Vincent Peillon – et ses éventuels successeurs – boiront jusqu'à la lie le calice contenant l'amère potion que concocta François Hollande le jour où il promit de recruter 60.000 personnels sur cinq ans. Lâchée en rase campagne électorale, sans aucune contrepartie, cette promesse prive le gouvernement de toute monnaie d'échange dans ses discussions avec les syndicats, à l'heure où viennent sur le tapis les questions les plus incandescentes – le collège, le métier d'enseignant, l'éducation prioritaire…
Dernier exemple en date : les programmes. Encouragé par sa victoire éclair sur la question de la rémunération des professeurs de classes préparatoires à l'orée des vacances de Noël, le SNES FSU, nettement majoritaire dans le secondaire, vient de célébrer l'an neuf en opposant une fin de non-recevoir à toute velléité de réforme rapide ou significative, d'une part en contestant le calendrier prévu pour la réécriture des programmes, jugé trop bref, et, d'autre part, en réaffirmant pour qui en aurait douté son attachement à une approche résolument disciplinaire.
Sur le premier point, le syndicat joue sur du velours et l'on peut s'étonner que la leçon des rythmes scolaires n'ait pas été retenue – un des arguments les plus convaincants des opposants à cette réforme, là où elle a été mise en œuvre dès la rentrée dernière, a consisté à dénoncer un temps de concertation réduit à portion congrue.
Le jeu est quasiment aussi confortable sur le second terrain, tant l'opinion est majoritairement conservatrice en matière de pédagogie. L'idée d'abandonner une définition des programmes qui assigne des objectifs par niveau et par discipline pour passer à une conception dite "curriculaire", qui formule les objectifs de manière beaucoup plus globale et transversale, ne va pas de soi pour personne. En témoigne l'impuissance de la machine Éducation nationale à donner réellement corps au Socle commun de connaissances et de compétences, qui se rapproche d'une telle approche. Créé il y a neuf ans – neuf ans ! – dans le cadre de la loi d'orientation Fillon, il demeure un document auquel on se réfère d'autant plus volontiers qu'il n'a absolument rien changé aux façons d'enseigner et de concevoir les apprentissages.
L'opinion est majoritairement conservatrice en matière de pédagogie
Dans le même registre, certains se souviendront encore du violent tir de barrage opposé en son temps par le syndicat majoritaire contre les Travaux personnels encadrés (TPE), autre approche visant à décloisonner les apprentissages, à montrer aux jeunes que les savoirs ne sont pas des rondelles de saucisson étrangères les unes aux autres. À l'époque déjà, l'attaque ne portait pas sur le principe même mais, comme toujours, sur les modalités de mise en œuvre. Moyennant quoi le résultat fut le même : les élèves et les familles comprirent très vite que la rentabilité scolaire de l'exercice était modeste et qu'il ne méritait pas de grands efforts, et le grand public se demanda pourquoi diable on voulait rompre avec la tradition des disciplines étanches et autarciques.
Les plus optimistes opposeront à cette analyse les mille et une initiatives qui, sur le terrain, montrent que les mentalités évoluent un peu. Ici on croisera les disciplines sur un projet commun, là un voyage scolaire sera exploité tout au long de l'année par les enseignants de différentes disciplines... Mais que ces initiatives, éminemment louables, demeurent fragiles et parcellaires. Si le gouvernement ne trouve pas la clé du changement, la "refondation" de l'école risque fort de se traduire au sens le plus strict du terme par une consolidation des fondations d'un système scolaire dont chacun sait, pourtant, qu'il est impuissant à remplir la promesse d'égalité inscrite au fronton des écoles.