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Interview

Les 20 ans de Florence Aubenas

Florence Aubenas - mes 20 ans - journaliste
Florence Aubenas - Mes 20 ans © patrice Normand
Par Propos recueillis par Mathieu Oui, publié le 01 octobre 2012
11 min

Grand reporter au "Monde", Florence Aubenas a couvert de multiples zones de conflits : Irak (où elle a été otage pendant plus de cinq mois), Afghanistan, Kosovo, Rwanda… Elle a aussi enquêté sur le procès d’Outreau et a raconté dans le Quai de Ouistreham le quotidien des salariés précaires. Rencontre avec une journaliste, qui a consacré sa vie à son métier.

Quel souvenir gardez-vous de vos années lycée ?

 
Cela reste un bon souvenir. J’habitais à Bruxelles où mon père était fonctionnaire européen et j’étudiais dans une école européenne. C’était sympa de se retrouver en cours de gymnastique ou de musique avec des Allemands ou des Italiens. Avoir des amis étrangers était pour moi naturel, mais je me suis rendu compte en rentrant en France que c’était une chance. Les Français étaient stupéfaits. C’est une expérience formidable d’avoir un autre pays de cœur : tout le monde devrait pouvoir la vivre. Même si la vie en Belgique reste d’un exotisme limité, cela permet d’avoir un regard différent sur son autre pays, de voir les bons côtés et les travers. Mes parents ayant divorcé et ma mère s’étant remariée en Belgique, j’y retourne encore souvent.
 

Quel genre d’élève étiez-vous ?

 
J’étais plutôt une bonne élève, mais je travaillais surtout les matières que j’aimais : les lettres, les langues, le latin. J’ai passé un bac littéraire. À l’époque, il n’y avait pas d’obligation d’être bon partout, ni cette sélection par les maths. On pouvait encore se permettre de délaisser un peu les maths ou la physique, sans penser que notre vie allait forcément basculer dans le chômage. Mon frère, lui, de deux ans plus jeune, a vécu cette pression : il n’a pas choisi n’importe quelle université, il s’est inscrit à Dauphine.

Comment avez-vous choisi votre orientation après le bac ?

 
Vraiment par hasard. J’étais l’élève typique à qui l’on demande le dimanche, lors des repas de famille, ce qu’elle va faire plus tard. Et là, c’était le blanc total ! Comme j’étais littéraire, mes parents m’ont conseillé de m’inscrire en hypokhâgne. Je me suis laissé faire avec plaisir car cela correspondait aux matières qui m’intéressaient. J’ai donc quitté ma famille pour aller à Paris dans une filière que je ne connaissais pas vraiment. De fait, c’était un bon conseil.

Qu’est-ce qui vous a plu en classe prépa ?

 
Ces études représentaient ce que j’aimais au lycée, en mieux ! Il y a des cours entiers dont je me rappelle par cœur, notamment sur Madame Bovary ou sur Heidegger. J’ai même conservé mes cahiers. C’était extraordinaire ! J’ai effectué l’hypokhâgne à Balzac et la khâgne à Fénelon. Mais, à la fin des deux années, s’est posée la question : que faire ensuite ? On m’a conseillé de passer les concours pour devenir prof, mais pour moi c’était l’horreur. Là, s’est ouvert un gouffre sous mes pieds. Mon père m’a même proposé de refaire une khâgne mais il n’en était pas question.

Qu’avez-vous décidé finalement ?

 
Je me suis inscrite en fac à Nanterre [92] pour obtenir une licence de lettres. C’était une année en apesanteur. Je ne savais plus où j’étais : j’appréciais mes études, mais j’avais l’impression qu’elles ne déboucheraient sur rien. Alors, j’ai regardé ce que je pouvais faire avec une licence de lettres et je me suis inscrite partout : Sciences po, HEC… et, dans le lot, il y avait le CFJ (Centre de formation des journalistes). Je commençais à avoir peur : il y avait cette pression montante sur l’emploi. Alors que les débouchés après HEC demeuraient assez flous, le CFJ avait l’avantage de mener à un métier précis. Je n’avais pas envie d’études trop longues et les deux années constituaient une bonne durée. On finissait par un stage de trois mois qui, généralement, aboutissait à un emploi. Je me suis inscrite aux différents concours et celui du CFJ était le premier dans le calendrier. Je l’ai obtenu du premier coup et je n’ai pas passé les autres.

J’ai lu que votre mère avait exercé comme journaliste en Belgique. A-t-elle joué un rôle dans votre choix professionnel ?

 
En fait, ma mère était cinéphile ce qui l’a conduite à écrire pour des journaux culturels en Belgique. Pour moi, elle ne faisait pas vraiment un travail de journaliste et mon métier est d’ailleurs l’inverse de celui de critique. Cela dit, j’adorais la bande dessinée et j’ai publié mes premières critiques à 13 ans, dans le journal où travaillait ma mère.

Et vos études au CFJ ?

 
C’était la fête ! On bossait comme des dingues, mais on s’amusait aussi beaucoup. Je me suis retrouvée avec d’autres jeunes qui avaient la même vocation et qui connaissaient toutes les ficelles pour sortir dans Paris. Je me suis installée en colocation avec des copains et on sortait beaucoup le soir. À la fin de la première année, j’ai été prise en section télévision, mais j’ai préféré suivre l’option secrétariat de rédaction (1). Mon objectif était d’assurer mes arrières et de trouver un travail. À la fin des deux années, j’ai été prise en stage, puis embauchée au Nouvel Économiste comme SR [secrétaire de rédaction].

Comment êtes-vous arrivée au quotidien “Libération” ?

 
C’est par le biais d’une élève du CFJ qui avait été embauchée comme SR et qui m’a signalé qu’ils recherchaient quelqu’un dans son service. Libération, c’était vraiment mon canard d’étudiante et j’étais ravie de pouvoir y mettre un pied. Et puis, au bout d’un certain temps, on m’a proposé de travailler comme reporter, d’abord pour une durée de trois mois, à l’essai. Et là, ce fut une découverte totale. Ma vie a vraiment changé et je n’ai plus voulu faire autre chose. C’est l’aventure de se laisser emmener par un sujet, sans savoir ce que l’on va trouver. Il faut tout le temps s’adapter, soit parce que le sujet prévu ne tient plus une fois sur place, soit parce qu’on se retrouve bloqué au Burundi à la suite d’un embargo. J’adore devoir composer avec le réel et le vivant. Le journalisme, c’est un peu l’école de l’imperfection, car on écrit souvent sur un événement en pleine évolution, dont on ne connaîtra peut-être jamais la fin.

Qu’est-ce que la découverte du grand reportage a changé ?

 
La grande maison dans laquelle on vivait comme en communauté a été liquidée… et j’ai pris un petit studio où j’ai vécu en apnée. Mon métier organise ma vie. Rien que l’idée de partir, de louer une voiture, comme dernièrement pour couvrir l’élection de l’avocat Gilbert Collard, dans le Gard, me rend dingue ! J’ai vite compris que pour pouvoir partir, il fallait être libre quand les autres étaient en vacances. Donc j’étais toujours disponible à Noël ou l’été.

À vous entendre, on imagine que vous seriez devenue journaliste même sans être passée par une école…

 
Ce n’est pas sûr. À l’époque, sans contacts dans une rédaction, ce milieu me paraissait très loin et je pense que le CFJ m’a ouvert des portes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : même en sortant d’une école spécialisée, un jeune peut galérer. Ce qui me frappe, c’est combien le journalisme, qui est censé être un milieu ouvert sur la société, se révèle fermé dans son fonctionnement.

Vous avez été détenue en otage en Irak en 2005 durant plusieurs mois. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

 
Je connaissais les risques, car deux personnes avaient été enlevées avant que je sois prise en otage. C’est un peu comme les accidents de voiture : on sait que c’est une éventualité, même si l’on ne pense pas que cela va nous arriver. Avoir intégré cette notion de risque m’a beaucoup aidée. Je savais pourquoi j’étais partie et pourquoi j’allais peut-être mourir. Je n’ai jamais regretté d’avoir pris ce billet d’avion.
 

(1) NDLR : le secrétaire de rédaction (appelé “SR”) est chargé de la relecture, de la correction, de l’adaptation du texte à la maquette et supervise la cohérence générale de la publication (rédaction et homogénéisation des titres, légendes…).


Biographie express
1961
: naissance le 6 février à Bruxelles.
1979 : obtient son bac latin-langues à Bruxelles.
1984 : jeune diplômée du CFJ, à Paris, elle est embauchée au Nouvel Économiste.
1986 : entre au quotidien Libération comme secrétaire de rédaction, avant d’y travailler comme reporter.
2005 : est enlevée à Bagdad (Irak) et retenue en otage pendant plusieurs mois.
2006 : quitte Libération et rejoint le Nouvel Observateur.
2009 : est élue présidente de l’OIP (Observatoire international des prisons).
2010 : publie le Quai de Ouistreham (Éditions de l’Olivier) où elle raconte sa recherche d’emploi et son expérience du travail précaire dans la région de Caen.
2012 : rejoint la rédaction du quotidien le Monde où elle lance, avec Serge Michel, le Monde Académie, un concours destiné à des jeunes voulant devenir journalistes.
 


Et si c’était à refaire ?

 
Florence Aubenas a passé le T.O.P (Test Orientation & Potentiel). Son profil reflète-il le parcours de cette SR devenue grand reporter ?

Son bilan T.O.P

Un profil "Social" tendance "Artiste Investigateur", complété par certaines dimensions des pôles "Réaliste" et “Entreprenant” : voilà ce qui ressort de l’étude des pôles de compétences de Florence Aubenas.

Pôle "Social" : aider les autres, transmettre, avoir le sens du relationnel sont quelques-uns des mots-clés du pôle "Social". Celui-ci correspond souvent à des personnes qui aiment se sentir utiles et qui aspirent à un métier tourné vers les autres ou en lien avec la société, la planète…

Pôle "Artiste" : imagination, curiosité, créativité, intuition, passion sont les mots-clés de la sphère de compétences liée à ce pôle. Celui-ci caractérise des personnes qui suivent leurs émotions et leurs intuitions. Elles ressentent, en général, la nécessité de nouveauté, de variété et peuvent avoir peur de la routine. Elles aiment se démarquer et ont souvent besoin de liberté.

Pôle "Investigateur" : apprendre, réfléchir, chercher, comprendre sont les mots-clés de ce pôle. Ce dernier correspond à des personnes qui aiment rechercher des informations afin de mieux comprendre leur environnement. Elles éprouvent le besoin d’étudier et de se former.

Son profil, son métier…

Apprendre, chercher, transmettre, tout en étant portée par une grande curiosité, un besoin de se sentir utile et un goût pour le terrain et les défis : voilà ce qui pourrait résumer le profil de Florence Aubenas. En analysant dans le détail son bilan, qui s’exprime par les profils SAI, SIA et IAS, il n’est pas étonnant que le pôle "Social" ait pris le dessus chez la journaliste, très tournée vers les autres. C’est, en effet, le besoin d’utilité sociale et la volonté de transmettre qui ressortent chez elle : en témoigne son travail d’enquête dans le Quai de Ouistreham, paru en 2010, où elle s’est mise dans la peau d’une travailleuse précaire…

Le pôle "Artiste" correspond, chez Florence Aubenas, à un côté passionné, à une grande sensibilité, à la curiosité et au besoin de liberté. Une curiosité renforcée par le pôle "Investigateur", qui indique qu’elle aime apprendre, enquêter, chercher et comprendre…

Contact humain, utilité sociale, intuition, compréhension, sens critique sont les termes qui définissent Florence Aubenas. On remarque aussi un goût pour les challenges, avec le pôle "Entreprenant". Ce qui se traduit dans la pratique derrière le pôle "Réaliste" : en lien avec son métier de grand reporter et son attirance pour le voyage.
 
Les secteurs et les métiers que peuvent viser ceux qui ont le profil SAI/SIA/IAS…

Profil SAI
• Bibliothécaire
• Conservateur(trice) de bibliothèque
• Éducateur(trice) de jeunes enfants
• Orthophoniste

Profil  SIA
• Concepteur(rice) rédacteur(rice) de pub
• Conseillère conjugale
• Professeur d’art (arts plastiques, musique, danse…)
• Professeur de lettres
• Voyagiste

Profil IAS
• Archéologue
• Historien(ne)
• Journaliste
 

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