Métiers de demain : attendez-vous à travailler avec des robots !
Les robots vont-ils vous piquer votre job ? Raja Chatila, qui les connaît bien, puisqu’il dirige l'Institut des systèmes intelligents et de robotique, à l’UPMC, se veut rassurant. Les robots et autres humanoïdes devraient venir augmenter vos capacités et non vous remplacer. Mais il n’est pas exclu qu’ils participent à votre recrutement, en 2025. Interview.
Le métier de chirurgien a déjà été révolutionné par le robot, en lui permettant d'être moins invasif, plus précis et plus sûr dans ses gestes. À quelles évolutions de la robotique l'étudiant en médecine doit-il s'attendre ?
Ce sur quoi nous travaillons aujourd'hui sera peut-être opérationnel en 2025. Actuellement, lorsque le chirurgien opère, il utilise des outils qui lui permettent de voir en 3D et il utilise une sorte d'interface contrôlant le robot qui effectue le mouvement. Mais il y a un problème : il ne ressent pas quand le robot touche les tissus. Nous travaillons donc sur des retours haptiques, c'est-à-dire sur ce qui devrait permettre demain au chirurgien de ressentir le toucher du robot.
Ensuite, il pourra aussi y avoir des techniques plus élaborées pour que le chirurgien puisse utiliser la réalité augmentée, pour une reconstruction par exemple.
Par ailleurs, actuellement, on n'utilise pas de robots pour les opérations cardiaques sur cœur battant, car c'est très compliqué, mais on pourrait imaginer que le mouvement du robot s'adapte aux battements du cœur pour annuler le mouvement.
Et à part la chirurgie ?
Un robot a des capteurs, permettant de mesurer une distance et de percevoir son environnement. Il dispose d'un logiciel, pour traiter des données. Il se déplace, vole, manipule des objets. Il peut aujourd'hui servir de troisième main, pour atteindre avec plus de précision des endroits où l'homme ne peut aller, ou de troisième bras, pour porter des poids supérieurs à ceux que peut porter un être humain.
Prenons l'exemple de l'exosquelette. Il s'agit d'une sorte de carapace, une structure motorisée, que l'on peut mettre le long des bras et des jambes. Pour le moment, les exosquelettes sont un peu commercialisés au Japon et aux États-Unis, essentiellement pour la rééducation des personnes handicapées. Des aspects liés à la sécurité doivent être résolus avant qu'ils ne soient utilisés dans le milieu professionnel, mais on va vers une coopération de l'homme et du robot.
Si le drone prend mon job de chauffeur-livreur, ce n'est plus de la coopération homme-robot...
Pour l'instant, les drones sont de plus en plus employés pour livrer des objets dans des endroits difficiles d'accès. Mais ils sont en pleine émergence et on peut effectivement imaginer qu'ils livrent un jour partout, y compris dans des zones facilement accessibles. Amazon a d'ailleurs fait récemment l'annonce qu'elle avait effectué ses livraisons avec ces objets. Un coup de pub et un coup politique aussi, qui posent la question de l'autorisation du survol des zones habitées par les autorités américaines.
Bien sûr il y a eu des emplois détruits par la robotisation, dans l'industrie automobile par exemple, où les robots font la soudure, la peinture, l'assemblage... Contrairement à une idée reçue, si on fait la balance entre créations de postes et destructions, la robotique a créé une dizaine de millions d'emplois dans le monde. Mais il s'agit plutôt d'emplois nécessitant une connaissance technologique que de postes d'ouvriers spécialisés.
Travail de recherche en cours sur un prototype d’exosquelette du membre supérieur à l'étude à l'ISIR // © ISIR
Les formations d'aujourd'hui sont-elles à la hauteur des évolutions à venir ?
En chirurgie, les internes intègrent les évolutions au moment où ils mettent la main à la pâte. Dans les formations juridiques, on n'aborde pas la question, même si des juristes réfléchissent à la notion de responsabilité autour de cas concrets du type "qui est responsable si la Google Car provoque un accident ?". Et dans le domaine de la robotique, les formations sont insuffisantes. Les masters de robotique se comptent sur les doigts d'une main. Il y a notamment celui de l'UPMC, où j'enseigne, ceux de Télécom Physique Strasbourg, de Montpellier 2 et de l'Ensimag, à Grenoble.
En 2025, les étudiants passeront-ils leur premier entretien d'embauche avec un robot-recruteur ?
Est-ce qu'on va utiliser un logiciel pour recruter ? Non. Pour sélectionner des dossiers ? Pourquoi pas. Un système automatique peut le faire et certains recruteurs doivent déjà en utiliser un. Mais on peut imaginer qu'un robot de "téléprésence" participe au recrutement. Il s'agit d'un robot qui vous remplace physiquement à un endroit où vous n'êtes pas et que vous pouvez déplacer à distance. Votre interlocuteur échange avec vous, et voit votre visage sur un écran, comme sur Skype.
En recherche, nous travaillons notamment sur la détection et la perception des émotions chez les êtres humains : la posture, le timbre de la voix... Il s'agit de développer des algorithmes pour essayer de mieux interpréter les attitudes de toutes sortes, ce qui permettra au télérobot de mieux interagir. Il pourrait également être équipé de capteurs émotionnels permettant de recueillir des informations qu'on ne peut pas percevoir en présentiel. Au-delà du recrutement, avec ce robot, c'est le télétravail qui prend un sens différent. Via un télérobot, je pourrais participer à une réunion à Tokyo le matin et à une autre à Chicago le soir, sans bouger de chez moi... Un grand professeur de médecine hyperspécialisé pourrait non seulement être présent à des conférences partout dans le monde, mais, pourquoi pas, intervenir. Et vous imaginez l'intérêt pour l'apprentissage des langues !
Évolution ou révolution ?
Quand le PC est entré insidieusement dans les bureaux, puis dans les maisons, on n'a pas eu le sentiment d'une révolution. Avec Internet, il est devenu un outil du quotidien. C'est ça qui est révolutionnaire.