Les 20 ans de Michel et Augustin : "Notre amitié a démarré avec un projet en Amérique latine"
Avant d'être une marque alimentaire, Michel et Augustin c'est d'abord l'histoire d'une amitié. Les trublions du goût se sont rencontrés en quatrième, dans la cour de récré. Et de leurs études à leurs premiers sablés, ils gardent des souvenirs aussi contrastés que peuvent l'être leurs personnalités.
Vous vous êtes rencontrés à "Franklin" (1), un établissement parisien privé qui va de la primaire jusqu'à la terminale. Quels types d'élèves étiez-vous l'un et l'autre ?
Michel de Rovira : "J'étais un bon élève de la sixième à la seconde, j'ai ensuite connu une petite crise en première S. La physique, ce n'était absolument pas mon truc ! Sur les conseils de mes enseignants, j'ai donc basculé en terminale ES où j'ai obtenu d'assez bon résultats. Au point d'être accepté en prépa ! Le côté "enjeux" m'a motivé."
Augustin Paluel-Marmont : "À la différence de Michel, j'étais un élève extraverti et turbulent. Je n'entrais pas dans le moule. J'ai eu une scolarité assez laborieuse mais je me suis épanoui sur le plan personnel en mettant mon énergie dans le rugby, le théâtre, les voyages, la photographie... Franklin est une école élitiste mais les élèves ont la possibilité de s'exprimer autrement que dans les cours."
Quels sont les professeurs qui vous ont le plus marqués ?
Michel : "Je me souviens tout particulièrement de mon professeur de philosophie. J'aime les mots, leur sens, et cette matière a été une découverte. Je ne savais pas que des gens se passionnaient pour cela. Bon, j'ai eu 6/20 au bac, mais j'ai ensuite obtenu de meilleures notes en prépa !"
Augustin : "Personnellement, j'ai traversé une crise d'adolescence assez violente et c'est un professeur de français, grec, philosophie et théâtre qui m'a aidé à repartir. À cette époque, j'avais du mal à canaliser mon énergie. Je vivais porte de Clichy dans un univers cosmopolite, et je me sentais en décalage dans mon lycée du 16e arrondissement, très lisse socialement. Je remettais tout le système en cause, même si j'étais issu d'un milieu favorisé. Cet enseignant a été un gourou chez qui je passais des soirées entières. Il savait repérer les personnalités en proie aux difficultés et les écouter."
Vos parents étaient-ils attentifs à votre scolarité ?
Michel : "Mon frère et ma sœur aînés sont tous les deux passés par une grande école de commerce. Cela a ouvert la voie, car mon père, ingénieur de formation, aurait préféré qu'on fasse des études scientifiques. Il était au moins rassuré de nous voir emprunter la voie S au lycée, même si j'ai bifurqué ensuite en ES."
Augustin : "Avec mes quatre frères et sœurs, nous avons reçu une éducation plutôt originale. Très tôt, mes parents nous ont laissé prendre nos propres décisions, et chacun s'est inscrit dans une école qui lui correspondait. En sixième, je me suis ainsi retrouvé à faire 45 minutes de métro tout seul pour aller à Franklin et j'étais le seul à me lever le samedi matin. L'effort du quotidien forge les personnalités !"
Quelle place occupait l'entrepreneuriat dans votre vie quand vous étiez lycéens ?
Augustin : "Au lycée, j'avais déjà envie de rendre des rêves réels. J'ai organisé avec huit copains, dont Michel, un voyage humanitaire au Burkina-Faso. C'était beaucoup moins courant qu'aujourd'hui. Nous avons trouvé de quoi financer le voyage en demandant notamment à des associations de nous soutenir. C'était un premier projet entrepreneurial."
Michel : "Plus jeune, je ne me sentais pas spécialement prédisposé à la création d'entreprise. Cela me paraissait difficile, réservé à une certaine caste. Aujourd'hui, tout le monde parle d'entrepreneuriat mais il faut se souvenir que la voix royale, à l'époque, c'était la finance !"
Vos chemins se sont séparés à la sortie du lycée, avant de se recroiser dans la même école de commerce. Que s'est-il passé entre-temps pour chacun d'entre vous ?
Michel : "J'ai effectué une seule année de prépa avant d'intégrer l'ESCP Europe, ce qui était alors possible. Avec trois potes, on formait un groupe de travail génial. On révisait ensemble, on passait nos week-ends ensemble, on partait en vacances ensemble. Notre cercle était fermé mais l'ambiance était canon. Avec Augustin, on s'est un peu perdu de vue mais on s'est retrouvés quelques années plus tard à l'occasion d'un week-end chez un ami commun. Une nouvelle étape d'amitié a alors redémarré avec un projet en Amérique latine, mêlant associatif et touristique."
Augustin : "J'ai toujours eu une appréhension des sanctions scolaires, et le bac a été un acte libérateur. À la sortie du lycée, j'ai suivi un bi-DEUG (licence 2 actuelle) en économie et anglais à la fac de Nanterre (92), et je me suis éclaté au sens intellectuel. Comme je voulais intégrer une école de commerce, j'ai passé plusieurs entretiens d'admissions parallèles et, avec mon parcours atypique, j'ai surnagé dans toutes les écoles. J'avais déjà entrepris pas mal de choses dans ma vie et j'avais des trucs à raconter, ce qui détonnait par rapport au profil plus lisse des autres candidats."
Le fait que l'amitié soit une valeur fondatrice de Michel et Augustin n'est pas anodin. C'est rare dans le monde de l'entreprise.
Vous gardez des souvenirs très contrastés de vos années étudiantes...
Michel : "J'ai profité à fond de cette période, mon seul regret est d'être resté à Paris, où sont installés les locaux de l'ESCP Europe. En école, il y a deux ambiances : la vie de campus pour ceux qui vivent dans les résidences étudiantes et celle plus distanciée des Parisiens qui gardent leurs liens amicaux classiques et ont forcément une implication différente. Mais mon but était de voyager le plus possible pour découvrir le monde et c'est ce que j'ai fait !"
Augustin : "Je pensais que l'école de commerce allait me correspondre et j'ai été déçu. Je n'aimais pas le système de sanction académique. En revanche, je me suis éclaté à l'occasion du premier stage que j'ai effectué chez Air France en Espagne. Je suis tombé dans une PME où le manager m'a laissé les mains libres. J'ai pu apporter un projet qui n'existait pas, le réaliser et le faire vivre. C'est la seule chose que je retiens de ces trois années."
Après avoir obtenu votre diplôme, comment s'est déroulée votre insertion dans la vie professionnelle ?
Michel : "J'ai décroché un VIE (volontariat international en entreprise) d'un an et demi à New-York. J'étais fou de joie ! Je suis ensuite rentré en France pour travailler dans un cabinet de consulting mais je suis très vite reparti à Boston. Quelques années plus tard, j'ai décidé de reprendre des études à l'INSEAD [Institut européen d'administration des affaires, Fontainebleau, NDLR], avec comme objectif de quitter l'univers du conseil en stratégie pour travailler dans le marketing ou le business development. C'est à ce moment-là que j'ai retrouvé Augustin..."
Augustin : "J'ai eu la chance de trouver tout de suite un job dans la stratégie au Club Med. Cependant, je n'y suis resté qu'un an car je n'étais pas bon. C'était trop cadré pour moi. Au même moment, un copain m'a proposé de rejoindre un projet entrepreneurial. À 23 ans, j'ai ainsi cofondé une boîte – dont je n'ai jamais compris l'activité – avec des polytechniciens qui étaient des génies fous. Malheureusement, c'est vite devenu un enfer et j'ai été licencié tout en restant actionnaire. Ça a été très douloureux humainement et j'ai eu envie d'apprendre un métier de mes dix doigts. J'ai alors passé un CAP boulanger. Après ça, j'ai travaillé deux ans chez Air France mais quand j'ai compris que ce que je faisais n'intéressait personne, je suis parti pour un congé création d'entreprise. La boîte que j'avais montée à 23 ans avait été revendue à un fonds américain et je n'avais pas de pression financière immédiate. Par chance, l'échec entrepreneurial s'était transformé en succès financier."
C'est à ce moment-là que vous vous retrouvez tous les deux, à l'initiative d'Augustin, pour écrire un guide des boulangeries parisiennes...
Augustin : "Paris a beau être la capitale de la baguette, certaines boulangeries vendent du pain infect ! Je me suis donc dit qu'il y avait quelque chose à faire. J'avais envie de monter ce projet de guide avec un copain, et Michel a dit banco. Nous sommes allés visiter ensemble les 1.263 boulangeries de Paris !"
Michel : "Je ne suis pas romancier mais l'idée de participer à l'écriture d'un petit guide me plaisait. La boulangerie, c'est un commerce sympa, le premier chez qui les parents nous envoient faire des courses quand on est enfant. Il se trouve que celle que j'avais à côté de chez moi était super-bonne, j'en garde beaucoup de souvenirs."
© Studio Bananeraie
Comment l'idée de créer la marque Michel et Augustin est-elle née ?
Augustin : "J'avais pris des cours de pâtisserie à la mairie de Paris et l'envie de lancer une marque alimentaire un peu inspirée de Ben & Jerry's [célèbres fabricants de crèmes glacées américains, NDLR] me titillait. J'ai commencé tout seul dans ma cuisine, avant de proposer à des copains de me rejoindre. Entreprendre un tel projet demande beaucoup de bon sens, de l'énergie et surtout une capacité à bien s'entourer. Une fois de plus, Michel était partant."
Michel : "Je suis gourmand donc le projet m'a immédiatement séduit. Au départ, nous n'arrivions pas à trouver de fabricant, et nous nous sommes retrouvés à produire nous-même les sablés. Ensuite, Arnaud Delmontel, un boulanger-pâtissier du 9e arrondissement, nous a prêté sa boutique un jour par semaine. Nous nous sommes assez vite retrouvés à l'étroit et nous avons poursuivi notre aventure dans une petite biscuiterie proche du Mans, que nous pouvions utiliser le week-end, à condition de la rendre propre ! Le développement s'est ensuite fait étape par étape. Nous avons commencé à vendre nos produits à des commerçants de quartier, puis à la Grande Épicerie de Paris, Monoprix et enfin dans des hypermarchés. La prochaine étape, c'est le lancement de la marque à New York !"
Vous semblez avoir tous les deux des caractères très différents. Est-ce là la clé du succès de votre entreprise ?
Michel : "Nous sommes très différents, nous n'avons pas les mêmes centres d'intérêt et nous ne travaillons pas de la même manière mais nous avons un point commun : Franklin nous a transmis à tous les deux sa vision humaniste. La devise de l'école – "Un homme et une femme au service des autres" – nous a profondément marqués."
Augustin : "Nous partageons effectivement un socle d'appartenance commun, des croyances, des façons de voir la vie. Et nous sommes complémentaires ! Le fait que l'amitié soit une valeur fondatrice de Michel et Augustin n'est pas anodin. C'est rare dans le monde de l'entreprise."
Quel conseil pourriez-vous donner aux jeunes qui souhaitent se lancer dans la création d'entreprise ?
Michel : "Oser se lancer, même s'ils n'ont pas l'idée du siècle. Tout le monde n'est pas Mark Zuckerberg [fondateur à 22 ans de Facebook, en 2006] ! La plupart des entrepreneurs sont partis d'un simple concept. Ils l'ont testé et petit à petit ont réussi à le transformer en projet d'entreprise. Au pire, on échoue et puis on recommence ou on devient salarié mais au moins on aura essayé."
Augustin : "Quand on est jeune, il est important de bien se connaître, de savoir ce qu'on veut, ce qu'on aime et dans quel terreau on peut exprimer ses talents. Plus on varie les expériences de manière riche et intense, mieux on parvient à se cerner. Je crois davantage à la théorie de faire des choix par passion, mais avec engagement, que dans celle de faire des choix par convention. La vie est trop courte pour qu'on ait le temps de s'ennuyer."
(1) L'établissement privé parisien Saint-Louis-de-Gonzague-Franklin, dit "Franklin", est classé troisième dans le palmarès 2014 de l'Etudiant concernant les prépas économiques et commerciales option économique (critère reconnu : les lycées qui offrent les meilleures chances de réussite aux concours d'entrée des grandes écoles de commerce).
Biographie express
1975 : naissance de Michel de Rovira et d'Augustin Paluel-Marmont.
1989 : rencontre des deux amis à Franklin.
1993 : Michel obtient le bac ES.
1994 : Augustin décroche le bac S.
1998 : Michel est diplômé de l'ESCP Europe après un an de classe prépa.
1999 : Augustin est également diplômé de l'ESCP Europe après un bi-DEUG (licence 2 actuelle) anglais-économie.
2004 : publication du Guide des boulangeries de Paris (Éditions de l'if).
2005 : lancement du tout premier produit de la marque Michel & Augustin.
2009 : la marque s'installe à la Bananeraie 3.0, à Boulogne-Billancourt (92).
Pour en savoir plus : micheletaugustin.com