Témoignage : Jean-Marc publie sa thèse
Après quatre ans de recherches et 400 pages de thèse d’archéologie, Jean-Marc fait partie des rares docteurs ayant pu publier l’intégralité de leur travail. Myriam Greuter relate son expérience dans Bien rédiger son mémoire ou son rapport de stage, publié aux éditions l’Etudiant. Extraits.
Vivement encouragé par son jury, pressé par un éditeur, Jean-Marc, ancien élève de l'université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) s'estime « chanceux » d'avoir vu paraître sa thèse sur des pointes de sagaie vieilles de 15 000 ans retrouvées dans une grotte des Pyrénées-Atlantiques – de son petit nom « Des Magdaléniens en armes : technologie des armatures de projectiles en bois de cervidé du Magdalénien supérieur d'Isturitz ».
De la recherche de financements jusqu'au portage à domicile, la publication d'un mémoire demande bien des efforts... mais le jeu en vaut la chandelle.
Faute d'ouvrage, on se contente d'articles
Avant la thèse, à bac+4 et bac+5, les mémoires écrits par Jean-Marc n'avaient été diffusés qu'à petite échelle. À défaut de parution in extenso, les étudiants de master et les thésards peuvent toutefois tenter leur chance du côté des revues scientifiques.
Des masters hélas confidentiels
« En quatrième et cinquième années, mes mémoires d'archéologie avaient été assez confidentiels, se souvient Jean-Marc. J'en avais seulement fait une dizaine de copies, distribuées aux membres de mon jury, à la bibliothèque de la fac et aux spécialistes que j'avais consultés et qui me l'avaient demandé. La diffusion des mémoires est un problème vivace, au moins en archéologie.
Lorsqu'une bonne thèse est soutenue quelque part, cela se sait, même quand elle n'est pas publiée (l'archéologie est un petit milieu !). On peut alors sans trop de difficultés en trouver une copie papier, ou une version sur CD-Rom. Un mémoire de master a, en revanche, bien plus de risques de passer inaperçu. C'est regrettable : on passe à côté de mines d'informations. Et les initiatives pour faire connaître ces travaux sont encore rares. »
Du bon usage des parutions dans des revues
En règle générale, les mémoires de master (50 à 100 pages) n'ont pas vocation à être publiés tels quels. Le résultat de vos cogitations n'est toutefois pas condamné à dormir dans un tiroir : « Classiquement, raconte Jean-Marc, lorsqu'un mémoire de master est bon, l'étudiant en tire un article d'une quinzaine de pages pour une revue spécialisée. Je l'ai fait à bac+4 et à bac+5.
À ce propos, mieux vaut privilégier les revues scientifiques ayant une parution régulière, plutôt que les actes de colloques. Les colloques vous permettent, certes, d'étendre votre réseau. Mais un papier dans une revue sera mieux considéré par les jurys d'institutions scientifiques comme le CNRS, et il sortira plus vite (il faut raisonnablement compter deux ans avant la parution d'actes de colloque !). »
Jury de thèse, éditeur : des soutiens déterminants pour la publication
Pour sa thèse, Jean-Marc a obtenu la mention très honorable avec les félicitations du jury à l'unanimité – la meilleure appréciation qu'un étudiant puisse espérer. Mais les jurés ne se sont pas arrêtés là : ils ont recommandé que son travail soit édité. Une bonne surprise pour Jean-Marc, même s'il a fallu d'autres pressions pour le décider à publier...
« J'ai évidemment été heureux que les jurés de soutenance m'encouragent à faire éditer ma thèse, sourit Jean-Marc. Ce jugement ne les engage toutefois à rien. Il s'apparente plus à un degré supplémentaire dans la louange. Fondamentalement, tout étudiant qui décroche le titre de docteur mérite d'être publié : l'obtention du diplôme prouve que ses résultats de recherches sont intéressants. »
« Un an a passé après ma soutenance. Pendant cette période, j'ai continué à écrire des articles en puisant dans la matière de ma thèse, j'ai participé à des colloques, cherché des financements post-doctoraux. Or, durant ma thèse, j'avais noué des relations étroites avec l'équipe belge du CEDARC (Centre d'études et de documentation archéologiques). Le directeur de l'association faisait d'ailleurs partie de mon jury. Un an après ma soutenance, il m'a proposé avec insistance de me publier.
J'ai eu de la chance, car ces spécialistes éditent une collection d'ouvrages sur la préhistoire. Normalement, c'est plutôt à l'étudiant-chercheur de démarcher les éditeurs scientifiques : universités, sociétés savantes (comme la Société préhistorique française, dans mon domaine), certains éditeurs de sciences humaines davantage tournés vers le grand public... On s'expose à beaucoup de refus, on ne reçoit pas toujours de réponse.
Lorsque le CEDARC m'a fait cette proposition, je me suis dit "c'est maintenant ou jamais". Au fond, je souhaitais que mes résultats soient accessibles à d'autres chercheurs. Une telle publication consolidait aussi mon dossier de candidature pour le CNRS. Enfin, j'avais envie de passer à autre chose, au lieu de continuer à aligner des articles sur le même sujet pendant cinq ou dix ans. Certains chercheurs bâtissent même toute leur carrière sur leur thèse... »
Si nombre d'étudiants-chercheurs aimeraient publier leurs travaux, leur projet reste, la plupart du temps, un vœu pieux.
« Les chercheurs, raconte Jean-Marc, sont assaillis de sollicitations : articles à écrire, études de matériel, dossiers de subventions à remplir, communications dans des colloques... En revanche, personne n'est dans leur dos pour leur rappeler de faire éditer leur mémoire. Résultat, tout comme le fameux "je me remets à la gym", la publication passe toujours en dernier dans la liste des priorités. Or, plus on tarde, plus ce qu'on a écrit semble erroné, insuffisant... Si j'avais un conseil : n'attendez pas pour publier vos travaux ! »
Une entreprise de plusieurs mois
Une fois déniché l'éditeur, il reste de nombreuses portes auxquelles frapper : bailleurs de fonds, imprimeur, correcteur, maquettiste, diffuseur... Jean-Marc s'est même fait coursier, pour livrer les exemplaires directement chez ses lecteurs !
« Attention, avoir trouvé un éditeur ne suffit pas, prévient Jean-Marc. La plupart des publications scientifiques ne sont en effet pas rentables, ou alors sur le long terme. Or les maisons qui les éditent sont trop fragiles pour investir dans la mise en pages, l'impression, la diffusion... S'ouvre donc une deuxième étape : la recherche de financements.
Dans ma chasse aux subventions, j'ai suivi deux pistes. Mon labo a tout d'abord déposé une demande de soutien à l'université Paris-1, qui a été refusé. J'ai prospecté de mon côté, par e-mail et par téléphone : ma thèse étant une monographie, portant sur un seul site préhistorique, j'ai cherché des soutiens à l'édition auprès de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), du conseil général et des sociétés savantes locales. En vain.
Mon salut est venu de la fondation des Treilles. Cette société philanthropique délivre notamment des bourses post-doctorales – dans toutes les disciplines, mais avec un attachement particulier pour les archéologues. J'avais, sans succès, brigué une de ces bourses pour financer mes années de recherches après la thèse.
Quelques mois après, j'ai eu une excellente surprise en ouvrant ma boîte aux lettres : la fondation avait réexaminé mon dossier lors d'une nouvelle session, et m'avait attribué une bourse. Un chèque de 7 592 euros était joint – et son jumeau suivrait un peu plus tard ! Ayant entre-temps trouvé un financement post-doctoral, j'ai demandé si je pouvais conserver 6 000 euros pour faire paraître ma thèse. Accordé. »
Avoir plusieurs mois devant soi
« L'enveloppe octroyée par la fondation des Treilles a couvert les frais d'impression et de mise en page. Normalement, les éditeurs ont leurs propres partenaires pour ces deux étapes, mais la collection du CEDARC étant en sommeil, j'ai moi-même fait établir des devis (il est indispensable de comparer au moins trois professionnels !).
Dans mon cas, la publication a pris cinq mois au total : un délai inhabituellement rapide. Après les recherches de devis et les demandes de financements, j'ai peaufiné le texte pendant deux mois, rectifié certains passages ou certains termes, enrichi la bibliographie. Nous n'avions pas de quoi payer un correcteur ; j'ai donc fait confiance au texte existant et à la vérification orthographique de Word...
Ensuite, il a fallu compter un mois et demi pour la mise en page : avec le maquettiste, nous avons phosphoré sur le nombre de colonnes, le choix des polices... et nous avons organisé des navettes pour chacun des 13 chapitres (ma thèse fait 431 pages). Attention ! Sans préjuger du talent du maquettiste, il devra se plier aux normes des publications scientifiques qui doivent être très claires et assez sobres. L'orientation des photos, les échelles, ne peuvent pas être facilement modifiées – même si les pages seraient plus jolies autrement.
Enfin, l'impression a pris deux semaines : une chance, quand on sait à quel point les entreprises sont habituellement débordées ! Bref, le jeu en vaut la chandelle, mais il faut prévoir des mois et des mois où l'on s'occupera essentiellement de cette publication : impossible de n'y consacrer que ses moments libres... »
« Aujourd'hui, je suis heureux d'avoir publié ma thèse, mesure Jean-Marc. Je pense que la diffusion de ses travaux fait partie du travail d'un chercheur, et j'ai maintenant un texte de référence : si quelqu'un me pose une question, je peux le renvoyer à ma thèse au lieu de lui dire, comme avant : "Tu trouveras une partie des résultats dans tel article, le reste dans tel papier qui n'est pas encore sorti..." Mon travail est maintenant plus pérenne, plus professionnel, et imprimé en quantité suffisante pour satisfaire tous les demandeurs !
Pour distribuer les 400 exemplaires de ma thèse, je me suis un peu transformé en VRP : afin d'économiser les frais de port, j'ai déposé directement les ouvrages chez les souscripteurs de la région parisienne. À l'avenir, les intéressés pourront se procurer ma thèse de plusieurs manières : par correspondance via le CEDARC, directement auprès de la SARL qui gère le site préhistorique que j'ai étudié dans le Sud-Ouest, en se rendant dans une librairie parisienne spécialisée en sciences humaines où nous avons laissé des exemplaires en dépôt, ou bien en me contactant.
À ce propos, si j'avais un dernier conseil : ne faites pas comme certains amis, qui, ayant publié leur thèse chez un éditeur, l'ont de leur côté largement distribuée sur CD-Rom. L'éditeur a, dans ce cas, des raisons de fulminer. Rappelez-vous que les amis, les collègues, les spécialistes à qui vous serez tenté de communiquer gratuitement votre travail... sont aussi les clients potentiels de la version papier ! »
Pratique : n'oubliez pas la diffusion numérique !
Faute d'éditeur ou de financements pour une publication, pensez à la diffusion numérique : gravez votre mémoire sur des CD-Roms que vous distribuerez aux étudiants ou aux chercheurs intéressés par votre sujet. « De nombreux étudiants-chercheurs mettent aussi leur mémoire en ligne, sur une page Internet personnelle ou sur le site de leur centre de formation » remarque Jean-Marc, ancien élève de l'université Panthéon-Sorbonne.
À lire, aux éditions de l'Etudiant
Bien rédiger son mémoire ou son rapport de stage, de Myriam Greuter
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