Directeur, à 36 ans, de l’Institut de recherche mathématique Henri-Poincaré, il se remémore ses 20 ans, qu’il passait dans le Ve arrondissement de Paris comme étudiant à l’ENS (École normale supérieure) Ulm. Souvenirs d’une époque festive.
Que faisiez-vous à 20 ans ?
J’étais à l’ENS, rue d’Ulm, en 2ème année. Mes 4 ans dans cette école ont été rythmées par des moments de travail frénétique et de "glande" tout aussi intense. Pas vraiment de la paresse, mais un désœuvrement organisé de manière assez systématique : il s’agissait, selon l’expression d’un de mes proches amis, de "bouriner la glande". Après la
prépa [qu’il a faite au lycée Louis-le-Grand à Paris], ça a été un vrai choc culturel. J’ai rencontré des élèves issus de tous les horizons, des littéraires, des scientifiques, des historiens, des musiciens… J’ai découvert la musique en discutant avec des passionnés. Je me souviens, par exemple, d’un camarade littéraire qui connaissait le catalogue de Bach par cœur. J’ai repris des cours de piano, je suis allé à des concerts, au cinéma, à des boums. J’ai dépensé les heures sans compter à chercher des anagrammes aux noms de mes camarades.
Avant l’ENS, vous étiez donc plutôt sage ?
J’étais studieux. J’avais des bonnes notes dans toutes les matières, et j’ai obtenu la meilleure moyenne au bac dans mon académie, avec informatique et latin en options. J’aimais les maths, mais aussi le français, la biologie… Je travaillais seul. Parfois, mes parents, tous deux profs de lettres, me donnaient des conseils – pour faire mes devoirs – que je n’écoutais pas toujours. Je ne sortais guère, même après en prépa. Je jouais beaucoup au ping-pong, un sport complet qui demande de la coordination et de la stratégie. Ceux qui n’ont jamais pratiqué la compétition au ping-pong n’ont pas idée de la variété qu’offre ce sport, encore plus grande qu’au tennis avec l’importance des effets, des propriétés de la raquette, la possibilité de tourner et changer de face, ou de passer d’un style offensif à défensif, etc.
Faisiez-vous beaucoup la fête à l’ENS ?
Oh oui ! J’ai été responsable du club spectacle de l’ENS en 2ème année et, en 3ème année, président du BDE [bureau des élèves] ! À ce titre, je me suis occupé des festivités du bicentenaire de l’ENS. Lors des soirées, j’adorais être barman. Je ne savais pas danser, même si j’avais pris des cours – sauf des choses brutes, le pogo était ma "danse" de prédilection. En prépa, quelqu’un m’avait trouvé le surnom de MarsuVillani, pour la ressemblance phonétique et peut-être parce que je sautillais beaucoup – j’adorais bondir dans les escaliers. Ce surnom m’a suivi à l’ENS et, peu de temps après, tout le monde ne m’appelait plus que comme ça. Je me souviens aussi que je faisais tout le temps des gâteaux à la cuisine de l’internat. Ma spécialité, c’était les madeleines. C’est aussi à cette période que j’ai trouvé mon look. J’ai été attiré par une publicité dans le métro pour un magasin qui vendait des chemises à manches bouffantes. Je me suis rendu dans cette boutique, que je fréquente toujours aujourd’hui, pour acheter des chemises à jabot. Je complétais ma tenue avec des accessoires que je trouvais dans les brocantes. Au début, je portais un jabot, puis un nœud papillon, puis une lavallière, puis un ascot, puis aujourd’hui, de nouveau une lavallière…
Vous étiez donc un oiseau de nuit pendant vos études ?
Parfaitement. Je me souviens d’un jeu que j’adorais : la traque ! Il fallait constituer une dizaine d’équipes composées de 1 à 3 personnes. Chaque équipe partait vers 23h dans un endroit de son choix à la périphérie de Paris. À minuit, chaque équipe appelait le standard, basé au BDE de l’ENS, pour signaler sa position et connaître l’équipe qu’elle devait traquer. Ensuite, toutes les 15, puis 10, puis 3 minutes, il fallait rappeler le standard pour donner de nouveau sa position, qui était alors communiquée à l’équipe traqueuse. C’est à ce moment-là qu’on était le plus vulnérable, car on ne savait pas qui nous "pourchassait"… Surtout, si vous n’aviez pas appelé à l’heure dite, vous deviez rester dans la cabine le temps correspondant au retard ! Ce jeu se terminait au petit matin par une course-poursuite dans le Ve arrondissement de Paris.
Quel genre de musique avez-vous découvert à l’ENS ?
J’ai dépensé des sommes considérables pour acheter des CD. J’écoutais des classiques : Bach, Schubert, Beethoven, Brahms… J’adorais le clavecin et le piano. J’allais souvent à la salle Pleyel écouter les grands pianistes de l’époque : Zimerman, Perahia, Brendel, Pogorelich et bien d’autres. En dehors du classique, j’étais fan du groupe Pigalle, dont les chansons du leader, François Hadji-Lazaro, m’ont beaucoup marqué. J’achetais aussi tous les albums des Têtes raides. À l’ENS, on écoutait également beaucoup Hubert-Félix Thiéfaine et, à l’occasion, des chansons anarchistes – comme la Makhnovtchina, écrite par Étienne Roda-Gil pour l’album Pour en finir avec le travail –, ce qui animait les débats avec les amateurs d’histoire ou de philo !
Toutes ces activités ne nuisaient-elles pas à vos études ?
En fait, j’ai failli laisser tomber les maths au cours de la 3ème année. Mon directeur de thèse m’a rappelé à l’ordre, me demandant de me mettre au travail. Ce qui n’a pas suffi : je me suis vaguement remis aux études, mais c’était dur… La motivation est venue quand on m’a fait miroiter un poste d’agrégé préparateur à la sortie de l’ENS. Du jour au lendemain, je m’y suis mis à fond ! Et j’ai obtenu ce poste. Je suis donc resté encore 4 ans à l’ENS après la fin de ma scolarité.
Les mathématiques vous ont-elles toujours passionné ?
Au collège et au lycée, les maths étaient surtout amusantes. Je me souviens de 2 professeurs, l’un en 3ème, l’autre en 2nde, qui savaient aller au-delà des programmes pour développer des concepts et exercices originaux. En prépa, je suis arrivé dans une autre dimension et ça a commencé à devenir vraiment exaltant. Mais c’est avec ma thèse que je suis vraiment tombé amoureux des maths. En recherche, on change de rythme, cela devient plus lent et plus profond… et inconnu. J’ai changé aussi de tournure d’esprit durant ces années : en prépa, ma matière forte c’était l’algèbre ; aujourd’hui, je n’en fais plus du tout. C’est comme un chanteur qui découvre sa voix et passe de soprano à mezzo.
Avez-vous fait des rencontres déterminantes à 20 ans ?
Beaucoup de choses me sont arrivées grâce au hasard des rencontres. C’est à elles que je dois les orientations scientifiques que j’ai prises. À l’ENS, mes rencontres avec les autres élèves ont été décisives. J’y ai aussi fait la connaissance de ma femme. Et puis mon tuteur à Ulm, Yann Brenier, a joué un rôle fondamental dans ma vie. Il m’a aidé à choisir le sujet de ma thèse, qui comportait beaucoup de physique, alors que je n’étais pas très bon dans cette matière. Il m’a permis de rencontrer l’un de mes premiers collaborateurs, et il a influencé mon style scientifique.
Petit, vous imaginiez-vous chercheur ?
Enfant, j’aimais les dinosaures et je me voyais bien paléontologue. Après ma terminale, à Toulon, je suis entré en prépa pour faire des maths, pensant devenir ingénieur ou chercheur. Mes parents ne m’avaient pas parlé de l’ENS, et m’auraient certainement plus imaginé en polytechnicien. J’ai découvert l’existence de cette école au lycée Louis-le-Grand, et au bout de quelque temps les camarades en parlaient comme d’une évidence me concernant. Je me suis dit que c’était mon destin. En tout cas, si c’était à refaire, je recommencerai tout, de la même manière.
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Biographie express
1973 : naissance à Brive-la-Gaillarde (19),
le 5 octobre 1990 : décroche son bac à Toulon (83) et entre en classe prépa à Louis-le-Grand
1992 : élève à l’ENS Paris
1996 : débute comme agrégé préparateur à l’ENS
2000 : devient professeur à l’ENS Lyon
2009 : reçoit le prix Fermat et le prix Henri-Poincaré, prend la direction de l’Institut Henri-Poincaré2010 : obtient la médaille Fields
Et si c’était à refaire ?
Cédric Villani était-il voué à devenir mathématicien ? Nous lui avons fait passer le T.O. P, le test d’orientation de l’Etudiant. Un bon moyen de voir quels métiers correspondaient à son profil.
Son bilan T.O.P
"Investigateur" tendance "Artiste" : tel est le profil qui se dégage de l’étude des pôles de compétence majeurs de Cédric Villani, complétés par les pôles "Social" et "Réaliste", quasiment au même niveau.
> Pôle "Investigateur" : apprendre, réfléchir, chercher, comprendre sont les mots clé de ce pôle. Il caractérise des personnes qui aiment raisonner, résoudre des problèmes complexes, rechercher des informations afin de mieux comprendre leur environnement.
> Pôle "Artiste" : imagination, curiosité, créativité, intuition, passion sont les valeurs liées à ce pôle, définissant des personnes aptes à se passionner, à suivre leurs émotions et leurs intuitions.
> Pôle "Social" : contact, communication, transmettre sont quelques-uns des mots clé de ce pôle. Il indique un bon sens relationnel. Il correspond souvent à des personnes qui ont besoin de se sentir utile : aider, transmettre, guérir…
> Pôle "Réaliste" : réaliser, concrétiser, esprit technique, expérimentation correspondent à ce pôle. Cette tendance reflétant un besoin d’appliquer ce qu’on apprend, de voir le résultat de ce qu’on fait.
Les métiers que peuvent exercer ceux qui ont le profil IA (+ S ou R) sont les suivants :
• Anthropologue
• Archéologue
• Aromaticien
• Astronaute
• Biologiste
• Chercheur en sciences sociales
• Chercheur en sciences exactes
• Démographe
• Linguiste
• Mathématicien
• Philosophe
• Physicien
• Sismologue
• Statisticien
• Urbaniste
Son profil, son métier…
Les résultats de Cédric Villani correspondent bien à ceux d’un chercheur, qui enseigne et donc transmet, qui a le goût du challenge et des défis, qui est à l’aise avec la technique et aime voir le résultat de ce qu’il fait.
Son pôle "Investigateur", très dominant, correspond à son parcours d’études jusqu’à la recherche, qui implique le goût d’apprendre, d’approfondir et témoigne de sérieuses aptitudes pour le raisonnement comme un besoin de comprendre et l’appétence à résoudre des problèmes complexes…
Le pôle "Artiste", qui vient s’adosser à son esprit d’expertise et d’investigation, explique qu’il se soit tourné vers la recherche. S’il a des capacités de raisonnement, il a aussi de l’intuition, de la curiosité, un esprit peu conformiste, un goût pour la nouveauté, pour l’inconnu. Un profil d’intellectuel comme de scientifique !
Enfin, si les pôles "Social", "Entreprenant" et "Réaliste" sont quasiment au même niveau, une analyse plus poussée du bilan de Cédric Villani révèle que le pôle "Réaliste" prend le dessus : logique pour un chercheur en sciences exactes. Son côté social peut correspondre au goût de transmettre et son pôle entreprenant à celui de convaincre, de se mesurer à soi-même et aux autres, et à sa capacité à entreprendre et à diriger.