"J'ai appris comment fonctionne un monde en train de mourir" : en affaires internationales, étudiants et jeunes diplômés angoissés pour leur avenir

Les bouleversements internationaux qui ont suivi le retour de Donald Trump à la Maison Blanche ont un impact direct sur l'insertion professionnelle des étudiants. En diplomatie et affaires internationales, les opportunités de postes se tarissent dans les ONG et instances internationales.
Ses responsables venaient tout juste de lui annoncer la validation de sa période d'essai quand il a appris la nouvelle. "Le lundi de la semaine suivante, on m'a expliqué qu'en raison de coupes financières, mon poste était annulé", se rappelle Martin*, qui devait entamer son premier CDD d'un an dans une ONG spécialisée dans la sécurité et la sûreté des humanitaires, avant que celle-ci ne soit amputée de près de 40% de son budget, il y a quelques semaines.
Le jeune homme de 25 ans, diplômé de Sciences po Toulouse en 2024, pâtit de la décision du nouveau président américain Donald Trump de réduire de 92% les financements de programmes à l’étranger par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid), rappelait Le Monde en février dernier. Cela comprend de nombreux projets menés par les ONG, un peu partout dans le monde.
Des premières expériences annulées
"Je suivais de près la situation, je voyais les impacts potentiels sur le secteur, mais finalement tout s'est passé très vite", affirme Martin. L'ancien étudiant venait de trouver un logement à La Haye, aux Pays-Bas, quand il a dû faire marche arrière, après seulement un mois. "Je commençais à peine à m'habituer à vivre dans un nouveau pays", déplore-t-il.
Du côté de Swann, l'annonce a été d'autant plus brutale. "Je pensais avoir un rendez-vous classique avec mon N+2, mais quand j'ai rejoint l'appel, il était accompagné d'une directrice exécutive : j'ai compris tout de suite", raconte la jeune femme, qui avait commencé un contrat au sein d'une ONG américaine basée en Côte d'Ivoire, avant d'être licenciée, fin février.
En raison de ces coupes, les jeunes actifs sont souvent les premières victimes des licenciements. "On m'a expliqué que c'était plus logique de me virer moi, plutôt que des salariés plus anciens", assure Swann. Même constat du côté de Martin, qui était le dernier arrivé dans son ONG.
Un gel des embauches dans les ONG et instances internationales
Outre les licenciements, les jeunes diplômés doivent faire face à un gel des embauches dans les instances internationales et ONG, qui complique leur arrivée sur le marché du travail.
Actuellement en stage de six mois dans une antenne des Nations Unies, à l'étranger, Pierre*, étudiant récemment diplômé de Sciences po Paris en politiques publiques, est directement confronté à l'impact des coupures budgétaires sur les postes et le mouvement de "panique" qui anime le secteur. "Lors de réunions inter-agences, on nous a dit que tout était gelé pour les prochains mois", assure-t-il. "Des stages ont aussi été refusés à des étudiants pour le gouvernement américain, ou dans les ambassades", complète Anaïs, étudiante en master de diplomatie à Sciences po Paris.
Revoir son projet professionnel
Ce contexte s'ajoute à un climat déjà compliqué dans le secteur. "Avoir du réseau ne garantit même pas de trouver un emploi derrière : les gens ont beau parler de toi, la réponse reste la même : il n'y a pas d'argent pour recruter", déplore Martin, qui entend chercher un nouveau travail du côté du secteur social français, dans des assos d'aide aux réfugiés ou personnes à la rue.
Face à ce manque d'opportunités, de nombreux étudiants en fin de cursus décident de revoir leurs plans. "Au début, la question de la sécurité n'était pas une option pour moi, mais au fil des rencontres, on nous a fait comprendre que les besoins en défense étaient de plus en plus importants. J'y pense de plus en plus", raconte Lisa*, étudiante en M2 de sécurité internationale à Sciences po Paris.
La jeune femme de 21 ans est en pleine recherche de stage : "C'est difficile, on voit que la publication des offres est un peu au ralenti", observe-t-elle. Lisa tempère : "Tous les ans, il y a une difficulté à trouver dans notre domaine, en comparaison à des étudiants en droit, qui trouvent plus facilement". Sur le site PASS , qui regroupe les offres de stage et d'apprentissage proposées par les différents ministères, seules cinq offres sont disponibles en diplomatie et relations internationales pour un niveau bac+5, contre 43 en droit, affaires juridiques, fiscalité et notariat.
Se tourner vers le privé est également envisagé par des étudiants dont le projet était plutôt de travailler dans l'humanitaire. "Il arrive que certaines entreprises veuillent financer des projets environnementaux, par exemple : s'il y a des projets concrets sur le terrain, cela pourrait m'intéresser", pointe Swann.
Une remise en question de "ce qu'on a appris"
De nombreux étudiants et jeunes diplômés se disent aussi anxieux face au climat ambiant, et pas uniquement vis-à-vis des "perspectives d'emploi" qui "semblent compromises". Les bouleversements géopolitiques récents, initiés par Donald Trump, ainsi que les conflits en cours à travers le monde, traduisent également une évolution des pratiques en matière de diplomatie. "J'ai l'impression que j'ai appris comment fonctionne un monde qui est en train de mourir", regrette Pierre.
Le jeune homme de 24 ans affirme ressentir un sentiment de perte de sens, quand il compare les situations qu'il doit analyser sur le terrain avec les codes du droit international qu'il a appris en cours. "Il y a un décalage énorme avec les décisions des États, ces derniers temps", admet-il. "Certaines règles ne sont parfois pas respectées". De son côté, Tristan préfère voir ces évolutions comme "quelque chose de formateur" : "Il faut guetter tout ce qui se passe, remettre dans le contexte géopolitique mondial".
"La question du sens et de l'engagement"
Mais pour Pierre - comme pour plusieurs autres étudiants interrogés -, ces bouleversements peuvent impliquer une remise en question plus profonde. "Dans ce type d'études, on n'échappe jamais à la question du sens et de l'engagement." L'étudiant, qui souhaiterait à terme travailler pour le ministère des Affaires étrangères français, a même échangé avec un psychologue au sujet de son engagement et de sa vocation. "Aujourd'hui, je veux toujours faire ce métier, mais pour d'autres raisons", affirme-t-il.
Si de nombreux étudiants s'orientent vers des études de diplomatie ou de relations internationales, c'est souvent avec le rêve plus ou moins conscient "d'établir la paix dans le monde", admet Lisa, de son côté. Un espoir tenace, pourtant mis à rude épreuve par un monde qui s’embrase : "C'est vraiment difficile : on se pose tous mille questions".
*Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé(e)