Comment je suis devenue taxidermiste
Elle travaille entourée d’ours, de rhinocéros et de lions. Mais rien à craindre, ils sont naturalisés. Avec Justine, 27 ans, entrons dans l’univers singulier d’une profession qui donne la vie éternelle aux animaux de toutes sortes.
Pour être autorisé à pénétrer dans ce grand hangar caché de la rue, à quelques centaines de mètres du Muséum national d'histoire naturelle, il faut montrer patte blanche. Une fois passé la porte, c'est une girafe qui fait office d'agent d'accueil. Un peu plus loin, on distingue un lion et un requin... Bienvenue dans le surprenant environnement professionnel de Justine, qui est l'une des trois taxidermistes de cette institution, née en 1793 et installée au cœur du Jardin des Plantes, à deux pas de la Seine, dans le Ve arrondissement de Paris.
"Les nouveaux animaux ont vécu dans les parcs zoologiques"
Une grande partie de ce vaste bâtiment, à l'éclairage artificiel et à la température constante, abrite les réserves du Muséum. "Ici, sont entreposés les plus grands spécimens, ceux qui ne peuvent entrer dans les réserves situées dans les sous-sols du Muséum, sous la Grande Galerie de l'évolution", explique la jeune femme. Des autruches font ami-ami avec des panthères et des éléphants, des girafes semblent dialoguer avec des tigres stockés dans les hauteurs, et des dromadaires voisinent avec des cerfs. C'est une sorte de ménagerie où les animaux auraient décidé de se lancer dans un Mannequin Challenge sans fin.
"Certains de ces animaux proviennent des collections du duc d'Orléans [elles datent de la fin du XIXe siècle]. Il y a même des spécimens "types", qui sont les premiers animaux identifiés et qui constituaient à l'époque une nouvelle espèce, comme le rhinocéros de Java", commente Justine. Mais tous ces animaux naturalisés n'ont pas un pedigree aussi prestigieux : le temps des grandes expéditions est révolu depuis longtemps et de nombreuses espèces sont protégées. "Les nouveaux animaux, que nous recevons désormais, ont vécu en captivité. Ils nous sont remis à leur mort par les parcs zoologiques", précise encore la taxidermiste.
"Je cherchais un maître d'apprentissage pour me former"
La vocation pour ce métier rare lui est venue alors qu'elle était au collège et un peu par hasard, après la visite d'une exposition mettant en scène des animaux naturalisés. Le penchant de Justine pour cette activité n'a pas vraiment fait l'unanimité autour d'elle. "Mes parents étaient sceptiques, ils ne m'ont pas du tout encouragé dans cette voie. Ils m'ont dit de passer mon bac d'abord", se souvient-elle. Ce conseil ayant tout d'une injonction, elle le suit, optant sans conviction pour une spécialisation en STMG (sciences et technologies du management et de la gestion). "En parallèle, je cherchais un maître d'apprentissage... pour me former à la taxidermie en alternance", avoue-t-elle en souriant.
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"J'étais la seule élève inscrite dans ce type de CAP"
Tenace, elle ne fait pas les choses à moitié : elle contacte tous les taxidermistes d'Île-de-France, essuyant refus sur refus, avant que l'un d'entre eux ne lui conseille de se tourner vers le Muséum national d'histoire naturelle. Elle n'y connaît personne mais mène l'enquête, et un des gardiens du Jardin des plantes lui donne le nom d'un des taxidermistes de l'établissement. "Je lui ai envoyé un mail, un deuxième, un troisième... jusqu'à ce qu'il me réponde", confie la jeune femme. Toutes ces démarches ont pris du temps et, lorsque la réponse positive tant attendue arrive, les inscriptions pour entrer en CAP taxidermiste sont closes. En attendant la rentrée suivante, Justine effectue des petits boulots.
En septembre 2009, elle commence son année en CAP. "J'étais la seule élève inscrite ! Et les cours étaient en grande partie consacrés à des matières générales, déjà validées par mon bac." Ce qui l'intéresse surtout, c'est de découvrir la réalité du métier. En janvier de la même année, elle débute au service ostéologie du Muséum, dédié à la préparation des squelettes destinés à être exposés. Un mois après, elle fait ses débuts de taxidermiste. "On m'a mis un écureuil entre les mains et on m'a dit : 'Débrouille-toi !'" Un an plus tard à peine, elle était diplômée et embauchée.
"La première étape : mesurer l'animal sous toutes les coutures"
Au quotidien, l'activité de Justine se partage entre la restauration et la création. Durant plusieurs mois, elle a travaillé d'arrache-pied à la préparation de l'exposition Espèces d'ours ! (1). Car les animaux naturalisés ont parfois besoin d'un petit lifting pour résister au temps qui passe. "Surtout les plus anciens, fabriqués à base de paille, d'argile et de fil de fer. Des techniques que l'on n'utilise plus aujourd'hui", précise Justine. Remplacer une touffe de poils qui manque puis la teinter, redonner sa couleur d'origine à une truffe, redresser une oreille... Ces tâches demandent une grande minutie. "Sur les spécimens relevant du patrimoine, nos interventions doivent être réversibles, nous utilisons des colles et des peintures à l'eau, des pâtes qui se dissolvent."
Mais Justine réalise aussi des créations destinées à enrichir les collections du Muséum. Et là, elle fait tout de A à Z. "La première étape consiste à mesurer l'animal sous toutes les coutures, avant de le dépouiller. Contrairement à ce qu'on imagine, on ne vide pas l'animal, c'est une opération "propre". Il s'agit de prélever la peau, qui doit être intacte, puis de la passer dans des bains de tannage successifs, ce qui prend une semaine environ", précise la professionnelle. Le temps de se documenter pour choisir la posture idéale. "Nous travaillons d'après des photos pour donner aux animaux la position la plus authentique possible et trouver un support adapté : les oiseaux doivent être fixés sur la branche d'un arbre existant dans leur environnement naturel."
Ensuite, vient la sculpture d'une forme aux dimensions de l'animal, en mousse polyuréthane ou en polystyrène, sur laquelle sera cousue la peau. Du sur-mesure. Panthères, girafe, chats sauvages, loups, rapaces, canards... Depuis ses débuts, elle a contribué à redonner l'apparence de la vie à toutes sortes d'animaux morts. "À chaque fois, il faut se plonger dans l'étude de leur anatomie, analyser leur manière de se mouvoir, comprendre les réactions qu'ils peuvent avoir et s'en inspirer. J'ai une préférence pour les animaux de taille moyenne, parce qu'il est simple de les déplacer et qu'on peut facilement tourner autour."
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"Si le regard n'est pas naturel, c'est l'ensemble du montage qui est raté"
Sur sa table de travail trône un wallaby (marsupial) sur lequel elle travaille depuis un mois. Il est encore piqué d'épingles et de petits clous. "C'est pour que la peau ne se rétracte pas durant la phase de séchage", indique Justine. À côté de la table où elle opère, elle dispose d'une batterie d'outils : des spatules, des râpes, des limes, des pinceaux, une scie... "Il n'y a pas de magasin spécialisé, alors on pioche dans le matériel destiné à d'autres professions, comme la ferronnerie, la menuiserie ou les maquilleurs de cinéma", précise-t-elle. Son travail sera fini lorsqu'elle aura imaginé et conçu le socle sur lequel sera fixé ce petit cousin du kangourou qui, de son vivant, n'a jamais fait l'objet d'autant de soins.
Le moment le plus critique ? Sûrement la pose des yeux, qui sont en verre. "Le regard fait tout. S'il n'est pas naturel, c'est l'ensemble du montage qui est raté", estime la jeune femme. Elle s'attaque à la dernière étape, qui s'apparente à une séance de maquillage, posant délicatement la peinture du contour des yeux et effectuant de petites corrections pour masquer les dernières imperfections. Elle se redresse pour jauger l'allure générale de son wallaby. Manifestement, il est presque terminé et rejoindra bientôt les réserves. L'illusion est si parfaite qu'il semble prêt à bondir vers une nouvelle vie.
(1)Exposition jusqu'au 19 juin 2017, à la Grande Galerie de l'évolution du Muséum national d'histoire naturelle de Paris.
Le parcours de Justine en 5 dates
2005
Fait un stage d'observation chez un taxidermiste.
2008
Obtient son bac STMG au lycée Van-Gogh d'Ermont (95).
2009
S'inscrit en CAP taxidermiste.
2010
Débute son alternance au Muséum national d'histoire naturelle à Paris.
2011
Obtient son CAP et est engagée au Muséum.
Devenir taxidermiste
Le CAP (certificat d'aptitude professionnelle) taxidermiste est indispensable pour exercer, car la profession est réglementée.
Il se prépare en alternance dans le cadre d'un dispositif dédié aux métiers rares dans deux établissements seulement : le CFA (centre de formations d'apprentis) de la SEPR (l'école des métiers, premier centre de formation professionnelle initiale de la région Auvergne-Rhône-Alpes), à Lyon (69), et le Campus des métiers et de l'artisanat d'Indre-et-Loire, à Joué-lès-Tours (37).