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Décryptage

Les bonnes notes ne font pas forcément le bonheur

Par Isabelle Maradan, publié le 21 septembre 2010
1 min

Des résultats en baisse suffisent souvent à inquiéter les parents. A contrario, être bon élève est perçu comme un signe de bien-être. Pourtant, les meilleurs n’échappent pas aux difficultés. En cause, parfois, une trop grande pression familiale et scolaire sur les résultats. Une pression qui peut aussi mener au décrochage.

“Je ne valais pas ça”. Cette phrase, Jean-François Rémy, CPE (conseiller principal d’éducation) au lycée Charlemagne, à Paris, l’a entendue plus d’une fois. Dans ce lycée réputé situé au cœur de la capitale, les élèves considèrent souvent les notes comme un “indicateur de ce qu’ils valent en tant qu’être humain”, déplore le CPE. Et l’arrivée en classe de seconde les met généralement à rude épreuve, “quand le 15-16 de moyenne devient un 10…” Au lycée Charlemagne, “la pression sur les bons parmi les bons est très forte. Il faut tout d’un coup fournir un travail individuel beaucoup plus important qu’au collège et trouver de nouvelles méthodes de travail pour réussir rapidement”, poursuit-il.

Être le plus mauvais si on ne peut être le meilleur


Conséquence : les premières semaines sont difficiles et donnent parfois aux nouveaux arrivants le sentiment désagréable qu’ils ont été surnotés au collège. Si la plupart des élèves qui ont de grandes facilités s’en sortent, une minorité prend cette régression de plein fouet. “Certains se disent que s’ils ne peuvent pas être les meilleurs, ils vont être les ‘pires’. Et ils commencent à faire n’importe quoi”, observe le CPE. N’importe quoi, ce sont des absences répétées, une attitude de retrait en classe, un refus de travailler, voire une phobie scolaire qui les empêche parfois de franchir la porte de l’établissement.

David : 2 ans d’avance en seconde, avant qu’il ne décroche


David, 22 ans aujourd’hui, est passé de la précocité au décrochage. Scolarisé au collège privé Gerson, dans le XVIe arrondissement de Paris, pour faire ses 4 années de collège en 3, il a commencé à “laisser le rebelle brimé s’exprimer” en troisième. “Scolairement, j’avais 2 ans d’avance, des facilités, des 18, 19 et 20 dans les matières scientifiques. Mais je me sentais en décalage socialement avec mes camarades, et ce n’était pas évident de m’intégrer, notamment à cause de ma couleur de peau”, analyse le jeune homme. Catalogué insolent, rétif à l’autorité, il commence à faire “des petites conneries” et change d’établissement en cours d’année. Après une fin de troisième au collège public de son quartier, David entre en seconde à 13 ans “avec l’idée de redoubler pour ce que soit plus facile l’année suivante”. “C’est le début de l’époque lascar à deux balles”, résume-t-il. Il fume du cannabis, entre en rébellion contre ses enseignants “parce que cela me dérangeait qu’on soit au-dessus de moi”, sèche les cours et décroche.

Pression familiale autour de la série S


Pour d’autres, la souffrance n’est ni exprimée clairement ni verbalisée. Et le CPE du lycée Charlemagne reconnaît qu’il est un peu démuni pour la repérer, surtout lorsque les élèves concernés ont de bonnes notes. Démuni, il l’est aussi parfois face aux parents. Jean-François Rémy se souvient d’une jeune fille qui traînait sa tristesse dans les couloirs du lycée avant d’oser lui demander de convaincre son père de la laisser aller en L plutôt qu’en S. “Je vous interdis d’évoquer à nouveau cette possibilité”, a été la réponse sans appel formulée par le père. Pour le CPE, “la pression familiale inspirée par la hiérarchisation des séries est très forte. Peu importe si l’enfant souffre le martyre, il doit aller en S et décrocher une place dans une bonne prépa ou en filière sélective pour avoir un bon diplôme”. Depuis quelques années, le CPE assiste à une “multiplication des cours particuliers”. “Certains en ont tous les jours. Cela parasite le travail fait en classe et crée encore une charge de travail supplémentaire”, déplore-t-il.

Tout le monde n’a pas la bosse des maths

Selon Philippe Jeammet, professeur émérite en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et président de l’École des parents et des éducateurs d’Île-de-France, l’orientation devrait prendre en compte que la différence n’implique pas de hiérarchie. “Il faut diversifier les réussites de l’enfant. Tout le monde n’est pas fort en maths, tout le monde n’a pas les mêmes moyens, mais tout le monde peut apprendre et acquérir des compétences, condition de l’épanouissement, explique-t-il. On peut très bien réussir dans une filière qui offre moins de choix que la filière scientifique. Et il faut se départir de l’idée qu’une réussite professionnelle se joue uniquement sur les 3 ans du lycée.”

“Tant que j’avais de bonnes notes, mes parents me laissaient faire ce que je voulais”


L’angoisse de l’avenir. Le souci de la réussite. Autant de raisons pour que les relations parents-enfants se crispent sur les résultats scolaires, quel que soit le niveau de l’élève. “Il n’est pas rare qu’un parent dise à son ado qu’il n’aura pas son portable s’il n’atteint pas 14 de moyenne”, témoigne Xavier Pommereau, psychiatre et responsable du Pôle aquitain de l’adolescence au CHU (centre hospitalier universitaire) de Bordeaux (33).
Pour Emma, la récompense, c’était les sorties le week-end dès la quatrième. “J’avais vraiment l’impression que tant que j’avais de bonnes notes, mes parents me laissaient faire ce que je voulais”, témoigne la jeune femme aujourd’hui âgée de 27 ans. Très bonne élève, elle réussit au collège à allier excellence scolaire, sorties et “quelques pétards”. Mais passée à 10 par jour, elle voit ses résultats baisser. Elle est alors en seconde. Un signal d’alarme pour ses parents, qui cherchent une explication et trouvent un sachet d’herbe. “Je me souviens de mon père en train de m’engueuler pendant 20 minutes parce qu’il avait trouvé l’herbe dans ma chambre. Il croyait que je dealais ! À partir de là, ils se sont inquiétés et ne m’ont plus lâchée… Je me suis reprise en main”, raconte la jeune femme, qui a eu son bac avec mention et continué ses études jusqu’à bac + 5.

Les limites de la carotte et du bâton

Comme Emma, une partie non négligeable de ceux qui rapportent de bonnes notes bénéficient d’une très grande permissivité parentale. “Et comme la grosse pression sur leur devenir scolaire les angoisse, quand ils sortent de l’école ils ont besoin de s’en libérer en créant une véritable rupture avec la réalité le week-end, constate Xavier Pommereau. Cela passe notamment par une alcoolisation abusive, qui concerne aujourd’hui aussi bien les filles que les garçons et s’observe de plus en plus jeune.”
Le psychiatre préconise autre chose qu’une éducation centrée autour des résultats scolaires sur le mode de la carotte et du bâton. Selon lui, le goût de l’effort ne peut s’imposer par la contrainte. “Ce goût se transmet par l’exemple et ne s’applique pas au seul travail rentable, explique le spécialiste de l’adolescence. Il peut tout à fait se transmettre par le biais de leurs engagements extérieurs, dans une chorale, dans un club sportif, dans des actions humanitaires, caritatives…” Des espaces sans notes, mais pas sans valeurs. Un bon moyen de montrer aux adolescents que leur valeur ne se mesure pas à un chiffre ou deux, posé au stylo rouge en haut d’une copie. 

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