"Si j'avais su que le parcours serait aussi dur, j'aurais peut-être choisi un autre pays pour mes années de thèse." Le pays dont parle Samy est la France. Le parcours de cet étudiant algérien en thèse d'informatique à Paris-Sud, qui souhaite témoigner anonymement, a bien failli tourner court.
C'est en juillet 2012 que les ennuis commencent, alors que la circulaire Guéant qui restreignait la possibilité pour les étudiants étrangers diplômés de rester travailler en France est abrogée depuis plusieurs semaines. Samy est sur le point de terminer sa thèse, et son profil intéresse déjà une entreprise. Il signe un contrat et se tourne vers la préfecture pour renouveler son titre de séjour.
À partir de ce moment, "personne ne m'a plus donné la même information !", se souvient Samy, qui suit des consignes erronées. Résultat : faute d'autorisation, Samy ne peut pas travailler. Il commence finalement son nouvel emploi avec quarante jours de retard. Si Samy, aujourd'hui salarié d'une SS2I, est tombé au mauvais moment, qu'en est-il aujourd'hui ?
Selon les chiffres de l'Unesco, la France reste le troisième pays d'accueil des étudiants internationaux en 2012, avec 271.000 étudiants reçus, et 62.200 titres de séjour délivrés aux étudiants. Ainsi, "si la circulaire Guéant n'a pas eu d'effet numérique, elle a eu un effet psychologique dévastateur", estime Antoine Grassin, directeur général de Campus France. Depuis son abrogation, plusieurs mesures facilitent la vie des étudiants étrangers, comme le renouvellement du titre de séjour de ceux qui deviennent salariés prévu par le décret du 18 août 2014.
DES RELATIONS INCHANGéES AVEC LES PRéFECTURES
Pourtant, "la machine administrative mise en place sous Sarkozy a peu évolué", assure William Martinet, président de l'Unef. S'il concède des avancées, notamment pour le changement de statut d'étudiant à salarié, il dénonce "un système où c'est l'avis des préfectures qui est toujours pris en compte pour la délivrance du titre" à un étudiant étranger même si une université l'a accepté.
Autre point d'achoppement : les guichets uniques d'accueil des étudiants étrangers, et les antennes décentralisées de la préfecture sur les campus, qui ne sont pas encore présents sur tous les campus. Campus France n'en dénombre que 25.
"Sans ces antennes, les heures d'attente à la préfecture vont continuer à décourager les étudiants étrangers. Il faut être combatif pour passer tous les obstacles du logement, de l'inscription, du visa, assure William Martinet. Il y a un mouvement, une volonté politique mais elle est insuffisante. Si j'étais à la place d'un étudiant étranger, je me dirais que les discours politiques sont bien jolis, mais que concrètement mes relations avec la préfecture n'ont pas changé. Arrêtons de considérer le futur étudiant comme un potentiel fraudeur!"
La machine administrative mise en place sous Sarkozy a peu évolué.
(W. Martinet)
Nadia Cordero, doctorante mexicaine en anthropologie à Paris-Diderot, et membre de la CJC (Confédération des jeunes chercheurs), partage ce constat. "Certaines préfectures n'appliquent pas le décret du 18 août 2014." Par exemple, en novembre 2014, une préfecture a refusé de renouveler les titres de séjour de tous les jeunes chercheurs algériens, précise la jeune femme.
"Si je suis optimiste, je dirai que c'est une question de temps pour que toutes les préfectures appliquent les règles, si je suis pessimiste, j'imagine qu'elles ne veulent tout simplement pas appliquer la loi", avance Nadia Cordero.
Antoine Grassin reconnaît que les démarches ne sont pas les mêmes dans toutes les préfectures. Pour remédier à ce phénomène, le ministère de l'Intérieur prévoit d'organiser des formations aux nouvelles règles au sein des préfectures et sous-préfectures auxquelles Campus France s'associera notamment sur le volet interculturel.
LE TITRE PLURIANNUEL TOUJOURS EN SUSPENS
Des préfectures décriées mais qui réservent aussi parfois de très bonnes surprises. Quand la jeune chercheuse en anthropologie fait sa demande de visa pour sa thèse en avril 2012, c'est le titre pluriannuel adapté à la durée de ses études qui lui est délivré. Une bonne nouvelle pour la doctorante qui se souvient "ne plus avoir mis les pieds à la préfecture pendant deux ans".
La délivrance du titre pluriannuel est pourtant loin d'être généralisée. Promis en 2013 par Geneviève Fioraso et Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, ce titre doit éviter aux étudiants étrangers de renouveler chaque année leur titre de séjour. Si une circulaire incite depuis juin 2013 les préfectures à en faciliter la délivrance, ce titre ne concerne que les étudiants en niveaux master et doctorat.
Les chiffres sont encore faibles, car la mise en place [des titres de séjour pluriannuels] est récente.
(A. Grassin)
En 2013, sur plus de 62.000 titres de séjour délivrés, près de 14.000 étaient pluriannuels, essentiellement en renouvellement, contre environ 5.700 en 2012, assure le ministère de l'Intérieur, qui dit ne pas encore disposer des données 2014.
"Les chiffres sont encore faibles, car la mise en place est récente, justifie Antoine Grassin, mais les choses ont bien avancé." Il rappelle que ces chiffres sont à rapporter au nombre de titres de séjour délivrés chaque année, "bien inférieur au nombre d'étudiants étrangers présents sur le territoire". Mais, "encore une fois, la délivrance de ce titre est au bon vouloir de la préfecture, regrette de son côté William Martinet. Et comme toutes n'appliquent pas les mêmes règles...".
Cette mesure phare est intégrée dans le cadre plus large du projet de loi relatif aux droits des étrangers du ministère de l'Intérieur. On y on assure que le titre pluriannuel deviendra "la règle quand le projet de loi sera adopté". Pas sûr toutefois que les étudiants de la prochaine rentrée soient concernés : après maints reports, l'examen du texte doit théoriquement commencer au printemps 2015.
Pour les jeunes chercheurs
− Le titre de séjour "scientifique-chercheur" est désormais prolongé à la suite d'une privation involontaire d'emploi, telle que la fin d'un CDD.
− Les étudiants "scientifiques-chercheurs" doivent encore passer la visite médicale à l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration). Le projet de loi relatif aux droits des étrangers propose la suppression de cette étape mais rien n'est acté dans la mesure où il s'agit encore d'un projet de loi.
Pour les étudiants de master
– À la suite de l'obtention du diplôme, l'étudiant étranger peut procéder à tout moment (quatre mois avant expiration auparavant) à une demande d'autorisation provisoire de séjour pour travailler, celle-ci étant valable douze mois, au lieu de six auparavant. La lettre de présentation du projet détaillant notamment les perspectives de retour dans le pays d'origine n'est plus demandée dans le cadre de la demande d'APS.