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Portrait

David, 36 ans : "Comment je suis devenu détective privé"

Devenu_Détective privé_David © Olivier Guerrin pour l’Etudiant_PAYANT
David Liobard en planque. Sa mission : suivre sa cible en toute discrétion. Détective privé depuis 2005, il a ouvert il y a dix ans sa propre agence, Investipole. © Olivier GUERRIN pour L'Étudiant
Par Camille Jourdan, publié le 18 janvier 2019
9 min

Ni Hercule Poirot ni Sherlock Holmes, David Liobard est pourtant détective privé. Armé de son appareil photo, il mène des enquêtes depuis une quinzaine d’années.

David a garé sa voiture. Il est en planque : depuis ce matin, il suit l’employé d’une entreprise de paysagisme censé être en arrêt maladie. Soupçonnant une fraude, la société a demandé au détective privé de mener une enquête. Pas de loupe, de chapeau, ni d’imper pour le jeune enquêteur.

Au contraire, David mise tout sur la discrétion, une qualité indispensable pour suivre quelqu’un sans être remarqué. Et c’est bien là sa principale mission : suivre le mari dont la femme craint d’être trompée, suivre l’employé que son patron soupçonne de voler du matériel, etc.

"90 % de nos clients sont des entreprises", précise David. Leurs motifs sont variables : "On peut par exemple vérifier le respect des consignes de sécurité – un transporteur qui reprend la route après avoir bu –, ou contrôler le temps de travail – un commercial qui n’effectuerait pas les horaires qu’il prétend."

Concurrence déloyale et vol de brevet sont aussi le lot d’Investipole, la société qu’a créée David avec son meilleur ami, qui compte aujourd’hui neuf agences aux quatre coins de la France. Certains particuliers font appel à leurs services dans les classiques histoires d’adultères, évidemment, mais les détectives privés sont également amenés à rechercher des personnes disparues.

"Je ne connaissais pas ce métier, à part dans les films ou les séries TV"

À 36 ans, l'enquêteur lyonnais est entré dans le milieu de l’investigation privée après une licence en droit. Il était pourtant parti pour devenir journaliste. C’est d’ailleurs au détour d’une interview qu’il rencontre un détective privé : "Je ne connaissais pas du tout ce métier, à part dans les films ou les séries télévisées", confie David.

Il a alors un véritable "coup de cœur". Après une épreuve écrite et un entretien de près de quatre heures, il intègre l’IFAR (Institut de formation des agents de recherches), à Montpellier (34).

Pendant six mois, il apprend les bases juridiques que tout bon enquêteur doit connaître : quelles preuves sont recevables devant la justice ? Où prendre des photos sans risquer une amende ? Peut-on enregistrer quelqu’un à son insu ?

"Le plus passionnant, c’était les cours pratiques", se souvient David : photos sur le terrain, jeux de rôles… "Certains jouaient les cibles, les autres les enquêteurs. Une batterie de caméras nous permettait ensuite d’observer nos erreurs."

Il découvre une autre réalité sur le terrain. Une fois diplômé, il obtient son agrément, sorte de "permis" pour exercer son métier. Il est alors embauché dans une agence marseillaise, où il restera deux ans. Au fil des enquêtes, il gagne de l’expérience. "Le principal outil de travail d’un détective, c’est sa tête", estime David, dont la mission commence lorsqu’un client vient le voir. Selon la demande, il propose une stratégie.

"Ne pas se faire remarquer ne signifie pas ne pas être vu"

Bien souvent, la filature fait partie de l’enquête. Le principe : ne pas perdre sa cible de vue. "Dans une foule, on va rester à trois ou quatre mètres de la personne.

Mais si on la suit en voiture, de nuit, seul sur une route nationale, il faudra peut-être laisser une distance d’un kilomètre", décrit David qui, parfois, se retrouve même à côté de sa cible : "Si elle entre dans un restaurant pour discuter avec quelqu’un, le but est d’entendre la conversation…"

C’est pourquoi le détective précise que "ne pas se faire remarquer ne signifie pas ne pas être vu" : "On peut croiser la personne deux ou trois fois dans la même journée sans être repéré", assure ce pro du "désilhouettage", qui consiste à changer d’apparence physique rapidement. "J’ai toujours un grand sac, rempli d’accessoires ", confie-t-il.

Très vite et le plus naturellement possible, David enfile des lunettes, met un bonnet ou passe un pull. Un vrai travail de "caméléon".

"On donne une fausse identité, sans tomber dans l’usurpation"

Mais la filature ne suffit pas… Le détective ne doit surtout pas oublier de prendre des photos. Jusqu’à "1.000 par jour", estime David, qui ­flashe tout, "du facteur qui vient poster le courrier à l’ami que sa cible rencontre, même s’ils n’ont aucun lien avec l’affaire".

"Certains détectives utilisent aussi un dictaphone, pour décrire ce qu’ils observent, mais aussi pour enregistrer leurs témoins." Un voisin, un collègue, le client d’une cible coupable de concurrence déloyale… Le détective privé interroge tous ceux susceptibles de l’aider. Il se présente aussi en tant qu’enquêteur.

D’autres fois, "on donne une fausse identité, sans tomber dans l’usurpation", insiste David, qui garde toujours son scénario de couverture en tête. Il sera celui qui a perdu son chien ou celui qui cherche un appartement. Le temps de récupérer quelques informations sur sa cible.

Lors d’infiltrations, il peut camper un personnage durant des semaines. "Je suis allé pendant trois mois dans une entreprise et j’avais choisi de me présenter comme baroudeur. Grossière erreur : j’étais jeune, et je n’avais pas beaucoup voyagé. J’ai dû tout inventer… J’ai pris des risques inutiles !" Selon lui, la sincérité reste la meilleure des couvertures : "Une ancienne expérience professionnelle peut être une bonne base."

Tributaire de ses cibles, le détective peut se retrouver à prendre l’avion pour aller au bout du monde ou passer sa journée à attendre que la filature commence. Là, l’adrénaline monte : sa voiture doit pouvoir démarrer immédiatement, son appareil photo être prêt à fonctionner.

Feux rouges, stops, limitations de vitesse : toutes ces règles n’existent plus quand il faut suivre sa cible. "Il faut être capable de prendre ces risques tout en analysant les dangers", explique l’enquêteur.

"On observe des choses inhumaines et immorales, sans pouvoir agir"

Deux jours ou six mois… La durée des missions varie, tout comme leur objet : "Vous pouvez passer de la traque d’un vol de brevet à 3 milliards de dollars à un bisou", résume David. "Certaines enquêtes sont plus marquantes", poursuit-il. Il évoque l’infiltration dans une secte ou les affaires de pédophilie.

"Notre métier a un côté voyeuriste : on observe parfois des choses inhumaines et immorales, sans pouvoir agir." Mais le détective se souvient aussi d’affaires plus légères : "L’époux infidèle qui sort à l’arrière d’un immeuble, en slip, à 6 heures du matin", sourit-il.

Chaque jour, l’inspecteur restitue à ses clients l’avancée de ses recherches. Une fois la mission terminée, David rédige un rapport agréé, où il intègre toutes ses constatations et une sélection de photos. Des preuves qui pourront être présentées devant un tribunal.

"Même s’il s’avère que la cible est innocente, notre rapport est très détaillé, pour légitimer notre travail", précise David. Assis dans sa voiture, il ne sait pas encore exactement ni quand ni où il finira sa journée.

Malgré les contraintes du métier, David a l’impression de servir des "causes justes, tout en s’amusant" : "Je suis un peu comme dans un jeu vidéo, sauf que je n’ai pas le droit de perdre."

Devenir détective privé

Deux écoles forment au métier de détective privé : l’IFAR (Institut de formation des agents de recherches), à Montpellier, et l’ESARP (École supérieure des agents de recherches privées) à Paris. Accessibles après le bac, elles préparent au CQP (certificat de qualification professionnelle) qui permet de travailler uniquement comme salarié.
Pour ouvrir sa propre agence, il est préférable d’intégrer l’école après un bac+2 pour décrocher le "titre certifié" de détective.
Deux licences professionnelles débouchent également sur ce titre, à Nîmes et à Paris 2. Les candidats sont sélectionnés sur dossier et passent un entretien oral.
Les étudiants en droit sont privilégiés, mais les autres ne sont pas exclus. La formation dure généralement un an et inclut des stages.

Le parcours de David en 5 dates

2001 : obtient le bac S.
2004 : décroche une licence de droit à Lyon 2 et entre à l’IFAR.
2005 : obtient le titre de détective privé.
2005 : devient salarié d’une agence de détectives, à Marseille.
2008 : ouvre son agence, Investipole.

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