La FNEGE a, voilà quelques jours, publié la seconde édition de son Classement des revues scientifiques en sciences de gestion. Ce classement a été réalisé avec sérieux, dans un réel souci d’objectivité (même si cette dernière reste toujours relative puisque dépendante des critères sur lesquels elle s’appuie), et suivant une logique de co-création avec les 14 associations représentant les différents champs des sciences de gestion.
Hélas, alors que la FNEGE est pourtant la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises, son classement souffre exactement de la même lacune que les autres classements français, fussent-ils du CNRS ou de l’AERES : la pratique réflexive sur l’activité d’enseignement des sciences de gestion en est exclue.
Par pratique réflexive sur l’activité d’enseignement, j’entends ici recherche en pédagogie. Celle-ci existe pourtant, et fait preuve d’un indéniable dynamisme. Il suffit de quelques recherches sur Internet pour s’en convaincre. En effet, les sujets ne manquent pas : influence des MOOCs sur l’enseignement, les enseignants et les modèles économiques des établissements ; explosion des dispositifs mobiles de formation ; arrivée de la Génération Y dont les exigences et les modalités d’apprentissage nécessitent un renouvellement pédagogique profond ; développement du blended learning et autres flipped learning, etc.
Le besoin est grand – primordial, essentiel, même – d’interroger notre manière d’enseigner, d’étudier les dispositifs pédagogiques efficaces et efficients, de voir ce qui se fait dans d’autres champs et à d’autres niveaux – oui, je parle bien là du lycée, du collège, et même du primaire ou de la maternelle (!) où se trouvent les étudiants que nous aurons demain, et qui s’attendront à ce que les modalités pédagogiques qu’ils auront connues, au moins sur un plan technique, les accompagnent tout au long de leur cursus !
Or, dans les trois principaux classements cités plus haut, seule une revue dédiée (toujours la même) permet de publier sur le sujet : The Academy of Management Learning and Education (le classement AERES en intègre deux autres, mais qui ne sont pas classées). Outre le fait qu’elle soit américaine et peut donc avoir tendance à promouvoir un certain modèle d’enseignement dans lequel on peut ou non se retrouver (mais ce n’est pas le propos de cet article), la présence d’une seule revue de ce type dans ces classements est problématique et suscite des arbitrages pervers et auto-entretenus.
En effet, l’importance accordée à la recherche dans les classements nationaux ou internationaux des écoles et universités pousse naturellement les établissements comme les individus à maximiser leur intérêt en privilégiant les "meilleures" revues – ou à défaut, les revues sur lesquelles s’appuient lesdits classements.
En conséquence : pas de revue en recherche pédagogique dans ces listes dit pas (ou très peu) de recherche sur les pratiques pédagogiques. Réaction logique, puisqu’elles ne "rapportent" rien ! Cette absence envoie en outre un message négatif quant à l’importance accordée à l’enseignement – un de plus, diront certains…
L’enrichissement de nos pratiques pédagogiques passe par de l’expérimentation, par des tests : seuls des essais et l’analyse des erreurs et des réussites qui les accompagneront permettront de faire évoluer la manière dont nous assurons notre mission d’enseignement. Une lame de fond est en train de toucher l’éducation au sens large, et cela concerne aussi les sciences de gestion. Environ 10% des Ted Talks, par exemple, sont liés au tag "Education".
La recherche doit jouer son rôle dans le changement qui s’annonce, en 1°) valorisant les personnes qui réalisent ces tests et expérimentations ; 2°) en donnant aux personnes qui se sentent désarmées face à ces transformations les moyens de les comprendre, de les décrypter, de les mettre en place ; 3°) en aidant à la prise de décisions stratégiques tant les entreprises que les établissements de formation (pour donner un exemple très simple, qui dit que l’acquisition de tablettes en masse par un établissement pour ses étudiants est préférable au développement du Bring Your Own Device ? (BYOD). Rien, à ce stade, car nous manquons d’études sur le sujet !) ; et 4°) en améliorant la manière dont nos étudiants vont apprendre dans les années à venir.
Si ces quatre points sont cruciaux, le dernier est certainement le plus fondamental. La qualité de l’apprentissage dépend fortement des méthodes pédagogiques mises en œuvre, de la motivation des étudiants, de la motivation des enseignants, etc. Ce qui a un impact direct sur les connaissances et les compétences de nos étudiants une fois sortis de nos établissements.
Un raccourci rapide, mais non dénué de sens, pousserait même à dire qu’améliorer nos pratiques pédagogiques en nous appuyant sur des recherches rigoureuses constituerait donc un levier puissant pour contribuer au développement économique…
Je suis intimement persuadé que l’absence de ces revues dans les classements français n’est pas volontaire, au risque de paraître naïf. Je ne peux croire qu’elle révélerait un certain dédain à l’égard de la pédagogie en tant qu’objet d’étude vs des recherches plus "nobles" ou valorisantes sur le management, la stratégie, le marketing, la finance, etc. Je privilégierais plutôt l’existence d’un consensus implicite : "Laissons cela aux 'sciences de l’éducation', puisqu’elles existent !". Mais cela écarte de facto une grande partie des acteurs de la formation, pour les raisons évoquées précédemment.
D’autres pays dans le monde en ont pris conscience, et ont fait des choix différents. Pour ne citer que l’Angleterre, le classement ABS dispose d’une section dédiée "Management Development and Education". Si la prochaine mouture du classement FNEGE n’est pas annoncée avant 2016, celui du CNRS devrait être révisé avant cette échéance. Il serait bon qu’il envoie un signal positif en intégrant lui aussi une section spécifique promouvant la recherche sur l’enseignement de la gestion.