travail collaboratif, coconception, goût pour l'entrepreneuriat, créativité... Toutes ces pratiques entérinent la pensée informatique.
Certaines voies s'élèvent tout de même contre l'enseignement de cette "pensée informatique", parlant parfois de lobbying. Comment réagissez-vous à cela ?
Ces critiques me laissent de marbre. Il ne s'agit pas de promouvoir l'informatique mais de réfléchir à des formations critiques et lucides, qui permettront aux jeunes de ne pas subir l'informatique.
D'où l'adage "programmez, pour ne pas être programmé" ? Une phrase qui prend tout son sens dans le dossier APB, par exemple...
L'exemple d'APB est emblématique ! Il faut ouvrir les données, pour que les citoyens puissent s'en emparer. C'est la seule solution si nous ne voulons pas que ce soit les informaticiens qui reconfigurent le monde de demain...
À lire sur letudiant.fr : Cours de code au collège : un combat de robots-sumos au programme