Quel avenir pour les métiers d’art ?
Brodeur chez Lesage, potier dans un village d’artisans ou horloger responsable de fabrication en Asie, les secteurs que recouvrent les métiers d’art sont aussi divers que les modes d’exercice. Si le diplôme est indispensable, réussir à vivre de son art à la fin de sa formation n’est pas garanti. Nos experts témoignent.
Laurianne Duriez, responsable du centre de ressources à l’INMA (Institut national des métiers d’art)
"Le secteur des métiers d’art est si large et il existe tellement de métiers mais aussi de statuts différents, qu’il est difficile d’identifier les métiers qui “montent”. Actuellement, ce sont tous les métiers du bois qui emploient le plus de salariés. Par ailleurs, la demande est très forte et devrait le rester pour tout ce qui touche au bâtiment et à l’architecture. Ferronnerie, serrurerie, restauration de peinture murale… ces savoir-faire sont nécessaires pour la restauration de bâtiments historiques. Enfin, tout ce qui se rapproche du domaine de la mode fonctionne aussi très bien.
"Le diplôme de base dans les métiers d’art reste le CAP [certificat d’aptitude professionnelle], qui se prépare en 2 ou 3 ans après la classe de 3ème. Même des étudiants plus âgés, déjà titulaires du bac, peuvent commencer par le CAP puisqu’il permet d’acquérir les techniques de base du métier. Le choix est large dans ce secteur, avec plus de 70 spécialités. Mais les professionnels reconnaissent qu’il n’est pas suffisant au niveau technique, et un artisan doit aussi savoir gérer une entreprise. Le niveau d’études s’élevant, le baccalauréat professionnel ou le BMA [brevet des métiers d’art, 12 spécialités] sont de plus en plus indispensables. Les niveaux supérieurs tels que les DMA [diplômes des métiers d’art, 8 spécialités] et le DSAA [diplôme supérieur des arts appliqués] font davantage place à la conception pour former des chefs de projet."
Cécile Rochay, designer en joaillerie et professeur d’arts appliqués à l’École Boulle
"J’anticipe un avenir intéressant pour ceux qui sauront intégrer dans les savoir-faire de leur métier de base, de nouvelles technologies ou encore des techniques issues d’autres métiers d’art. Ainsi, l’horlogerie, très axée nouvelles technologies, me semble avoir un bel avenir. Autre créneau porteur, le développement durable et l’écologie, par exemple à travers l’utilisation de nouveaux matériaux plus “verts” et équitables. Enfin, la “French Touch” a toujours la cote à l’étranger et il ne faut pas hésiter à aller voir ailleurs. Cela permet d’évoluer plus vite qu’en France où les rôles restent très cloisonnés."
"Il y a souvent une différence entre ce que les étudiants apprennent au sein de leurs formations et ce qui leur est demandé sur le marché du travail, avec l’utilisation de l’informatique par exemple. Il est donc intéressant de choisir des formations où une partie des professeurs sont des professionnels aguerris. Comme dans beaucoup de secteurs, on recherche désormais des profils polyvalents et il faut profiter de ses études pour se former à un maximum de techniques complémentaires, que ce soit en termes de design via l’outil informatique ou de savoir-faire plus traditionnels."
Yves-Marie Pinel, professeur en design de communication à l’école Estienne, à Paris
"La situation est différente dans chacune de nos 5 filières menant à un diplôme des métiers d’art (gravure, illustration, typographie, cinéma d’animation et reliure). La formation au cinéma d’animation comporte une grande part de technologie 3D qui génère aujourd’hui un bassin d’emploi important. Côté illustration, c’est l’édition jeunesse qui est particulièrement dynamique. En typographie, nos diplômés sont appréciés en presse sur des fonctions de maquettiste car ils ont un œil que leurs collègues, avec une seule formation de graphiste, n’ont pas. Reliure et gravure sont des formations qui mènent clairement au métier d’artisan."
"Le DMA axe sa formation sur les savoir-faire, mais si l’on souhaite un peu plus de conceptualisation et de responsabilités, il faut penser double formation (DMA-école d’art, par exemple) ou DSAA. Le recrutement à l’entrée des DSAA se fait en fonction des attentes du marché du travail. À l’école Estienne, 3 DSAA sont proposés : design illustration scientifique, design typographique, qui permettent de développer une véritable expertise dans ces champs de compétences, et design stratégie et communication, qui permet de travailler dans le milieu de la publicité, aussi bien dans la création que chez l’annonceur."
Martine Latimier-Wawera, sculptrice et présidente d’une association des métiers d’art à Saint-Malo (35)
"Le marché actuel n’est pas très favorable. La concurrence chinoise et les difficultés des cadres moyens, notre cœur de cible au niveau de la clientèle, réduisent nos parts de marché. Certains métiers continuent cependant à bien marcher, et la tendance devrait se maintenir dans les années à venir. Je pense notamment à tout ce qui est art, textile, céramique, vitrail et verre."
"À moins d’avoir un talent personnel exceptionnel, une formation de base est indispensable. Ensuite, le mieux est d’aller se former sur le terrain. On continue à apprendre et à se former tout au long de son parcours professionnel. C’est pour cela que je trouve intéressant pour un jeune artisan de rejoindre ou, pourquoi pas, de créer un groupement d’artisans d’art, comme il en existe dans certaines villes. Cela permet de s’enrichir mutuellement dans le travail quotidien et c’est beaucoup plus stimulant que de travailler seul dans son atelier."
Amélie Vidgrain, directrice de l’École d’art de Douai (59)
"La tendance actuelle pour les jeunes diplômés est de s’installer à leur compte pour élaborer une production semi-artisanale, à travers des objets uniques, mais aussi de la petite série. Cette tendance peut perdurer, car je pense que l’achat direct auprès des artisans a de l’avenir. Il y a des passerelles en développement entre design et production semi-industrielle, comme en Italie, et entre métiers d’art et arts appliqués, comme dans les pays nordiques. En France, ses frontières étaient jusque-là imperméables, mais la tendance est à la rencontre entre design et savoir-faire traditionnel."
"L’essentiel d’une formation réussie n’est pas le diplôme obtenu à la fin, mais le développement d’un projet professionnel dès le début de son parcours. Dans les métiers d’art, il est vital de combiner un parcours estudiantin artistique et théorique, et une expérience technique et pratique. Les formations en alternance ne sont malheureusement pas très développées dans ces secteurs, mais on peut pallier cela par des stages… Certains jeunes diplômés prennent également le parti d’une certaine forme d’itinérance et vont d’atelier en atelier pour compléter leur formation grâce à la transmission des savoirs des artisans expérimentés."