Les universités françaises manquent-elles d'autonomie ? Oui, si l'on en croit la dernière étude de l'EUA (Association des universités européennes), selon laquelle la France reste à la traîne par rapport aux autres pays européens. Oui, si l'on en croit aussi la CPU (Conférence des présidents d'université) qui plaide pour toujours plus d'autonomie pour ses membres, mais aussi pour elle. Non, en revanche... pour une majorité des 1.540 répondants du baromètre EducPros 2017.
Seuls 16 % d'entre eux sont favorables au renforcement de l'autonomie des établissements quand 26 % souhaiteraient la réduire. Surtout, 43 % voudraient "transformer" cette autonomie, c'est-à-dire en changer les modalités. Au final, plus des trois quarts des répondants rejettent le statu quo, preuve que la situation actuelle n'est pas satisfaisante à leurs yeux.
l'ambiguïté du terme "autonomie"
"Les universitaires ne sont pas des conservateurs, réagit Hervé Christofol, secrétaire général du Snesup. IIs sont pour une amélioration de la situation, or ils constatent que les inégalités se creusent entre universités, que la collégialité régresse et que la communauté se paupérise. Derrière cette envie de changement, il y a des revendications qui portent, sans aucun doute, sur l'obtention de moyens supplémentaires."
Pour Franck Loureiro, secrétaire général du Sgen-CFDT, la volonté de "transformer" l'autonomie des universités est également "le symptôme du manque de moyens et de dialogue social". "Les personnels ne se sentent pas écoutés. L'autonomie aujourd'hui, c'est souvent celle d'une équipe de direction qui fait ce qu'elle veut sans dialogue social. Pourtant, souligne le secrétaire général, l'autonomie a permis de mettre en place de meilleures politiques en matière d'enseignement et de recherche. Elle a aussi obligé les universités à avoir une stratégie plus rigoureuse en matière d'ouverture et de fermeture des formations, et à mieux prendre en compte les besoins locaux."
L'autonomie des universités vis-à-vis de l'État a certes augmenté mais, à l'intérieur, il n'y a absolument pas plus d'autonomie qu'auparavant pour les individus.
(S. Leymarie)
Pour Stéphane Leymarie, secrétaire national de Sup'Recherche Unsa, les résultats du baromètre témoignent aussi et surtout de l'ambiguïté, souvent soulignée, du terme "autonomie". "C'est un paradoxe que les personnels vivent au quotidien : l'autonomie des universités vis-à-vis de l'État a certes augmenté mais, à l'intérieur, il n'y a absolument pas plus d'autonomie qu'auparavant pour les individus. Bien au contraire. Un mode de gestion extrêmement bureaucratique s'est mis en place, sans pour autant renforcer les fonctions support", dénonce-t-il. Le commentaire libre d'un des répondants ne dit pas autre chose : "Manque croissant d'autonomie des enseignants-chercheurs. Nous subissons l'alourdissement des procédures."
L'autonomie, un marqueur fort du clivage droite-gauche
Malgré le flou existant autour du terme, l'autonomie des universités reste néanmoins un marqueur fort du clivage droite-gauche au sein de la communauté des personnels. Le baromètre montre en effet une grande cohérence entre les intentions de vote des répondants et les programmes des candidats sur ce sujet. 45 % des répondants ayant annoncé leur intention de voter Jean-Luc Mélenchon veulent ainsi réduire l'autonomie des universités quand ils ne sont que 5 % parmi les soutiens de François Fillon, 11 % parmi les universitaires favorables à Emmanuel Macron et 31 % dans les soutiens de Benoît Hamon.
Des chiffres qui doivent toutefois être nuancés par le fait que la grande gagnante des élections présidentielles, à en croire les résultats du baromètre, reste... l'indécision. Au moment de la clôture du baromètre, le 8 mars 2017, 44 % des répondants ne savaient pas pour qui ils allaient voter au premier tour.
l'autonomie associée à la baisse des moyens
Le baromètre met en évidence un autre clivage, lié cette fois-ci au statut des personnels. Les vacataires, Ater et doctorants sont les plus favorables à une réduction de l'autonomie des établissements (35 %), suivis par les titulaires de la fonction publique (26 %), puis par les contractuels (13 %). "Une interprétation possible est que les Ater et les doctorants sont les plus inquiets pour l'avenir et jugent l'autonomie responsable de la diminution, réelle, du nombre de postes", estime Romain Pierronnet, doctorant en sciences de gestion. Cette association d'idées constitue, selon lui, "un raccourci", même si, dans un contexte budgétaire contraint, "il est vrai que l'autonomie est souvent associée à la baisse des moyens".
Rendre les universités autonomes ne signifie pas que l'État s'efface, puisque ce dernier cherche désormais à orienter leurs stratégies par des mécanismes comme les appels à projets.
(R. Pierronnet)
Ce raisonnement ne surprend pas Hervé Christofol. "L'autonomie, telle qu'elle a été mise en place en 2007, avec la LRU, a consisté à transférer la gestion de l'austérité aux universités." D'après des simulations budgétaires du Snesup, le budget de la Mires (Mission interministérielle Recherche et Enseignement supérieur) en euros constants est resté stable entre 2009 et 2017, alors que les universités ont accueilli sur cette même période 200.000 étudiants de plus. Les seuls moyens supplémentaires sont venus des 850 millions d'euros des PIA (Programmes d'investissements d'avenir). D'où le commentaire de cet enseignant-chercheur de Normandie : "L'autonomie des universités fait passer la gestion et l'administration avant la qualité de l'enseignement."
La participation ou non à un PIA permet enfin de voir une légère tendance se dessiner. Ceux qui participent à un programme labellisé sont un peu plus favorables que les autres à un renforcement de l'autonomie (21 % contre 15 %). "Un résultat amusant, pour Romain Pierronnet, les PIA étant des outils de l'État stratège. Mais, poursuit le doctorant, rendre les universités autonomes ne signifie pas que l'État s'efface, puisque ce dernier cherche désormais à orienter leurs stratégies par des mécanismes comme les appels à projets."
Entre le 1er février et le 8 mars 2017, 1.540 personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche ont répondu à un questionnaire en ligne, qui comprenait une vingtaine de questions sur leur moral, leurs conditions de travail et leurs aspirations pour le prochain quinquennat.
Il a été réalisé avec la collaboration de Romain Pierronnet, chercheur en gestion des ressources humaines, et de François Sarfati, chercheur au Centre d'études de l'emploi.
Sur le baromètre EducPros 2017 :
– L'université à la recherche du temps perdu
– Présidentielle : l'université se rêve sélective mais accessible
– Ils veulent quitter l'enseignement supérieur... souvent à contrecœur
– Baromètre EducPros 2017 : quel est le profil des répondants ?
– Baromètre EducPros 2017 : tous les résultats en images
Sur l'édition précédente :
Baromètre EducPros 2016. À l'université, le malaise devient politique