"Je suis passionnée par toutes ces nanas qui ont donné leur vie à leur art"

Aimiez-vous déjà dessiner lorsque vous étiez enfant ?
Je passais mon temps à cela. Au collège, je dessinais beaucoup en cours de maths, où je m'ennuyais royalement. Un jour, mon prof m'a surprise en train d'esquisser un portrait de lui sous les traits d'un cochon. Peu de temps après, il convoquait mes parents pour leur dire que j'étais très douée en dessin et qu'il fallait absolument que je suive cette voie. C'est finalement grâce à lui que j'exerce aujourd'hui ma passion.

Après votre bac, vous intégrez les Arts décoratifs à Strasbourg...
J'ai suivi la section illustration de cette école, tout en faisant une maîtrise d'arts plastiques à la fac de Strasbourg. Je savais déjà que je ne deviendrais pas professeur. Durant mes études, j'ai fait des dessins pour des magazines locaux, puis j'ai été sélectionnée pour le catalogue de la Foire du livre de Bologne, en Italie. Cela m'a ouvert des portes. Après mon diplôme, je suis partie à Paris avec mon dossier pour rencontrer les éditeurs.

Et tout s'est enchaîné très vite ?
J'ai débuté en publiant des albums pour enfants aux éditions Hachette, Epigones, Nathan et Hatier. En collaboration avec Fanny Joly, j'ai dessiné Marion et Charles pour le mensuel Je bouquine, ainsi que les Aventures de Bob et Blop avec Paul Martin, chez Bayard. J'ai aussi collaboré à des séries de la Bibliothèque rose, à des livres pour enfants, à l'Encyclopédie des filles, éditée par Plon. Puis est venue la série Lucie en 2000, avec l'aide de Véronique Grisseaux. Ma carrière a vraiment été boostée en 2005 quand j'ai obtenu le Prix du public au Festival d'Angoulême pour le Sang des Valentines, avec Christian de Metter.

Peu de dessinatrices réussissent dans ce métier ?
Je suis consciente que j'ai beaucoup de chance de vivre de ma passion. La majorité des femmes de ma promo ne travaille pas dans la BD. C'est vrai que c'est difficile de se faire une place dans cet univers culturellement masculin. Mais des femmes comme Claire Bretécher ont changé les mentalités. Alors, welcome aux filles dans la BD !

Vous consacrez d'ailleurs beaucoup d'albums à des destins de femmes, telle Kiki de Montparnasse ? 
C'est vrai que j'aime rendre hommage à toutes ces femmes qui se sont battues pour obtenir les droits que nous avons aujourd'hui, à celles qui ont préféré choisir leur vie plutôt que de la subir. Je suis aussi passionnée par ces nanas, comme Kiki de Montparnasse, qui ont donné leur vie à leur art. Je m'intéresse en ce moment à Mireille Balin, une actrice splendide des années 1940, qui a notamment joué dans Pépé le Moko avec Gabin. Elle a connu la gloire, mais la fin de sa vie est une véritable descente aux enfers.

Comment travaillez-vous au quotidien ?
Après avoir amené mes filles à l'école, je vais au café et je prends des notes dans un petit bloc. C'est mon moment de distraction et de concentration. Je dessine tout ce qui me passe par la tête ou les gens qui m'entourent, les objets, je capte des ambiances. Puis je me rends à mon atelier. Je travaille sur plusieurs projets à la fois : je peux bosser deux heures sur Marion et Charles, deux heures sur mon prochain roman graphique... Je fais aussi des repérages à l'extérieur. Je suis sur un projet avec l'actrice Mylène Demongeot. Je suis donc allée chez elle, dans le Sud, pour voir sa maison, m'imprégner de son quotidien.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut se lancer ?
Je lui dirais d'être persévérant, car c'est un métier où l'on perd très vite confiance. C'est le travail qui fera la différence. Il ne suffit pas d'être bon techniquement, il faut trouver son style, l'affiner et prendre du plaisir. Enfin, il faut être patient. Il m'a fallu une dizaine d'années pour devenir un auteur plus qu'une prestataire de services...


Crédit photo : Eric Garault