Étudiant et coursier Deliveroo : “C’est très fatigant de marier études la journée et vélo le soir”
De plus en plus d'étudiants se laissent séduire par les plates-formes Deliveroo, Foodora ou UberEats, qui proposent des jobs de coursier à la tâche. De quoi leur garantir un minimum de revenu et un emploi du temps à la carte. Mais à quel prix ? Témoignages.
Ils surgissent à travers le trafic, un gros cube rose ou turquoise sur le dos, apparaissent dans l'embrasure de nos portes, une boîte de sushis ou un pizza à la main. En quelques années, les coursiers des plates-formes Deliveroo, Foodora et UberEats sont devenus indissociables du paysage urbain.
Ces petits boulots de livreur, payés tantôt à la tâche, tantôt à l'heure, guidés par une appli sur smartphone, ont séduit une génération d'étudiants en quête de revenus et à l'emploi du temps erratique. Le nouveau job qui fait florès, après ceux de la start-up.
"Parmi les jobs qui ne demandent aucune qualification, c'est un des moins relous. Je peux travailler quatre heures tel jour, zéro heure tel autre, si j'en ai envie. C'est pratique, je n'aime pas les horaires fixes", résume Édouard, 21 ans, en master de géographie à Paris, et qui roule pour Deliveroo depuis mi-août. Il fait partie des 7.500 livreurs de la start-up. Parmi eux, 53 % seraient étudiants, selon une enquête Harris Interactive réalisée en ligne auprès d'un échantillon représentatif de 605 livreurs.
Un recrutement éclair mais sélectif
Le recrutement est expéditif : une heure de formation, dans les locaux, avec un coach de Deliveroo – "la seule personne de l'entreprise que j'ai vue", raille Édouard. Après des questions et une livraison test, qui évalue à la fois la rapidité et le sens de l'orientation, certains sont retenus, d'autres échouent, sans savoir toujours pourquoi.
"Un copain, plutôt sportif, n'a pas été rappelé, sans explications. Il était bien ennuyé car il avait déjà créé son statut d'autoentrepreneur…", raconte Pierre, étudiant en journalisme à Toulouse (31), et ancien pédaleur pour le start-up Take it Easy, tombée en faillite.
Un statut d’autoentrepreneur (dés)avantageux ?
Mieux vaut être préparé à la paperasse : ces plates-formes obligent à être sous statut indépendant. La plupart choisit de devenir autoentrepreneur. Édouard a enregistré sa micro-entreprise. Il est donc devenu fournisseur de Deliveroo. Et non salarié. La nuance ? Il leur fournit prestations et factures, ce qui fait de l'entreprise non son employeur, mais son client. Sur son site, Deliveroo évoque pudiquement des "partenaires coursiers". "C'est carrément du salariat déguisé", rétorque Édouard.
Pour ces autoentrepreneurs, quelques avantages : le dispositif Accre leur permet, les premières années, d'être exonérés de charges sociales.
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De ce statut, il découle "plein de paramètres sur lesquels on ne peut pas agir, explique-t-on chez Deliveroo. On ne peut pas, par exemple, obliger un livreur à porter un casque". Même chose pour les uniformes. Les plates-formes, qui les leur louent, les incitent à les porter, mais ce n'est pas impératif. "Techniquement, on peut donc y aller nu si on veut", rigole Pierre. Le matériel étant à la charge du "prestataire",c'est par conséquent leur propre vélo que les coursiers enfourchent (une minorité roule en scooter). Ils utilisent aussi leur smartphone ou peuvent louer un portable Wiko avec dépôt de caution. Idem pour les glacières, maillot, tee-shirt, porte-smartphone sur le guidon... Une panoplie qui coûte 150 € de caution, amputée sur le premier salaire.
“Seul un nombre fixe de livreurs peut s’inscrire sur un créneau”
Et les courses ? Sur un calendrier numérique, les coursiers bloquent des "shifts" (des périodes de travail) de deux heures ou deux heures et demie. "Seul un nombre fixe de livreurs peut s'inscrire sur un créneau", prévient Édouard, le Parisien. Comme le stipule une notice que Deliveroo envoie à ses coursiers, et que l'Etudiant s'est procurée, "la validation d'une inscription sur le staffomatic [le calendrier des coursiers] dépend du besoin en bikers par zone et par horaire". Sur les horaires les plus prisés, les livreurs doivent réserver leurs shifts parfois une semaine à l'avance, afin d'être sûrs de pouvoir travailler.
Édouard a une astuce. "Dans les Ve, VIe et VIIe arrondissements, c'était chaud d'avoir des places. Maintenant, je livre dans le XIXe. Comme il y a beaucoup de pentes, il y a moins de coursiers."
“Mon record, c’est 84 km”
Toulouse, 17 h. Pierre en a terminé avec ses cours de journalisme. Il enchaîne sur le créneau de 19 h, le temps de souffler, puis d'enfiler sa tenue. Une fois dans les starting-blocks, il "s'active" sur l'appli, et reçoit aussitôt une alerte pour sa première commande. Il y a l'adresse du restaurant, celle du client. En selle, le voilà parti pédaler pour prélever un burger place du Capitole, ou un menu chinois rue Gambetta, le trajet rythmé par les sonneries. Les bons jours, il peut cumuler quatre commandes dans l'heure.
"Il y a un système d'algorithme qui repère qui roule le plus vite [ce que dément Deliveroo], assure Pierre. À ceux-là, l'appli donne les livraisons les plus difficiles à tenir. J'en ai eu beaucoup. Il m'est même arrivé qu'à 20 h 05, l'application sonne et me demande d'être au restaurant à 20 h 00…" Si le kilométrage oscille d'une course à l'autre, Pierre roule, en moyenne, 10 kilomètres par heure : "Mon record, c'est 84 km. J'avais travaillé tout un dimanche."
Hors heures creuses, les livreurs ont en moyenne un rythme de 3,2 courses par heure, qui rapporte chacune 5,75 €, selon l'enquête Harris Interactive. Ils sont en selle vingt-deux heures par semaine. Ceux interrogés pour cet article déclarent toucher une centaine d'euros par tournée. A son lancement, Deliveroo assurait des garanties minimales, aujourd'hui supprimées, et des primes liées au travail le week-end, qui ont progressivement diminué.
“Je piquais du nez en cours”
À cause de son emploi du temps, Vincent, étudiant en expertise comptable à Rennes (35), est un régulier des créneaux du dimanche soir. "Il m'arrivait alors de rentrer entre 23 h et minuit, et mon état de fatigue était prononcé. Le temps de ranger le matos, de prendre une douche, je m'endormais à 1 h 30, et je piquais du nez le lendemain matin en cours…"
Pierre a vécu la même chose à Toulouse. "Parfois, je terminais ma dernière course à perpette, du côté de la Cartoucherie [en périphérie de la ville]. Et il faut rentrer après… C'est très fatigant de faire des études la journée et du vélo le soir, et c'est mauvais pour le sommeil." Même s'il trouve le métier "sympa", il dit avoir arrêté les frais après deux semaines.
C'est en partie à cause d'un "emploi du temps qui n'était pas rigide" qu'Édouard, le Francilien, bouclait lui ses shifts sans trop de dégâts. En préparation d'un mémoire, il avait des semaines légères. "En revanche, si j'avais été en première année, ça aurait pu être problématique", admet-il. "C'est un travail très physique", concluent plusieurs de nos livreurs, qui tous pratiquaient le cyclisme avant de débuter.
“Si tu chutes à vélo, tu te débrouilles tout seul”
Et en cas de pépin ou d'accident de vélo ? Pierre a eu son lot de couacs : faux clients, adresse mal indiquée, clients absents, clients furieux… Lors d'un souci logistique, un service client pour les coursiers, le "biker support", est joignable sur la messagerie Telegram ou par téléphone. Pas toujours au rendez-vous en cas d'accident. "Si tu chutes à vélo, tu te débrouilles tout seul. Je suis parti aux urgences deux fois. Et je suis toujours en procédure d'indemnisation pour faire réparer un vélo cassé, explique de son côté Vincent. Parfois, j'enrage contre ce système." Deliveroo assure néanmoins proposer une assurance responsabilité civile gratuite. Et Édouard de lui emboîter le pas : "Ils jouent sur notre précarité en tant qu'autoentrepreneurs, qui fait qu'on accepte tous les risques." Et pourtant, ils roulent.