La loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche soulève la question de la nature de la profession d’enseignant-chercheur et celle du statut d’enseignant-chercheur dans la société civile. Nous proposons de modifier les modalités de sélection des présidents d’université pour répondre de la meilleure façon possible à la pression croissante exercée par la société civile sur la recherche et l’enseignement supérieur.
Pour présenter l’intérêt de cette proposition, nous allons analyser brièvement les enjeux de la loi Fioraso, évaluer la pertinence et l’impact de la proposition faite récemment par Valérie Pécresse, puis avancer une nouvelle suggestion pour faire évoluer les rapports entre enseignement supérieur, recherche et société civile.
Les enjeux de la loi Fioraso
La loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche, adoptée récemment à l’Assemblée puis au Sénat, n’est pas très bien reçue par une partie des enseignants-chercheurs. Les plus radicaux d’entre eux n’y voient pas la rupture attendue avec la loi LRU, que Valérie Pécresse a fait voter il y a six ans. Cette loi avait pour objectif principal de faciliter l’autonomie des universités (notamment en ce qui concerne la masse salariale et la gestion de l’immobilier) et de faire émerger des grands pôles universitaires visibles à l’échelle internationale.
Cet objectif n’a pas donné lieu aux débats qu’on aurait pu attendre sur la structure des universités. La raison principale en est que l’attention s’est portée sur la conséquence la plus polémique de cette réforme difficile et longue à appliquer, une université à deux vitesses.
Les grands pôles universitaires, les PRES, devaient recevoir davantage de moyens que les petites universités, dont la mission fondamentale serait non plus la recherche, mais le maintien d’un enseignement universitaire sur l’ensemble du territoire. L’idée a été d’autant plus mal reçue par une partie des enseignants-chercheurs que les critères d’évaluation de l’agence nationale d’évaluation des laboratoires, l’AERES, sont fondés exclusivement sur la recherche, au détriment de l’enseignement. La loi LRU entérinait donc l’idée non seulement d’une université à deux vitesses, mais aussi de deux classes d’enseignants-chercheurs, les uns destinés à l’enseignement dans une petite université de province, les autres destinés à une évolution de carrière rapide dans les grandes métropoles avec des décharges d’enseignement.
C’est l’une des raisons pour lesquelles les enseignants-chercheurs ont réagi en moins de deux jours à un amendement proposé par Europe-Ecologie Les Verts au Sénat le 21 juin dernier, amendement qui visait à supprimer la procédure nationale de qualification. Une pétition rassemblant plus de 13.000 signatures a été envoyée au Sénat qui a retiré l’amendement. La qualification est une procédure de promotion de niveau national. Des membres élus ou nommés du CNU (Conseil national des universités), enseignants-chercheurs eux-mêmes, examinent chaque année les dossiers de ceux qui souhaitent candidater à un poste de maître de conférences ou de professeur, ou bien de ceux qui souhaitent un avancement de carrière.
En se prononçant pour le maintien de cette procédure, les enseignants-chercheurs signataires de la pétition ont signifié leur attachement à un cadre national d’évaluation et de gestion des carrières, et, par conséquent, leur désapprobation de la régionalisation du système universitaire. Celle-ci est souvent vécue par les enseignants-chercheurs comme une dépossession de leurs prérogatives traditionnelles d’autogestion et de cooptation, prérogatives qui remontent au Moyen Âge, lors de la formation des universités.
Ainsi, une dimension symbolique est présente dans les débats qui entourent la loi Fioraso. Pour une partie des enseignants-chercheurs, c’est la nature de leur profession et leur fonction dans la société civile qui sont en jeu. Nous souhaiterions insister sur le contexte de cet enjeu. Il est d’abord question de la structure des universités. Une université se définit-elle comme un pôle de recherche ou un pôle d’enseignement ? Plus généralement, comment une Université s’organise-t-elle, comment est-elle gérée ?
Pour une partie des enseignants-chercheurs,
c’est la nature de leur profession et leur fonction dans la société civile
qui sont en jeu dans les débats autour de la loi
Renforcer la place des personnalités extérieures dans les conseils d’administration ?
Dans une interview accordée le 25 mai dernier au Figaro, Valérie Pécresse reproche à la loi Fioraso de renforcer les prérogatives traditionnelles des enseignants-chercheurs et, par conséquent, leur tendance à constituer une société fermée qui se reproduit d’elle-même. Pour lutter contre cette tendance qu’elle juge néfaste, elle suggère de renforcer la place des personnalités extérieures dans les conseils d’administration. La question sous-jacente, d’après nous, est bonne, et va au cœur de l’enjeu soulevé par les différentes réformes de l’université. Quelle place accorder à la société civile dans l’université ?
Ceci dit, la réponse de Valérie Pécresse est inquiétante. En effet, le conseil d’administration vote le budget et nomme les enseignants-chercheurs après proposition des commissions de recrutement. Il a donc tout pouvoir sur la répartition des fonds, pour l’enseignement comme pour la recherche, et sur la nomination des membres de l’université.
Valérie Pécresse ne précise pas que sa proposition a pour conséquence une modification de la structure des universités sans précédent en France et sans équivalent dans le reste du monde. Cette réponse subordonne le monde de la recherche aux impératifs de la société civile, qui décide non seulement d’un projet de société, mais aussi de la nature de la recherche qui doit être conduite dans les laboratoires français.
Selon cette suggestion, la société civile ne se limiterait pas à suggérer des programmes-cadres, comme c’est aujourd’hui le cas à l’échelle nationale et à l’échelle européenne. Elle dicterait la recherche à mener dans tel laboratoire. Imaginons que le PDG d’une grande multinationale française siège au conseil d’administration d’une université. Faut-il croire qu’il accordera mille euros au département de lettres classiques pour un colloque si ces mille euros sont nécessaires pour boucler le projet de coopération entre cette multinationale et le département de chimie qu’il promeut depuis plusieurs années ?
Il n’en reste pas moins que la proposition de Valérie Pécresse a pour elle d’inviter à un débat contradictoire sur la structure des universités et sur leur place dans la société civile. Il est également certain que tout corps de métier fondé sur la cooptation et l’autogestion de principe doit faire face continuellement à la menace de devenir une société close.
Tout corps de métier fondé sur la cooptation et l’autogestion de principe
doit faire face continuellement à la menace de devenir une société close
Recruter des personnalités issues de la société civile à la tête des universités
C’est pourquoi nous prenons au sérieux l’idée de faire intervenir des personnalités extérieures au cœur de l’université. Nous proposons que, suivant le modèle américain ou suédois, le président d’une université ne soit pas un enseignant-chercheur élu par ses pairs, mais une personnalité extérieure recrutée après appel à candidature.
L’université française retirerait deux bénéfices de cette proposition. D’abord, celle-ci permettrait de limiter les conflits entre l’Etat et l’université et entre les enseignants-chercheurs eux-mêmes, qui tendent à se reprocher mutuellement de céder à des compromissions avec le pouvoir quand ils sont à des postes de responsabilité.
Recruter une personnalité issue de la société civile aurait pour avantage de mettre en place une interface neutre entre l’université et l’Etat. Ensuite, l’ouverture de tels postes attirerait des candidats étrangers, ce qui contribuerait à l’internationalisation de la recherche française et à une coopération plus étroite entre les universités au niveau européen et mondial, sans remettre en question l’indépendance de la recherche vis-à-vis de la société civile.
Gabrielle Durand du think tank Cartes sur table
Cartes sur table est un laboratoire d’idées réunissant de jeunes contributeurs de 25 à 35 ans issus d’horizons divers. Créé en 2008, il a pris son envol lors de la campagne présidentielle de 2012.