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Victor Wacrenier : "Dans les EdTech, le manque de visibilité est mortifère"

Morgane Taquet Publié le
Victor Wacrenier : "Dans les EdTech, le manque de visibilité est mortifère"
Selon Victor Wacrenier, les entrepreneurs EdTech français préfèrent se lancer sur le web, quitte à développer une version mobile plus tard . // ©  JASON HENRY/The New York Times-REDUX-REA
Quelles sont les perspectives de croissance pour le marché français des EdTech ? Victor Wacrenier, fondateur de la société Appscho, a recueilli et analysé les données de 140 start-up françaises de l'éducation. En découle un constat : sous-capitalisé, le secteur peine à se développer.

Victor Wacrenier, co fondateur d'AppschoQuel est le profil du secteur français des EdTech, en 2016 ?

Après avoir examiné les données récoltées, on remarque que le corporate learning [formations d'entreprises pour les salariés] tire la locomotive, devant l'enseignement supérieur, qui ne représente que 20 % du marché. 

S'agissant du modèle marketing privilégié, on note que les start-up présentes sur les segments allant du primaire à l'enseignement supérieur développent un modèle B2B : c'est le cas pour 74 % des sociétés dédiées au supérieur.

Cette stratégie leur permet d'atteindre une masse critique d'utilisateurs suffisante, via un nombre relativement faible d'établissements. Sans compter que l'offre commerciale est plus facile à pousser auprès des établissements qu'auprès des étudiants.

Autre tendance clé : il n'y a pas encore de révolution mobile dans les EdTech en France. Dans le corporate learning, l'ordinateur, généralement de fonction, est privilégié. Et dans le primaire et le secondaire, pour des questions d'égalité des chances, il est difficile de miser sur du BYOD [bring your own device, en français "apportez votre propre matériel"]. Ainsi, il semblerait que les entrepreneurs EdTech français préfèrent se lancer sur le web, quitte à développer une version mobile plus tard .

Comment se porte le marché des EdTech ?

Le marché français envoie de très bons signaux : une dizaine de start-up se créent chaque année depuis 2005, un chiffre qui ne cesse d'augmenter. Du côté des établissements, ils sont de plus en plus nombreux à se doter d'équipes dédiées au numérique. Des initiatives voient le jour, je pense au master EdTech du CRI (Centre de recherches interdisciplinaires), notamment. Sans compter des exemples de success stories à la française, comme CrossKnowledge

Vous remarquez cependant que les start-up du supérieur ont du mal à grandir. Pourquoi ?

Sur le marché français des EdTech, qui compte 300 à 350 start-up, le taux de celles qui ont levé des fonds s'établit à 9 %. Par ailleurs, 50 % des start-up du segment corporate learning ont plus de 20 salariés, elles sont seulement 8 % dans les start-up du supérieur. Ces dernières ont du mal à atteindre une taille critique.

Ce phénomène est lié à la sous-capitalisation du secteur, et à l'absence de fonds d'investissements lié à l'éducation en France. D'ailleurs, le rapport réalisé par Svenia Busson et Audrey Jarre dans le cadre de leur EdTechWorld Tour le dit bien : dans tous les pays où le marché des EdTech est florissant, soit des fonds d'investissement financent les start-up, soit un média de référence, comme EdSurge aux États-Unis, leur donne une visibilité suffisante et leur permet de se faire connaître.

Dans les pays où le marché des EdTech est florissant, soit des fonds d'investissement financent les start-up, soit un média de référence permet aux entreprises de se faire connaître.

Vous mettez également en cause les universités...

Contrairement à une entreprise, la prise de décision rapide dans un établissement n'est pas chose aisée. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas une envie d'innover dans les universités, mais les processus de décision sont ainsi faits. D'autant que l'absence de pilote désigné ralentit encore le suivi des projets.

C'est d'ailleurs ce que préconise le CNNum (Conseil national du numérique) : il faut des budgets dédiés, mais aussi des porteurs de projets en interne pour soutenir ces changements. Dans la société que je dirige, le cycle de décision peut prendre jusqu'à une année scolaire... C'est l'une des raisons qui expliquerait le fait que les start-up de l'enseignement supérieur ont du mal à se développer. Quand les établissements décideront plus vite, les start-up se développeront plus rapidement.

Vous faites également une comparaison avec le marché américain.

Ces deux marchés de l'éducation sont très différents. Néanmoins, il est à noter qu'il y a eu 49 fois plus de levées de fonds dans les EdTech outre-Atlantique qu'en France en 2015, alors que les États-Unis n'ont 'que' 4,5 fois plus d'étudiants. C'est que l'écosystème français, qui accompagnerait la croissance et aiderait à l'accélération des projets, reste à créer.

Quelles sont les pistes pour créer cet écosystème ?

Au-delà de l'aspect capitalistique qui est essentiel, l'ouverture et la collaboration à l'international pour l'ensemble des acteurs sont des pistes pour dynamiser encore le secteur. Les EdTech ont besoin de se faire connaître, de se rencontrer et de rentrer dans la compétition. Regardez les Global EdTech Startups Awards. Chaque année, l'Angleterre ou le Chili ont une cinquantaine de candidats à présenter, quand la France n'en a que 13... Dans un secteur où de plus en plus d'entrepreneurs passionnés se lancent, le manque de visibilité est mortifère.

Méthodologie
Pour réaliser son étude, Victor Wacrenier s'est appuyé sur l'analyse de 140 start-up EdTech françaises. Cinq critères ont été analysés : la date de création de la société, les levées de fonds éventuelles, le segment, le format et le business model, ainsi que le nombre de salariés.
 


Morgane Taquet | Publié le