Les 20 ans de Thomas Pesquet : "Je n’aurais jamais cru être choisi pour aller dans l’espace"
Passionné par l’astronomie, Thomas Pesquet a construit son parcours d’études sur une idée simple : ne jamais avoir de regrets. Sportif accompli et polyglotte (il parle six langues), il a d’abord suivi des études d’ingénieurs en aéronautique, avant de se former au métier de pilote de ligne pour Air France.
Beaucoup d’enfants rêvent de devenir spationautes. Était-ce votre cas ?
Oui, ça l’était. Mais j’étais convaincu que ce rêve était impossible à réaliser. Alors je préférais penser qu’un jour je serais pilote. C’est le deuxième plus beau métier du monde, pour moi. Ce qui m’attirait dans ces métiers : l’aspect non routinier du travail. Autant vous dire qu’aujourd’hui je suis servi !
Chez vous, quelle était l’ambiance autour des études ? Avec un père professeur de maths et une mère institutrice, on vous imagine dans un environnement plutôt studieux…
Mes parents voulaient que mon frère et moi fassions de bonnes études. Ils se sont beaucoup occupés de nous et nous ont accompagnés dans tous nos projets. Il y avait entre nous une sorte de contrat moral : les résultats scolaires étaient bons, alors les règles n’étaient pas trop strictes. Mais nous savions qu’au moindre faux pas ils interviendraient ! Je me souviens que, tous les soirs, ils nous lisaient des bandes dessinées. Aujourd’hui, je prends conscience de tout le travail que cela leur demandait… Je leur suis très reconnaissant. Car, sans que nous nous en rendions compte, ils ont fait grandir chez nous le désir d’apprendre. Dans un parcours comme le mien, c’est un point primordial.
Y a-t-il des enseignants qui ont particulièrement compté pour vous durant vos années lycée ?
Je garde en mémoire deux professeurs extraordinaires. Le premier, enseignant d’anglais, m’a donné le goût des langues étrangères [Thomas Pesquet parle aujourd’hui six langues étrangères, NDLR]. Je ne sais pas comment il a fait, mais ses cours étaient vraiment passionnants. Je me souviens aussi d’un prof de maths. Il était très strict et nous disait régulièrement : "L’important, ce n’est pas le résultat, mais tout le raisonnement qui y mène." J’ai toujours gardé cette phrase en tête.
Au lycée, vous étiez un bon élève. Après l’obtention de votre baccalauréat scientifique, vous vous orientez vers les classes préparatoires scientifiques. Pour quelles raisons avez-vous choisi cette filière, souvent redoutée des lycéens ?
Cette orientation me paraissait tout à fait logique et naturelle pour atteindre mon objectif : devenir pilote. De plus, mon grand frère – aujourd’hui enseignant – venait tout juste de terminer ses deux années de prépa. Tout s’était bien passé pour lui, j’étais donc rassuré et confiant. Tout s’est bien passé pour moi aussi, même si je dois bien reconnaître que je n’en garde pas un excellent souvenir ! Pendant deux ans, j’ai énormément travaillé. Mais grâce à la rigueur exigée par ce cursus, j’ai pu prendre conscience de mes capacités. En quittant le lycée, je n’avais aucune idée de mes aptitudes au travail.
Vous entrez ensuite à Supaéro [devenue depuis l’ISAE-Supaéro], une école d’ingénieurs toulousaine spécialisée en aéronautique. Comment se sont passées ces trois années d’études ?
En plus des connaissances et des compétences techniques que j’ai pu acquérir, j’ai découvert qu’il y avait bien plus que les études qui pouvaient enrichir un parcours. J’ai fait beaucoup de musique. J’ai pratiqué la plongée, un peu de randonnée en montagne, du sport collectif… Quand je me suis présenté à la sélection de l’Agence spatiale européenne, je me suis rendu compte qu’à chaque question je faisais une croix dans la bonne case grâce à tout ce que j’avais fait au cours de cette période…
“En école d’ingénieurs, j’ai découvert qu’il y avait bien plus que les études qui pouvaient enrichir un parcours”
Vous avez réalisé votre dernière année de formation d’ingénieur à l’École polytechnique de Montréal, au Canada. Ce choix a-t-il été facile ?
J’ai bien failli renoncer ! À l’époque, je menais de front de nombreuses activités, avec une merveilleuse bande d’amis. Nous avions un groupe de musique qui tournait bien, un appartement sympa… J’avais peur de renoncer à tout cela. Partir est un petit sacrifice qui, au final, apporte énormément. L’expatriation pousse à quitter sa zone de confort. La première fois est difficile. Ensuite, on n’a plus jamais peur de sauter le pas !
En 2001, vous obtenez votre diplôme d’ingénieur et décrochez votre premier poste à Madrid, en Espagne, en qualité d’ingénieur spatial. À ce moment-là, gardez-vous dans un coin de votre tête la possibilité de devenir spationaute ?
Pas du tout. Les dernières sélections dataient de 1992, et rien n’était annoncé. Je n’avais pas envie de vivre pour un poste hypothétique, alors j’ai dessiné mon parcours au gré des opportunités et de mes propres envies. En 2002, j’ai rejoint le CNES [Centre national d’études spatiales] puis, en 2004, Air France, pour suivre durant deux ans une formation de pilote de ligne. À chaque changement, je m’entendais dire : "Pourquoi quittes-tu un boulot stable pour un projet incertain ?" Je refuse de voir mes choix dictés par la peur de ce que je pourrais perdre. Je préfère réfléchir à tout ce que j’ai à gagner…
En 2008, l’Agence spatiale européenne lance un appel à candidatures pour recruter six spationautes. Avez-vous hésité avant de déposer votre dossier ?
À cette époque, j’étais pilote de ligne chez Air France… Et très content de mon poste ! Mais je trouvais dommage de ne pas tenter ma chance. Soyons honnêtes : si on m’avait demandé de miser de l’argent sur moi, je ne l’aurais pas fait ! Il y avait parmi les 8 000 candidats des personnes au parcours impressionnant. Mais je voulais essayer, pour ne pas avoir de regrets. Échouer ? Ce n’est pas grave ! Après tout, j’ai essayé de faire plein de choses pour lesquelles je me suis avéré assez mauvais. Comme le surf, par exemple ! Et alors ? Il ne faut pas se censurer. La sélection a duré plusieurs mois, avec plusieurs étapes successives : plus le temps passait, plus le nombre de candidats se réduisait. Lors du dernier entretien, je dois bien reconnaître que je n’étais pas fier. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que cette "histoire" allait peut-être marcher !
Quand on sait que les sélections de spationautes se déroulent environ tous les quinze ans, en Europe, on ne peut s’empêcher de penser que le hasard fait bien les choses.
Le hasard, ou la chance, joue un rôle pour tout le monde, c’est certain. Dans mon cas, c’est évident. Il faut accepter que, dans une vie, une part non négligeable des orientations prises soit due au hasard. Mais cela ne signifie pas qu’il faut baisser les bras et se laisser aller. Oui, il y a du hasard. Mais il y a mille manières de construire son orientation, sa carrière. Ce qui est plutôt rassurant !
Deux années en classes préparatoires, trois ans en école d’ingénieurs, deux ans de formation chez Air France… Aujourd’hui, continuez-vous d’apprendre ?
C’est en effet une particularité du métier de spationaute. L’apprentissage est permanent et j’ai l’immense chance d’aimer cela. J’ai toujours été porté par l’envie d’avancer, de ne pas faire les mêmes choses tous les jours pendant vingt ans.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui se posent des questions sur leur orientation ?
Le premier point, très pragmatique, est de ne pas négliger les langues. Que vous vous destiniez aux métiers de pâtissier ou d’ingénieur, ce sera toujours pour vous un grand avantage. Ensuite, il ne faut pas avoir peur de faire des choix. Les chemins ne sont jamais linéaires et une expérience vécue comme mauvaise sera toujours enrichissante. C’est facile à dire mais, finalement, le pire choix est de ne pas en faire !
Biographie express
1978 : naissance à Rouen (76).
1996 : bac scientifique. Il s’inscrit en classe préparatoire.
2001 : obtient son diplôme d’ingénieur aéronautique, à Supaéro (devenue ISAE-Supaéro), à Toulouse (31).
2002 : après une première expérience professionnelle, il intègre le CNES (Centre national d’études spatiales), où il occupe la fonction d’ingénieur de recherche.
2004 : il rejoint le programme de formation au pilotage organisé par Air France.
2006 : il devient pilote d’A320 pour la compagnie aérienne française.
2008 : l’ESA (Agence spatiale européenne) lance un appel à candidature pour recruter six spationautes. À l’issue d’un an de sélection, il est retenu parmi plus de 8.000 candidats venus de toute l’Europe.
2016 : en novembre, il décollera de la base de Baïkonour pour réaliser sa première mission dans l’espace. Il passera six mois à bord de la Station spatiale internationale.