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Interview

Les 20 ans de Manu Larcenet

Par Propos recueillis par Virginie Bertereau, publié le 15 septembre 2011
1 min

À 20 ans, le futur auteur de Blast, du Combat ordinaire et du Retour à la terre termine un BTS à Olivier-de-Serres, une prestigieuse école d’arts appliqués. Manu Larcenet n’a alors pas encore choisi de faire de la BD son métier : il jongle entre l’illustration et le punk, auquel il s’adonne avec le groupe de musique qu’il a créé.

manu larcenetComment se sont déroulées vos années lycée ?

 
Super-bien ! Je sortais du collège Saint-Exupéry, à Vélizy (78), où j’avais rencontré un prof de dessin qui donnait des cours gratuitement après la classe. Il repérait les 3 ou 4 élèves qui n’étaient pas trop mauvais et les préparait aux concours d’entrée des écoles. Il nous faisait travailler les ellipses, la perspective… Grâce à lui, je suis entré au lycée de Sèvres (92) sans problème. Une explosion pour moi. J’ai appris des choses incroyables. J’ai fait de la tapisserie, de la céramique, du nu, de la couleur, etc. J’avais très peu de matières générales. Je passais mon temps dans les ateliers.


Vos parents voyaient-ils d’un bon œil l’orientation que vous preniez ?

 
Un jour, mon prof de dessin a rencontré mes parents. Pendant l’entretien, il a pris son stylo et l’a démonté entièrement. Il a étalé toutes les pièces sur la table et a déclaré : "Chaque partie de ce stylo a été dessinée." Il existait donc une infinité de débouchés dans les arts graphiques, loin du destin d’artiste maudit. C’était un choix peut-être risqué, mais pas suicidaire. Mes parents ont été bluffés.

Ils m’ont laissé passer un bac F12 [ex-bac STDAA, sciences et technologies du design et des arts appliqués], puis un BTS [brevet de technicien supérieur] expression visuelle option images de communication à l’école Olivier-de-Serres, où j’ai appris une bonne partie de ce que je sais aujourd’hui. Mes parents ignoraient totalement qu’il existait des écoles comme celle-là. Ma mère était caissière, avant de devenir comptable. Mon père s’occupait des paies dans une entreprise de travaux publics. C’était un très bon guitariste classique. Tous deux peignaient, mais ils n’avaient pas pu intégrer l’art dans leur vie.


Quel ado et quel élève étiez-vous ?

 
J’étais un hippie. Je m’étais découvert une passion pour Bob Dylan et Joan Baez. Avant le lycée, j’étais terrifié à l’idée d’aller à l’école le matin. J’étais très mal dans ma peau. Je ne revivrais cette période de ma vie pour rien au monde. Puis j’ai assisté aux débuts de la Mano Negra, des Bérurier Noir, des Wampas… Dans ma classe, il y avait le guitariste des Dirty District, un bon groupe de l’époque. C’est alors que je me suis mis au punk.


Vous avez même créé un groupe.

 
On était 3 copains, on s’ennuyait, mais on ne voulait pas traîner sans rien faire. J’écrivais les textes, je jouais de la guitare et je chantais. Dans le punk, on se fiche un peu de chanter faux, ce n’est pas bien grave. On a trouvé un garage, puis un studio, au bout de 5 ou 6 ans. On a alors commencé à faire de la musique en pros, à répéter presque tous les soirs. On avait un manager. La dernière année, en 1993, on a fait 100 dates sur des petites scènes de la région parisienne, et les premières parties des Garçons Bouchers, de Dirty District, de Pigalle… C’était génial !


Avez-vous hésité entre la musique et l’illustration ?

 
J’ai longtemps pratiqué les deux en même temps. Je dessine tous les jours depuis que j’ai 10-12 ans. Mais, au départ, je ne pensais pas pouvoir vivre de la BD. Je faisais une petite page le soir, après les cours, pour me détendre. Je m’imaginais graphiste dans une agence de pub. Puis j’ai eu des stages et je me suis dit qu’il était hors de question que je travaille dans ce milieu. C’était les années 1980, les années fric et frime. Je ne me reconnaissais pas dans tout ça. Arnaquer les gens m’intéressait relativement peu.

Je me suis donc dirigé vers le métier d’illustrateur , notamment pour enfants, que j’ai exercé en indépendant. J’ai abandonné l’illustration et la pub au cours de mes dernières années de rock, tout en continuant la bande dessinée. Je me suis mis à fond dans la BD quand j’ai arrêté la musique, alors qu’on allait enregistrer notre premier album. Je n’aimais pas le travail de groupe. J’étais tyrannique, pas très ouvert. Mais, au moins, on ne partait pas dans tous les sens ! Deux mois plus tard, je travaillais pour Fluide glacial.


Vous avez tout de même tenté de reprendre vos études…

 
J’ai eu l’occasion de reprendre mes études pour obtenir un DSAA [diplôme supérieur d’arts appliqués]. C’était un projet à mener à bien sur un an. J’avais découvert un carnet de mon arrière-grand-père, soldat lors de la guerre de 1914, et j’avais entrepris un travail dessus. Mais, en parallèle, j’ai été pris à Fluide. Je suis allé voir mon père, dont j’avais assez peur (je n’étais pas un adolescent facile, nous avions une méfiance réciproque à ce moment-là). Je lui ai dit que je ne passerai pas le DSAA. Il est resté un moment silencieux. Il a réfléchi et m’a dit : "D’accord, vas-y." Je crois qu’il s’est fait violence, ce jour-là. Au bout d’un an, j’avais un vrai travail.


Où et comment aviez-vous vécu jusque-là ?

 
J’ai quitté le domicile parental en revenant du service militaire, vers 22 ans. J’étais à fond dans le punk. Je vivais dans des squats artistiques, des lieux de création. C’était la grande époque où l’on pensait qu’il fallait faire les choses tous ensemble. Ensuite, je me suis dit : "Non, ce n’est pas pour moi." Donc, avant d’arriver à Fluide, je vivotais : un contrat par-ci, une pub par-là. J’envoyais mon book, mais les boîtes ne me rappelaient jamais. Ce n’était pas la grande vie. En revanche, j’avais un stock d’histoires de BD à n’en plus finir.

manu larcenet


Le dessin s’apprend-il en cours ?

 
Il y a 2 écoles. Beaucoup disent qu’il faut être autodidacte. Pas moi. Je ne vais pas passer 20 ans de ma vie à découvrir ce que d’autres ont déjà découvert… Surtout quand de bons profs me l’ont bien expliqué. J’apprends, je trouve ce qui a été le moins exploité et j’essaie d’aller dans cette voie. Le talent est un concept que je ne connais pas. Cela me laisse froid. Pour moi, rien ne vaut l’apprentissage et le travail.

Vous avez dédicacé "Blast 2" à Mano Solo. Le destin de ce musicien, fils du dessinateur Cabu, fait-il écho au vôtre ?

 
Il était aussi bon en dessin que je l’étais en musique ! J’aime tous les morceaux de Mano. Je n’aimais pas beaucoup le type, agressif et dur. On sentait une colère en lui qui me faisait peur. Mais, quand on écoute ses disques, il y a une lucidité, une honnêteté et une impudeur dans ses textes. Et ce n’est pas calculé. Je ne le connaissais pas personnellement, mais je le comprenais à demi-mots. Quand il est mort, je crois que c’est la seule fois de ma vie où j’ai versé une larme pour quelqu’un que je ne connaissais pas.


Quand Emmanuel est-il devenu Manu ?

 
J’ai toujours été Manu. Mes parents m’ont toujours appelé comme ça. Ma mère ne m’appelait Emmanuel que quand elle était fâchée. Manu, ce n’est ni un nom de scène ni un caprice. Je ne me reconnais pas dans "Emmanuel". Même à l’école, je signais "Manu" sur mes copies.


Une histoire sur l’adolescence, cela vous inspirerait-il ?

 
J’ai détesté mon enfance et je n’ai pas beaucoup aimé mon adolescence – un fardeau à porter. Cela me gonflerait un peu de revenir en arrière. Je préfère parler du moment présent. Un jour peut-être je travaillerai là-dessus, en essayant de décortiquer ce qui allait et ce qui n’allait pas.


Et si c’était à refaire ?

 
Je suis le résultat de bonnes et de mauvaises choses. Tout est mêlé. Ce que je suis aujourd’hui est un mélange de ce qui m’est arrivé pendant les années d’horreur et les moments d’intense plaisir. Aujourd’hui, je me sens plutôt bien. Donc je recommencerais.

Biographie express
6 mai 1969 : naissance à Issy-les-Moulineaux.
1987 : passe un bac F12 au lycée de Sèvres.
1989 : décroche son BTS de communication visuelle à Olivier-de-Serres.
1994 : publie sa première histoire dans Fluide glacial, "l’Expert-comptable de la jungle ".
1996 : créé sa maison d’édition Les Rêveurs.
2001 : déménage à la campagne et publie le Retour à la terre.2003 : publie le Combat ordinaire.2004 : reçoit le Prix du meilleur album au Festival de la bande dessinée d’Angoulême pour le Combat ordinaire.
 


Et si c’était à refaire ?

Manu Larcenet a passé le T.O.P, le test d’orientation de l’Etudiant… Ses résultats correspondent-ils à son parcours de dessinateur, graphiste, illustrateur et bédéiste ?


Son bilan T.O.P

Un profil "Artiste" très "Investigateur", complété par les pôles "Conventionnel" et "Réaliste" : voilà ce qui ressort de l’étude des compétences majeures de Manu Larcenet.
top manu larcenet
> Pôle "Artiste" : "curiosité", "créativité", "intuition", "passion" sont les mots-clés de ce pôle. Il révèle des personnalités non conformistes, qui foisonnent d’idées et ont besoin de s’exprimer dans leur métier. Assoiffées de découvertes, elles ont parfois peur de la routine.

> Pôle "Investigateur" : il caractérise des personnes qui aiment raisonner, résoudre des problèmes complexes, enquêter dans le but de mieux comprendre leur environnement.

> Pôle "Conventionnel" : méthode, organisation, cadre, rigueur… telles sont les compétences liées à ce pôle. Il correspond le plus souvent à des personnes qui aiment planifier leur travail et leur vie. Perfectionnistes et consciencieuses, elles sont capables d’accepter des règles, des directives et s’épanouissent dans un environnement structuré.

> Pôle "Réaliste" : pôle du concret et de la technicité, il est associé à la pratique et à l’expérimentation, et définit des personnes dotées d’aptitudes manuelles, techniques ou sportives qui aiment voir le résultat de ce qu’elles font.

Son profil, son métier…

Avec pour dominante l’imagination et l’originalité, les résultats de Manu Larcenet correspondent bien à cet auteur de BD à l’humour ravageur et à l’esprit punk, collaborateur de l’impertinent Fluide glacial… Sa combinaison "AIC" colle parfaitement à son parcours, jalonné par des études de graphisme. Quand la créativité est dominante dans un profil, la recherche esthétique et le besoin de s’exprimer dans son métier constituent en général une nécessité. Les personnes de type "Artiste" exercent souvent une profession qui laisse une place à l’initiative personnelle.

Adossé au pôle "Artiste", son pôle "Investigateur" renforce son profil non conformiste, marqué par un esprit libre et indépendant. Pôle de la réflexion et de la conceptualisation, il correspond à son profil d’"auteur" et à ses histoires imprégnées d’esprit critique.

La combinaison des pôles "Artiste" et "Conventionnel", peu fréquente, est pertinente dans la sphère du graphisme et des arts visuels, qui nécessitent de la méthode et un certain perfectionnisme. Chez Manu Larcenet, les résultats détaillés montrent que le pôle "Réaliste" peut prendre la place du pôle "Conventionnel". Les capacités techniques et le goût de la réalisation renvoient bien au métier de dessinateur de BD.

> Découvrez d'autres dessins de Manu Larcenet réagissant aux articles parus dans le n°347 "Spécial Rentrée" de L'Etudiant, que vous pouvez commander en ligne

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