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Que restera-t-il des universités ?

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Président de l'université Paris 2 - Panthéon-Assas depuis juin 2012, Guillaume Leyte s'élève dans une tribune contre le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, qui engendre "un système d'une lourdeur sans précédent" et "traduit en fin de compte une profonde déconsidération pour les universités, maillon faible de l’enseignement supérieur". Point de vue.

Guillaume Leyte - université Paris 2 Panthéon Assas"Les universités, plus qu’aucun service de l’Etat, ne cessent depuis des années d’être  « réformées » dans des sens divers et contradictoires alors qu’elles n’aspirent qu’à remplir au mieux et sereinement leur mission de service public d’enseignement et de recherche. Il apparaît en effet comme une évidence que les réformes institutionnelles sont, pour les gouvernements successifs, la panacée de l’enseignement supérieur.

Sans doute la loi de 2007 dite LRU (libertés et responsabilités des universités) méritait-elle des ajustements, clarifiant par exemple les responsabilités financières respectives de l’Etat et des universités ou assurant une plus grande représentativité de conseils qui ont par ailleurs fait la preuve de leur efficacité du fait de leur composition resserrée. Mais elle nécessitait surtout d’être amendée dans le sens d’une véritable autonomie, notamment pédagogique et donc de la liberté d’innover en faveur des étudiants.

Or le projet de loi qui vient d’être présenté au conseil des ministres et qui ambitionne d’opérer une refonte en profondeur du paysage universitaire et de la recherche réduit encore l’autonomie des universités – qui s’est résumée jusqu’ici à l’apprentissage de l’autodiscipline budgétaire – au profit d’un de ces montages technocratiques complexes et toujours inefficaces qui sont une des spécialités françaises que l’étranger ne nous envie pas.


Nul ne conteste les louables objectifs, au demeurant peu originaux, du projet de loi. Mais ce projet sans véritable ambition, notamment européenne, aveugle aux distinctions disciplinaires qui prévalent partout dans le monde, est marqué par un dirigisme daté qui conduira inévitablement, au rebours des modèles internationaux toujours cités en exemple, à étouffer l’enseignement supérieur et les universités sous le poids des structures et des contraintes.

Car l’actuel projet de loi, loin de reconnaître aux universités une plus grande liberté, crée un système, au sens philosophique, d’une lourdeur sans précédent. Au mépris des engagements antérieurs de l’Etat – qui a par exemple reconnu la constitution de regroupements de type confédéral – le nouveau projet prévoit, en liaison avec « l’acte III » de la décentralisation, pour toute la France, une trentaine de regroupements. L’Etat contracterait avec ceux-ci « en respectant la diversité des situations » a affirmé Mme Fioraso en présentant le texte au conseil des ministres, et servant « des objectifs d’autonomie réelle ».

Le projet ne laisse pourtant que peu de place à ces ambitions : des conseils empilés à la composition compliquée introduiront rivalités (y compris politiques) et clivages au sein des nouveaux ensembles, la dyarchie possible opposant conseil d’administration et conseil académique risque de paralyser l’ensemble, le gigantisme structurel annihilera nécessairement la visibilité d’institutions qui travaillent depuis des décennies à assurer, en nom propre, un enseignement et une recherche de qualité. Faut-il préciser qu’étant donnée la situation financière tendue de nombre d’universités, ces nouvelles structures consommeront inutilement des crédits qui font déjà défaut ?

La disparition, dans le projet de loi, de la mention des spécificités disciplinaires aboutira, comme c’est déjà le cas dans les universités « fusionnées », à une prépondérance des sciences dites exactes


L’insertion dans une logique régionale conduira au renforcement de localismes déjà très forts et à des relations ambiguës avec les collectivités territoriales
. A moyen terme la logique voudrait aussi que les professeurs et maîtres de conférences des universités relèvent de la fonction publique territoriale.

La disparition, dans le projet de loi, de la mention des spécificités disciplinaires aboutira, comme c’est déjà le cas dans les universités « fusionnées », à une prépondérance des sciences dites exactes et de la médecine au détriment du droit et des sciences humaines et sociales.  Au prix d’un égalitarisme dont se réjouit un syndicat étudiant proche du gouvernement, ce projet porte en lui un nivellement par le bas et un surencadrement administratif inédit : il opère un embrigadement qui va à contre-courant de toutes les pratiques couronnées de succès à l’étranger. Et de ce qui subsiste des libertés universitaires.

Ce projet traduit en fin de compte une profonde déconsidération pour les universités, maillon faible de l’enseignement supérieur. La France a fait le choix d’ouvrir celui-ci à tous les bacheliers et c’est un choix éminemment respectable. Mais les universités étrangères auxquelles l’on veut se mesurer sont réellement autonomes, sélectionnent sévèrement leurs étudiants, pratiquent pour certaines d’entre elles des droits d’inscription extrêmement élevés.

Si la France veut continuer à pratiquer une quasi-gratuité, garder ses bons étudiants et ses diplômés, assurer par l’attractivité le renouvellement académique et de la recherche, maintenir et développer des formations internationalement reconnues, ne pas laisser le champ libre à un enseignement supérieur privé à vocation étroitement professionnelle, il faut à tout le moins que les universités aient d’une part les moyens qu’elles réclament et d’autre part la liberté d’innover, d’entreprendre, qu’elles soient considérées comme les principaux acteurs, responsables et autonomes, de l’enseignement supérieur et qu’elles puissent décider, en accord avec la puissance publique, des éventuelles évolutions institutionnelles servant leur action. Et que l’Etat ose leur accorder sa confiance plutôt que de toujours leur compliquer la tâche, au risque de les étouffer."

Guillaume Leyte
Président de l’université Panthéon-Assas (Paris 2)

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