Depuis une dizaine d'années, les serious games se sont progressivement développés dans les entreprises. L'enseignement supérieur, quant à lui, est plus timide en la matière...
Les établissements ont développé des environnements numériques de travail mis à disposition de leurs élèves, mais les contenus pédagogiques se limitent souvent à la numérisation de simples polycopiés ou documents sélectionnés par l'enseignant. Les learning games quant à eux, sont peu voire pas utilisés. Pire, certains serious games développés dans le cadre de programmes nationaux et mis à disposition des établissements dorment dans les tiroirs !
Comment expliquez-vous cette situation ?
Les produits proposés sont généralement trop fermés : l'enseignant ne peut y déposer aucune de ses connaissances ou expertises. Il a l'impression de servir uniquement de relais d'un enseignement conçu par d'autres et de perdre ainsi sa valeur ajoutée. Le serious game doit au contraire être un « planteur de germes » que l'enseignant va aider à faire pousser chez les apprenants. Il doit donc se limiter à l'essentiel. A charge à l'enseignant d'adapter les paramètres du jeu à ses besoins.
Autre constat, les serious games reproduisent trop souvent une pédagogie traditionnelle, organisée en chapitre, à la manière d'un cours en amphithéâtre. Or, la valeur ajoutée de cet outil est justement de permettre une approche globale des concepts. Et cette réorganisation des connaissances nécessite un accompagnement des enseignants.
Cet accompagnement, existe-t-il aujourd'hui ?
Non. Aujourd'hui, il y a une absence de prise de conscience – tant au niveau national qu'au niveau de l'établissement - de la nécessité d'accompagner les changements induits par l'usage de ce nouvel outil pédagogique. Dans une entreprise, toute mutation technologique ou organisationnelle s'accompagne d'une formation des salariés. Cela s'appelle la conduite du changement. Ici c'est la même chose : il aurait fallu aider les enseignants à apprivoiser ces nouveaux modes pédagogiques.
Certains serious games développés dans le cadre de programmes nationaux et mis à disposition des établissements dorment dans les tiroirs
Quels sont les éléments à prendre en compte pour « conduire » ce changement ?
Pour que l'enseignant se sente valorisé et qu'il n'ait pas peur d'être purement et simplement remplacé par le serious game, il doit être intégré au jeu dès sa conception et impliqué de façon directe. C'est ce que j'appelle le degré d'appropriation du formateur. Le formateur doit se sentir valorisé dans son métier et prendre conscience que le serious game le libère sur certains points (la répétitivité de son discours par exemple). Ainsi, il redevient expert à temps plein. Il est à disposition des apprenants pour faire de la formation « sur mesure », et pour répondre à toutes leurs questions.
Cette valorisation peut-elle passer par une incitation financière ?
C'est une solution envisageable, en effet. La valorisation peut être financière mais elle peut aussi concerner l'évolution de carrière. Sur ces questions, nous sommes encore loin du compte. Et pourtant, cet aspect « récompense » est essentiel.
Le coût d'un serious game (en conception ou en achat) n'est-il pas un frein important à son développement dans l'enseignement supérieur, lorsqu'on sait qu'un jeu peut coûter jusqu'à 200 000 Euros ?
Le coût est effectivement l'un des freins majeurs. Il y a quatre ans, on comptait 15 000€ par heure-apprenant. Mais il ne faut pas oublier de prendre en compte le retour sur investissement. Un jeu sérieux est un outil inusable, incassable... et d'une patience sans limite!
Le colloque TICE 2012 a été organisé par l'université Claude-Bernard et l'Ecole des mines de Saint-Etienne, sous le patronage de l'Université numérique ingénierie et technologie (UNIT).