Sébastien, 31 ans : comment je suis devenu ingénieur composite naval
Dans son bureau d’études en Bretagne, Sébastien, 31 ans, conçoit certains des plus grands voiliers de compétition du monde. En lien avec les navigateurs, les équipes de course et les chantiers navals, il imagine les pièces – mâts, coques, etc. – qui feront la différence.
Sa coque de 40 mètres, noir, blanc et or, tirée hors de l'eau, brille sur un quai du port de Lorient (56). "Spindrift", le plus grand voilier multicoque du monde, profilé comme une Formule 1, se repose. Son mât de 42 mètres en matériau composite – la hauteur d'un immeuble de 14 étages – est au chaud dans un hangar. L'un de ses concepteurs travaille à moins de 5 kilomètres de là, dans un bureau d'études, HDS-GSea Design.
Sébastien est ingénieur en calcul de structure composite. Il sourit. "Ça fait peur dit comme ça. Alors, je dis que je fabrique des bateaux de course." Au palmarès de son bureau d'études, le trimaran vainqueur de la transat Jacques Vabre en novembre et plusieurs monocoques du Vendée Globe, la mythique course en solitaire autour du monde qui prendra le départ en novembre prochain. "Nous travaillons à 95 % sur des voiliers de compétition, le reste sur des dossiers industriels. Dans ces voiliers, nous réalisons les mâts, les plates-formes, les quilles, les bômes et les appendices tels que les safrans, les foils et les ailes." C'est technique, la voile.
"Notre métier, c'est d'aider le navigateur à faire ses choix"
Des calculs, il en fait un paquet, avec les 15 autres salariés du bureau d'études : des ingénieurs, des projeteurs [qui réalisent les plans en fonction des calculs réalisés par les ingénieurs] et une secrétaire. Mais ce n'est pas comme ça que Sébastien résume son activité : "Notre métier, c'est d'aider le client – très souvent le navigateur lui-même – à faire ses choix grâce aux données factuelles et aux outils pragmatiques que nous lui livrons."
Le navigateur a un besoin – aller plus vite, résister à une tempête –, l'ingénieur composite naval calcule la nature des pièces à fabriquer (matériau, résistance, dimensions, etc.) pour atteindre l'objectif. Mais ses interlocuteurs ne sont pas que les navigateurs. "Pour la coque – qu'on appelle la plate-forme – et les appendices, on travaille davantage avec les architectes navals et les équipes de course." D'ailleurs, quelle différence avec un architecte naval ? "En tant qu'ingénieur, je réalise uniquement le calcul de structure. Je ne m'occupe pas de stabilité, de prédiction de performance, de fluides qui sont traités par d'autres métiers. L'architecte naval est celui qui coordonne tous ces métiers, avec un phénoménal esprit de synthèse."
"La moitié de mon temps, j'agis en qualité de chef de projet"
Dans les bureaux, l'ambiance est détendue. Les ingénieurs et projeteurs ont la trentaine, certains moins. Au mur, des plans de bateaux, des dessins techniques et un poster de... “la Marque jaune”, l'album de la série "Blake et Mortimer". Quand un problème se pose, chacun prend son ordi, pivote sur sa chaise, se lève, cogite, réagit, rigole, se rassoit, propose, râle, se relève. Une décision est prise. Ça bouillonne. "Ce qui est génial ici, c'est qu'on peut avoir, à gauche, une personne qui travaille sur un voilier du Vendée Globe, au centre, quelqu'un qui calcule la structure d'une pale d'hydrolienne, et à droite, quelqu'un d'autre qui façonne l'aile d'un voilier de la Coupe de l'America."
Long de 40 mètres, le "Spindrift 2", est le plus grand voilier multicoque du monde.// © Eloi Stichelbaut / Spindrift racing
La semaine type de Sébastien : "Tous les lundis, nous faisons une réunion planning où nous évoquons l'état d'avancement de chaque projet. Nous avons ensuite des rendez-vous clients, plutôt dans nos bureaux ou dans les leurs en phase de conception, et, de préférence, sur les chantiers navals en phase de production des pièces." Avec 9 ans d'ancienneté dans l'entreprise, Sébastien est désormais associé (avec deux autres personnes) et directeur technique.
Ses missions se sont élargies à la gestion de projet et à la réflexion stratégique sur l'avenir de l'entreprise. "La moitié de mon temps, j'agis en qualité de chef de projet. J'ai en moyenne trois projets en cours dont un où je suis responsable du design, c'est-à-dire que je réalise moi-même les calculs.
En tant qu'associé, je dois réfléchir à l'évolution du bureau d'études qui est en pleine réorganisation : de quoi auront besoin les salariés demain, quelles activités allons-nous développer ? Il faut ajouter à cela les multiples demandes de devis et les dizaines de petites questions que nous posent régulièrement nos clients !" La semaine est bien remplie. Salaire net : 1.700 € la première année, 3.000 € aujourd'hui.
"En première année de prépa, je continuais la voile"
Aussi loin qu'il se souvienne, Sébastien a toujours voulu faire ce métier. "Je voulais concevoir des bateaux depuis tout petit. Pourtant, je me suis mis tardivement à naviguer." La pratique de la voile le saisit à l'adolescence et ne le lâche plus. "Les jours qui ont précédé le bac, j'étais en entraînement de régate ; à cette époque, je faisais jusqu'à 8 heures de voile par jour et je travaillais le soir."
L'élève du lycée Gustave-Monod, à Enghien-les-Bains (95), décroche son bac S en 2002, avec une mention assez bien. Il s'inscrit en prépa maths au lycée Janson-de-Sailly, à Paris. "J'ai adoré la prépa, cela m'a appris mes limites et l'humilité. En première année, je continuais la voile, j'avais un entraînement tous les dimanches, plus les régates et les stages. Mais en deuxième année, je me suis arrêté car cela aurait été dommage de cuber [redoubler la seconde année de la classe prépa] juste pour naviguer." En 2004, Sébastien sort de prépa et intègre l'École centrale de Marseille, dans la spécialité M3S (modélisation mécanique des matériaux et des structures).
"Après un cycle ingénieur, j'ai été pris en Mastère Spécialisé à l'ENSTA"
"En école d'ingénieurs, le rythme est plus cool qu'en prépa. Et c'est là que j'ai pu commencer mes stages : d'abord dans un chantier naval à La Ciotat [13], puis dans l'organisation d'une régate, enfin dans le bureau d'études où je travaille aujourd'hui." Sébastien y entre en 2007 pour un stage de fin d'études de 6 mois (3 mois de programmation, 3 mois de projet)... et n'en repartira pas.
Sébastien calcule la nature des pièces en composite, nécessaires à la fabrication de bateaux de toutes sortes. // © Cédric Martigny pour l'Etudiant
"Après un cycle ingénieur, j'ai été admis à l'ENSTA Paris en Mastère Spécialisé d'architecture navale. Mais mon patron m'a dit qu'il avait un poste pour moi, et 5 ans d'études, c'était déjà bien. Par ailleurs, je ne voulais pas devenir architecte naval, parce que j'aurais eu la sensation de ne pas maîtriser tous les sujets que je vends au client. C'est un besoin d'approfondissement qui m'est propre."
"La majorité des ingénieurs ont déjà fabriqué leur planche de surf"
Pas de sixième année donc, et les mains dans le charbon dès la fin des études. "Nous avons un dialogue régulier avec les gens qui fabriquent les pièces sur les chantiers navals. C'est pourquoi il faut déjà avoir mis la main à la pâte, savoir ce que cela veut dire d'envoyer quelqu'un meuler du carbone pendant 4 heures dans un mât. C'est une anecdote, mais chez nous la majorité des ingénieurs ont déjà fabriqué eux-mêmes leur planche de surf."
Ce goût de la "pâte", Sébastien l'a acquis au lycée. "Pendant mon année de terminale, j'étais en option sciences de l'ingénieur : pendant que les autres faisaient biologie, je faisais 8 heures de plans. Cela s'est révélé décisif, parce qu'ici on fait beaucoup de schémas à la main au quotidien."
"Les motivations sont la maîtrise de la conception d'un produit de A à Z"
Quand il parle du travail en bureau d'études, le jeune ingénieur à la barbe noire insiste bien sur un point : "Beaucoup de candidats postulent ici en pensant naviguer. Or, nous cherchons des ingénieurs qui veulent faire de la structure, développer des logiciels." Depuis quelques années, en effet, la course au large vit un tournant, les navigateurs étant de plus en plus ingénieurs de métier ou d'approche, les équipes de course elles-mêmes recrutant davantage d'ingénieurs. "Les motivations dans mon métier sont la maîtrise de la conception d'un produit de A à Z ; sortir les bonnes courbes qui permettent au navigateur de faire le bon choix ; ne jamais travailler sur la même chose ; l'intérêt sincère pour les métiers sur les chantiers." La main à la pâte, nous dit-on.
Le parcours de Sébastien
2002 : bac S, à Enghien-les-Bains (95).
2003-2004 : prépa maths au lycée Janson-de-Sailly, Paris.
2005-2007 : cycle ingénieur à l'École centrale de Marseille.
2007 : premier stage en bureau d'études.
2015 : associé et directeur technique du bureau d'études HDS-GSea Design.
2016 : le trimaran “Spindrift”, dessiné par son équipe, réalise le deuxième meilleur temps des tours du monde à la voile.
Comment devenir ingénieur composite naval
Le bac S sera votre meilleur allié pour viser une école d'ingénieurs. Celle-ci est acessible sur concours directement après le bac (prépa intégrée) ou après 2 ans d'études supérieures : prépa (maths sup, maths spé), DUT (diplôme universitaire de technologie) ou licence troisième année scientifique. Le titre d'ingénieur (bac+5) vous permettra de travailler en bureau d'études, sur un chantier naval ou en équipe de course. Les bureaux d'études sont friands d'élèves issus de prépa. Plusieurs écoles d'ingénieurs ont des cursus orientés vers la construction navale. Parmi elles, l'INSA Lyon, les Écoles centrales de Nantes et de Marseille, l'ENSIETA Brest et l'École navale de Brest.
Pour devenir architecte naval, le profil ingénieur est privilégié : outre l'ENSTA Paris, SeaTech (université de Toulon) propose un parcours en génie maritime, et l'université de Southampton (Grande-Bretagne) forme à un diplôme très réputé en Ship Science.