Vous avez créé le portail APB au début des années 2000. Il sera remplacé en janvier 2018 par Parcoursup. Quelles qualités reconnaissez-vous à cette nouvelle plate-forme ?
J’en vois deux. La qualité essentielle de Parcoursup est le projet de loi qui l’accompagne, avec l’accent mis sur l’orientation. C’est une bonne idée de mobiliser 3.000 jeunes en service civique, de dédoubler les professeurs principaux en terminale… La question des moyens se pose tout de même.
Par ailleurs, le rôle des conseillers d’orientation-psychologues n’est guère mis en avant. Les enseignants du secondaire connaissent-ils suffisamment les formations du supérieur pour repérer chez leurs élèves les compétences nécessaires ? Heureusement, ils pourront consulter les prérequis pour chaque filière.
L’autre amélioration indéniable est l’obligation, pour les universités, de classer les candidats à une licence. Cela évitera le recours au tirage au sort lorsqu’il y a une capacité d’accueil limitée. Il était primordial d’y mettre fin, conformément à la demande de la CNIL.
Quel est le principal point faible de Parcoursup ?
La réduction du nombre de vœux maximum de 24 à 10 est catastrophique. Je ne comprends pas du tout cette décision. Elle s’appuie sans doute sur le fait que les candidats en faisaient en moyenne sept sur APB. Or, une moyenne, cela ne veut rien dire ! Certains candidats ne faisaient qu’un vœu, tandis que 20 % d'entre eux en ajoutaient plus de 10 à leur liste. Un candidat sur cinq risque d’être pénalisé. Cela signifie qu’ils pratiqueront davantage l’autocensure. Ils ne rêveront plus et n'oseront plus, ils ne mettront que des formations qu’ils estiment accessibles. A contrario, certains élèves ne choisiront que des formations sélectives, très demandées.
Selon mon estimation, avec cette réduction du nombre de vœux, ce sont plus de 7.000 candidats supplémentaires qui n’auront aucune proposition d’admission par rapport à la session 2017 d’APB. Ceux qui se retrouvent dans ce cas sont toujours ceux ayant fait le moins de vœux. En la matière, l’on sait que ce sont les milieux les moins favorisés socialement qui seront les plus pénalisés.
Les lycéens pratiqueront davantage l’autocensure. Ils ne rêveront plus et n'oseront plus.
Quels autres changements vous inquiètent ?
Une autre erreur monumentale est la suppression de la hiérarchisation des vœux des candidats, donc la disparition de l’algorithme d’affectation. Les chercheurs auditionnés par l’OPECST (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) ont pourtant alerté sur ce point. Le processus d’affectation au fil de l’eau, tel qu’il est prévu dans Parcoursup, sera terriblement long. Je ne vois pas en quoi il sera moins stressant qu’APB pour les candidats et leurs familles.
C’est inquiétant aussi pour les établissements, qui n’auront pas une bonne visibilité sur le remplissage de leurs formations. Ils devront patienter avant de voir leurs effectifs stabilisés. En effet, les candidats auront sept jours pour répondre à une proposition d’admission. Selon mon expérience, la plupart laisseront passer trois ou quatre jours avant de répondre. Sans oublier les candidats qui répondent par un "oui définitif" avant de changer d'avis…
Sous APB, la hiérarchisation des vœux nous permettait de faire, une semaine avant l’affichage des propositions aux candidats, une simulation du remplissage des formations. Les établissements pouvaient ainsi anticiper. Pour l’an prochain, certains s’interrogent sur le surbooking : les places seront libérées selon un processus beaucoup plus lent et avec beaucoup moins de visibilité.
La ministre Frédérique Vidal a laissé entendre que l’on pourrait peut-être finalement réintroduire une hiérarchisation des vœux, pendant la phase de réponse des candidats...
Mais cela n’est pas encore très clair : si l'on demande aux candidats de classer leurs vœux en attente, à quel moment cela se fera-t-il ? En fin de procédure ? Après les résultats du baccalauréat ? Après les premières réponses aux candidats ?
Comment les universités feront-elles pour gérer toutes les candidatures en licence ?
Prenons l'exemple d'une université parisienne recevant 11.000 dossiers pour la licence de Staps, pour 250 places. S’il y a 8.000 candidats dont le dossier correspond aux "attendus", 250 auront un "oui" et 7.750 seront "en attente". Les 3.000 autres candidats auront soit un "oui si", soit seront également en attente. Dans cet exemple concret, il faudra classer les 11.000 dossiers, et je fais confiance à mes collègues universitaires pour y parvenir.
Apparemment, il pourra advenir qu’un candidat devant suivre un parcours renforcé ["oui si"] soit appelé en même temps que des candidats répondant aux attendus ["oui"] en raison des quotas de candidats hors académie d’une part, et de boursiers d’autre part, fixés par le rectorat pour chaque licence.
Que pensez-vous du fait qu’il y ait un cadrage national des "attendus" en licence, avec possibilité d’ajouter des spécificités locales ?
Cela me paraît justifié : derrière les licences, il y a des parcours, qui peuvent être très différents d’une université à l’autre. Donc les profils requis peuvent varier.
Le calendrier des réponses aux candidats a été avancé à fin mai, au lieu du 8 juin 2018. Qu’en pensez-vous ?
Je ne comprends pas ce choix. Le rapport du recteur Daniel Filâtre, remis en octobre 2017 au ministère, indiquait pourtant que donner les propositions d’admission avant les épreuves du baccalauréat était source de stress.
De même, lors de la concertation de cet été, le groupe de travail de Bénédicte Durand [doyenne du Collège universitaire de Sciences po et rapporteure du groupe de travail sur l’accès au premier cycle] a recommandé de laisser les candidats passer le bac tranquillement. C’était le cas sur APB jusqu’en 2014, avant que le ministère demande à avancer le calendrier au 8 juin, ce qui était trop tôt, selon moi. Même si, en réalité, 98 % des terminales S, ES et L avaient une proposition d’admission à cette date – 60 % obtenaient même leur premier vœu.
Ce n’est pas un humain qui répondra à chacun des vœux des candidats !
La CNIL souhaitait qu’une part d’humain soit ajoutée à APB. Le fait que le recteur soit identifié comme responsable de l’affectation vous semble-t-il une bonne chose ?
Cela a toujours été le cas : les SAIO (services académiques d’information et d’orientation) répondaient aux questions que les candidats envoyaient via le formulaire de contact d’Admission postbac et cherchaient des solutions pour les candidats sans proposition.
Ce que reprochait la CNIL à APB, c’est le fait que la machine classait les candidats en licence de façon automatique, sans intervention humaine, avec tirage au sort. Ce n’est pas un humain qui répondra à chacun des vœux des candidats ! Cédric Villani, député [LREM de l'Essonne] et vice-président de l’OPECST, s’est d’ailleurs exprimé en ce sens sur ce point.
Le projet de loi indique que tous les établissements publics devront passer par Parcoursup au plus tard au 1er janvier 2020. Or, certains, comme Sciences po ou Paris-Dauphine, y étaient réticents. Attendront-ils le dernier moment ?
Lors de la dernière session d’APB, en 2017, certaines formations étaient prêtes à y entrer très vite. La loi va les y pousser. La question est de savoir si les établissements privés homologués suivront…
Quel serait, selon vous, le système idéal ?
Il faudrait que les candidats, en terminale ou en réorientation, aient la possibilité d'émettre plus de vœux, et qu’ils les classent par ordre de préférence. Les réponses aux candidats devraient être données après les épreuves du bac. Je serais favorable à leur donner la possibilité de modifier l’ordre de leurs vœux, après communication de leur position pour chaque formation demandée et du nombre de candidats acceptés l’année précédente. Ils pourraient réajuster leur classement en tenant compte de ces informations.
Quant à la sélection à l’entrée de l’université, je suis clairement pour ! Cela me paraît normal de ne pas envoyer les jeunes à l’échec, ce qui est le cas de 60 % d’entre eux en licence. Les titulaires de bacs professionnels ne sont que 5 % à réussir. Et combien abandonnent dès le mois d’octobre ? Outre la perte de temps et le découragement de ces jeunes, cela a des conséquences sur les finances publiques, à raison de 10.000 euros par an et par étudiant…
Jusqu’ici, aucun gouvernement n’avait eu le courage de mettre en place une forme de sélection à l’entrée de la licence. Celui-ci le fait sans le dire. Cependant, la sélection est différente de celle des autres filières : aucun candidat ne pourra être refusé.