Certains voient en lui l'enseignement du futur. L'adaptive learning, qui consiste à proposer un enseignement personnalisé, adapté aux besoins de chacun, tant en termes de contenu qu'au niveau du rythme d'apprentissage, connaît actuellement un véritable essor aux États-Unis. En quelques années, la start-up Knewton s'est imposée comme leader dans ce domaine, aux confluents des sciences cognitives, de la psychologie, des sciences de l'éducation et de l'intelligence artificielle.
En France, Domoscio s'est lancée sur le double créneau de l'apprentissage adaptatif et de l'ancrage mémoriel®, via la mise au point de deux algorithmes qui peuvent fonctionner ensemble ou séparément.
Le premier permet de sélectionner des contenus en fonction du niveau de connaissance de l'utilisateur, évalué à partir d'un test initial de positionnement. Le second algorithme s'attache à mesurer la vitesse d'oubli, sur la base d'études statistiques : en fonction des réponses données, le logiciel détecte si l'utilisateur est en train d'oublier une notion ou de l'ancrer véritablement dans sa mémoire.
Domoscio en test à Paris-Descartes
Parmi les premiers clients de la start-up EdTech : l'université Paris-Descartes. Celle-ci a expérimenté le dispositif dans le cadre des cours de français de son diplôme d'université Paréo (Passeport pour réussir et s'orienter), qui compte une cinquantaine de participants. Ouverte fin 2015, cette formation s'adresse à des bacheliers désireux de se remettre à niveau tout en mûrissant leur projet universitaire.
"Nous cherchions des outils pour accompagner les étudiants, les attirer sur la plate-forme Moodle et travailler sur des ressources, explique Marion Petipré, coordinatrice pédagogique du DU. Car on parle beaucoup des digital natives pour qui les outils numériques seraient comme une extension d'eux-mêmes, mais ce qui est vrai pour leurs loisirs ne l'est pas nécessairement pour leurs études", souligne celle qui est également chargée de mission auprès du président pour la réussite à l'université.
L'expérimentation est menée en partenariat avec les éditions Didier qui fournissent des exercices sur des problèmes de syntaxe et de grammaire de niveau collège ou lycée. "Des points qui devraient être acquis par les bacheliers, mais qui ne le sont pas. Ne pas le reconnaître est se voiler la face", lance Marion Petipré.
Avant de proposer un contenu aux étudiants, il faut le rendre compatible avec le logiciel : cela impose - dans le jargon du e-learning - de le "granulariser", c'est-à-dire de le décomposer en de nombreux items que l'on peut ensuite recombiner de multiples manières. Des "packages" ont ainsi pu être déposés sur la plate-forme Moodle, autour de notions comme le COD, les participes passés, la distinction entre "est" et "et"…
"Domoscio organise les révisions de l'étudiant, un peu comme le ferait un prof particulier" (Marion Petipré)
Un logiciel qui coache les étudiants
L'utilisation de Domoscio a été combinée avec un atelier d'écriture. "Le présentiel reste important, indique Marion Petipré, car le numérique permet de corriger des erreurs dans un contexte d'exercice, mais les étudiants n'appliquent souvent pas ce qu'ils ont appris dans leurs propres productions". Concrètement, l'enseignant repère les points faibles des étudiants qu'il oriente ensuite vers tel ou tel package d'exercices.
Après un premier test de positionnement, l'étudiant reçoit tout au long du semestre des e-mails qui l'invitent à se connecter à Moodle. Des séries d'exercices lui sont alors proposées en fonction de ses besoins, à des dates calculées selon sa vitesse de mémorisation et d'acquisition des connaissances. "L'intérêt est de pouvoir lancer plusieurs packages en parallèle, souligne Marion Petipré. Domoscio organise alors les révisions de l'étudiant, un peu comme le ferait un prof particulier." Ce que ne permet pas, par exemple, le projet Voltaire, qui reste ponctuel et ne possède pas cette dimension automatique.
"Domoscio optimise le parcours d'apprentissage, ajoute Ivan Ostrowicz, co-fondateur de la start-up : l'objectif est que l'étudiant révise le moins de fois possible et y passe le moins de temps, tout en étant prêt à une date donnée."
Anonymisées, les données sont agrégées dans des tableaux de bords qui permettent un suivi très fin de l'apprenant et du contenu : les enseignants peuvent notamment repérer des abandons ou évaluer la pertinence de telle ou telle question, et donc améliorer les contenus au fur et à mesure de leur utilisation.
Objectif : un chiffre d'affaires de 300.000 euros
Pour Marion Petipré, il est pour l'instant difficile de dresser un bilan : "Cette première année d'expérimentation a vraiment été une phase de test, en raison notamment des fortes contraintes techniques et informatiques de la plate-forme Moodle. Nous n'avons pas atteint la quintessence de l'outil, estime-t-elle, mais celui-ci semble pertinent pour les étudiants qui ont besoin d'être stimulés, tutorés." Le projet va donc se poursuivre l'année prochaine à Descartes au niveau du DU, et sera peut-être étendu à des cours de L1.
Domoscio reste discret sur ses tarifs, expliquant simplement que ceux-ci sont calculés en fonction du nombre de relances par étudiant et par mois. Et peuvent être dégressifs si les volumes sont importants. "Leur politique tarifaire n'est pas agressive, avance Marion Petipré. En regroupant les cours intéressés, on serait peut-être autour de 30 ou 50 cents par étudiant par mois." Et de souligner l'implication de la start-up qui "n'a pas lésiné sur son temps pour adapter son plug-in à Moodle".
Outre Paris-Descartes, Domoscio travaille sur un projet de plate-forme d'orientation avec l'université Paris-Est, pour faciliter la transition L-1/L+1. "Le système public est difficile d'accès, mais il y a des choses à faire", estime Benoît Praly, co-fondateur de la start-up.
Au-delà de l'éducation et l'enseignement supérieur, Domoscio compte aujourd'hui une dizaine de clients. "L'objectif est d'atteindre l'équilibre fin 2016 en réalisant un chiffre d'affaires de 300.000 €. Nous sommes confiants", sourit Ivan Ostrowicz, qui dit avoir des demandes de démonstrations "au moins une fois par jour".
"Une communauté est en train de se créer autour de la boîte, renchérit son associé. Aux États-Unis, Knewton a levé 155 millions d'euros, nous en sommes évidemment loin, mais nous commençons à gagner des prospects face à eux."
Domoscio : du B to C au B to B
L'idée, au départ, émane d'un élève ingénieur de l'Ensimag, Benoît Praly qui cumule un esprit entrepreneurial et une sensibilisation aux questions de pédagogie du fait de sa mère enseignante, mais aussi d'une cousine diagnostiquée dyslexique. "J'ai toujours entendu dire 'revois ta leçon le soir'. À 20 ans, je me suis demandé si cela fonctionnait vraiment, et plus largement, je m'interrogeais sur la manière d'automatiser des méthodes d'apprentissage."
De dix ans son aîné, Ivan Ostrowicz, un ancien consultant en système d'information et conduite du changement, s'associe au projet. Ensemble, ils créent Domoscio (la "maison de la connaissance" en esperanto) et lancent fin 2013 le site lamachineareviser.com, focalisée sur les révisions du bac. Le pilote atteint 4.000 utilisateurs en deux mois. À l'été 2014, un prix de l'Open Education Challenge, initiative soutenue par la Commission européenne, leur permet de suivre un parcours d'incubation accéléré de douze semaines dans différentes capitales européennes, auquel s'ajoute une enveloppe de 20.000 € et un prêt d'honneur de 45.000 € que la start-up est en train de rembourser.
Elle pivote alors pour passer en B to B. Quatre cibles sont identifiées : les centres de formation, les plates-formes LMS (Learning Management System) dédiées au e-learning, les entreprises et les éditeurs de contenu scolaire.
En 2014, Domoscio remporte un appel à projets e-Education 3 du ministère de l'Éducation nationale, avec les éditions Hatier, Gutenberg Technology, des chercheurs de l'Institut Mines-Télécom et la chaire Unesco Innovation Transmission Edition Numériques de l'université Paris 8. Baptisé "ma classe 3.0", le projet reçoit "une subvention de 130.000 € pour apporter notre technologie à des élèves de CM1", se réjouit Ivan Ostrowicz. Alors que l'équipe met actuellement la dernière main au pilote : "Depuis fin 2015, nous sommes devenus les concurrents directs de Knewton, sourit le cofondateur. Ce qui ne nous empêche pas d'échanger avec eux, c'est une concurrence à l'américaine !"