"Trois campus, un diplôme". Les slogans retentissent dans le bâtiment dédié à l'administration du campus de CentraleSupélec, à Châtenay-Malabry. À l'intérieur se tient le conseil d'administration du 16 mars 2017, comme l'indique un écriteau. À l'extérieur, des manifestants – enseignants, personnels et étudiants – avec pancartes, mégaphones et sirènes.
Depuis lundi 14 mars, l'ambiance est électrique à CentraleSupélec. Un préavis de grève a été déposé pour la semaine, reconductible. Avec pour point d'orgue une manifestation à Châtenay-Malabry, jeudi 16 mars, à l'occasion du conseil d'administration.
200 manifestants devant l'école
Près de 200 personnes ont manifesté, dès 8 heures du matin dans la cour de l'école et devant le CA. Certains viennent des campus de Rennes et de Metz. "Je suis professeur à Supélec depuis 1983 et je n'ai jamais vu ça, je suis impressionné", commente Henri Delebecque. C'est aussi la première fois qu'il fait grève et manifeste. À côté de lui, un personnel acquiesce : "Nous aussi. Cela montre notre fatigue et l'accumulation de tensions au sein de l'établissement."
Si cette manifestation est aussi suivie, c'est qu'elle regroupe trois revendications différentes : un mécontentement contre une réduction du nombre de congés des personnels techniques et administratifs, une inquiétude face au déménagement du campus de Châtenay-Malabry sur le plateau de Saclay et enfin une hostilité à l'encontre du projet de nouveau cursus ingénieur. Les deux écoles (Centrale Paris et Supélec avec ses trois campus de Gif-sur-Yvette, Rennes et Metz) ont fusionné au 1er janvier 2015, mais conservent leurs cursus jusqu'à la rentrée 2018.
Au-delà de ces questions de cursus, nos personnels ont toujours la crainte que CentraleSupélec souhaite se séparer de Metz et Rennes, ce qui n'est pas du tout le cas.
(H. Biausser)
Création d'un cursus "ingénieur tech" très discuté
C'est la construction de cette nouvelle maquette pédagogique commune qui cristallise le plus de résistances, avec la création d'une seconde formation d'ingénieurs, dite "cursus tech ou expert", à côté du cycle ingénieur généraliste en préparation depuis la fusion. "L'annonce en décembre 2016 de la mise en place de ce cursus 'expert', avec un niveau de recrutement abaissé, déployé uniquement sur Rennes et Metz et baptisé initialement 'Supélec', témoignent d'un déficit avéré de volonté d'intégrer les Supélec au projet et de préserver la réputation de leur diplôme", estime notamment l'association des diplômés, Les Supélec, dans une lettre adressée au CA le 13 mars.
Les manifestants jugent donc que la création de ces deux cursus, le généraliste pour le campus de Gif, le "tech" pour ceux de Rennes et de Metz, créerait une "école à deux vitesses", comme le souligne Hervé Frezza-Buet, délégué CGT et enseignant-chercheur au campus de Metz. "Le recrutement serait différent, le cursus généraliste recruterait les meilleurs étudiants, via les prépas les mieux cotées, tandis que l''expert' le ferait sur les prépas PT, en étant ouvert à l'apprentissage. Ce n'était pas du tout le projet initial, qui consistait à déployer un seul et même cursus sur trois campus", relève le syndicaliste.
Une inquiétude omniprésente dans la cour : "Nous jouons l'avenir de notre école. Je suis persuadé que la stratégie des deux diplômes est néfaste pour le futur. Cela fait trente-cinq ans que je travaille à Supélec, c'est la première fois que je vois une telle exaspération", soupire Bernard Jouga, directeur de la recherche du campus de Rennes. D'autant que les incertitudes sont nombreuses au sein du personnel quant à la préparation suffisante du dossier d'habilitation qui devra être rendu à la Commission des titres d'ingénieurs en juin 2017.
La stratégie des deux diplômes est néfaste pour le futur.
(B. Jouga)
Des "maladresses", selon hervé biausser
C'est pourquoi les représentants des personnels au CA avaient demandé d'inscrire la question de la nouvelle maquette pédagogique à l'ordre du jour du CA du 16 mars. "Le président du conseil a refusé de voter sur notre motion", préviennent des syndicalistes un peu plus d'une heure après le début de la réunion. Les manifestants montent alors en trombe dans la salle du CA, qui s'interrompt. "Le conseil d'administration, comme prévu, se prononcera mi-juin sur le sujet du cursus ingénieur. Quant au dossier du cursus tech, il est pour le moment suspendu", explique de son côté Estelle Iacona, directrice générale adjointe de CentraleSupélec.
Interrogé par EducPros à l'issue du conseil d'administration, Hervé Biausser, directeur général de CentraleSupélec, met en avant des "problèmes de communication" et reconnaît "des maladresses" à cause du "calendrier serré". Il annonce que le cursus tech "ne sera pas terminé pour 2018 et ne figurera pas dans le dossier rendu à la CTI en juin". Seul contenu dans ce dossier : le cursus généraliste CentraleSupélec, qui débutera à la rentrée 2018. "Les études auront lieu sur les trois campus, avec une première année à Gif et les deux suivantes selon la spécialisation des étudiants. C'était déjà le cas à Supélec auparavant", soutient le directeur.
"Au-delà de ces questions de cursus, nos personnels ont toujours la crainte que CentraleSupélec souhaite se séparer de Metz et Rennes, ce qui n'est pas du tout le cas. Nous avons lancé plusieurs projets sur ces campus et nous continuerons de le faire", assure Hervé Biausser.
Quelques heures plus tard, une rencontre entre direction et personnels était organisée dans un amphi du campus. La discussion est loin d'être terminée.