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"Pour une université ouverte, responsable, capacitante"

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"Pour une université ouverte, responsable, capacitante"
Campus de l'université de Nanterre // ©  Communication Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Le président de l'université Paris-Ouest Nanterre-la Défense, Jean-François Balaudé, défend un modèle d'université engagée qui développe l'esprit critique de ses étudiants et plus largement des citoyens. Une réflexion sous forme de réponses aux attentats de janvier.

Jean-François Balaudé, président de l'université de Nanterre © communication université Paris Ouest Nanterre La Défense

"Il apparaît que des attentes considérables pèsent sur les établissements d'enseignement supérieur, depuis les terribles attentats du mois de janvier. Comment répondre aux défis sociétaux que ces circonstances tragiques placent sous la lumière la plus crue ? Comment accroître notre capacité collective à faire société en confortant les valeurs de tolérance et de respect mutuels, en illustrant à nouveaux frais les principes de laïcité, de liberté de culte, de pensée et d'expression, en poursuivant la lutte contre l'exclusion et la discrimination, en réussissant à mieux comprendre et prévenir les phénomènes de radicalisation ?

À tout cela, il convient très certainement de contribuer par des mesures et des initiatives nouvelles, ciblées, s'appuyant sur une mobilisation de nos forces en sciences humaines et sociales : c'est ce que l'Alliance Athéna, qui associe la Conférence des présidents d'université et le CNRS, a en particulier pour tâche de coordonner. Mais il importe aussi de rappeler à cet égard, dans ce hic et nunc tragique, des principes directeurs fondamentaux pour les universités, qui, sans doute, se trouvent déjà mis en œuvre à des degrés divers, mais dont le contexte récent, de fait, rehausse les enjeux. Ces principes invitent à prendre avec tout le sérieux requis le fait que les universités ont à participer essentiellement, et non de façon conjoncturelle, à la construction d'une société tolérante, instruite et critique, dont la diversité culturelle est facteur d'enrichissement et de progrès.

Les universités ont à participer essentiellement, et non de façon conjoncturelle, à la construction d'une société tolérante, instruite et critique.

Le premier de ces principes se laisse énoncer en un syllogisme des plus simples : le savoir est un bien commun, qui a vocation à être partagé.

Les universités, fortes de leurs laboratoires de recherche et de leurs équipes pédagogiques, ont pour mission (de service public) de produire les savoirs scientifiques, et de former à et par ces savoirs.

En vertu de ces missions et en vertu de la nature du savoir, les universités ont par conséquent à partager le plus largement les savoirs : en permettant leur acquisition à travers des formations diplômantes ouvertes à tout titulaire d'un baccalauréat ou équivalent, mais aussi en ouvrant largement l'accès aux travaux de la recherche et à ses résultats, en communiquant à travers tous les formats pertinents dans une démarche de diffusion culturelle, et plus globalement en interagissant avec tous, au-delà du monde académique, grâce en particulier aux ressources de l'Internet, en s'inscrivant dans une démarche ouverte, allant jusqu'à intégrer une logique collaborative.

Au sein d'une société toujours plus structurée en réseau, par les réseaux, traversée de flux d'information gigantesques, de qualité et de fiabilité très variables, les universités constituent des nœuds très particuliers. En lien étroit avec les organismes de recherche, elles constituent de fait les foyers majeurs de production scientifique. À ce titre, premièrement, la garantie que donnent les réquisits de validation des savoirs, critiquables, révisables, réfutables, produits ou discutés en leur sein, confère aux universités des devoirs : non seulement celui de former leurs étudiants selon ces savoirs les plus actualisés et conformément aux règles méthodologiques qui les garantissent, mais encore celui de mettre en œuvre tous les moyens possibles afin de rendre accessibles les productions scientifiques, les diffuser, et permettre au total leur appropriation, leur discussion, voire leur co-élaboration, dans le cadre de démarches participatives ou collaboratives que facilite aujourd'hui l'avènement du Web social.

Deuxièmement, la logique heuristique conduit les disciplines à travailler de plus en plus fréquemment, et avec succès, en association et en croisement disciplinaires, et cette interdisciplinarité met en position de traiter et analyser des sujets sociétaux complexes, avec toute la finesse et la richesse d'analyse qu'autorise cette approche "multi-spectrale". À cet égard, l'apport des universités, et notamment celles qui abritent les sciences humaines et sociales, dans ce que l'on a coutume de désigner, en raccourci, comme la "société de la connaissance", est inestimable.

Pour ces raisons, l'université doit aujourd'hui s'organiser pour être tout à la fois ouverte, engagée, responsable, capacitante et internationale.

Ouverte

– Le principe d'ouverture de la recherche doit prévaloir, et se traduire dans une politique d'information scientifique menée à grande échelle, visant en particulier le dépôt systématique des publications en archives ouvertes (open access).

– Les universités se doivent d'engager une politique de données ouvertes (open data) : de données institutionnelles, pédagogiques, mais aussi de données de la recherche et de la documentation.

– Dans l'éventail de leurs productions pédagogiques, devraient largement figurer de même des cours ouverts (Mooc) : cours libres et gratuits, ouverts à tous, sans condition d'inscription, interactifs, à visée de culture générale, d'initiation ou de perfectionnement, dont la qualité trouve sa garantie dans leurs auteurs, enseignants et enseignants-chercheurs des universités.

Engagée

– À travers des démarches de recherche-action et de "form-action", mais aussi d'expertise, et d'engagement dans le débat public.

– En s'insérant dans les divers espaces publics d'intervention : médias, réseaux, lieux de la démocratie participative, afin d'amplifier le dialogue science-société et contribuer aux débats citoyens, y compris sur le mode de la controverse scientifique ; et en s'impliquant dans les territoires où elle sont situées, et dont elles deviennent ce faisant de grands acteurs.

– Par leurs membres (enseignants-chercheurs, chercheurs, personnels, étudiants) et en tant qu'institution, avec des partenaires, publics et privés (entreprises, start-up, associations), dans des projets partenariaux (incubateurs...), dans des cadres d'expérimentation croisant tous les publics (fablabs, espaces collaboratifs, tiers-lieux...), et plus largement dans des projets collectifs auxquels elles collaborent et qu'elles coconstruisent.

Responsable

Parce que les universités sont porteuses de valeurs : qu'elles sont des lieux de production et de partage des savoirs, de promotion de l'égalité, de défense de l'exercice d'une pensée libre et critique, que leur organisation repose historiquement sur un principe de collégialité, un principe qu'elles se doivent de préserver et dont elles tirent une légitime exemplarité démocratique. C'est d'ailleurs pourquoi elles ont naturellement vocation à s'emparer des enjeux de la transition énergétique et écologique et du développement durable, tant il est vrai qu'à travers ces problématiques, c'est bien un modèle d'organisation solidaire, responsable, participatif, à pratiquer et à diffuser, qui est en jeu.

C'est bien un modèle d'université qu'il s'agit de promouvoir, celui d'universités en prise, à la fois observateurs critiques et acteurs engagés, sur les enjeux cruciaux de leur temps.

Capacitante

Par tous les moyens d'action qui sont les leurs, par tous les types d'enseignement, diplômants ou non, par toutes les formes d'action, relevant d'une démarche propre de l'établissement, ou d'une élaboration conjointe avec des associations, des collectivités, elles doivent permettre aux individus, aux groupes, de développer leur pouvoir d'agir ("empowerment"). Ce pouvoir d'agir passe par l'acquisition de savoirs, d'une capacité critique ; il se traduit par une démarche efficace d'orientation et d'insertion professionnelle, par toutes les formes d'inclusion et d'intégration, par le développement d'un esprit de créativité, de l'estime de soi, et de tout ce qui favorise la construction de personnalités libres. L'idée de formation tout au long de la vie, entendue littéralement, comprend cette dimension.

Internationale

Parce que les questions et les enjeux de société qui se présentent sont bien loin d'être seulement hexagonaux, que les nouveaux savoirs permettant de les éclairer et d'y répondre se construisent dans l'interdisciplinarité et dans le cadre de collaborations internationales ; parce que enfin ces collaborations, qui permettent aussi le développement de diplômes internationaux, contribuent à faire vivre la communauté universelle des valeurs universitaires, et à permettre le développement mondial des objectifs émancipateurs qui ont été évoqués, les universités françaises sont appelées à se penser et se développer comme des universités internationales, des "universités-monde".

La nouvelle mission que la loi ESR de juillet 2013, aux côtés des missions relatives à la formation, à la recherche et à l'insertion professionnelle, a reconnue aux universités – je veux parler de la mission de responsabilité sociale – concentre et résume d'une certaine manière tout ce qui vient d'être évoqué. Sur le fondement de pratiques et d'engagements déjà présents dans nos établissements, c'est bien un modèle d'université qu'il s'agit de promouvoir, celui d'universités en prise, selon le mode unique qui est le leur, à la fois observateurs critiques et acteurs engagés, sur les enjeux cruciaux de leur temps."

Jean-François Balaudé
Président de l'université Paris-Ouest Nanterre-la Défense, président du comité d'orientation de l'Observatoire de la responsabilité sociale des universités, et président du Comité de la transition énergétique et écologique de la Conférence des présidents d'université

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