En flamand, il existe un terme spécifique pour désigner les chambres d'étudiant : les "kots". À l'origine, le mot signifie placard à balai. Pourtant, les espaces que l'UCL (université catholique de Louvain) loue aux étudiants sont loin d'être minuscules : les appartements rassemblent une dizaine de chambres individuelles de 12 à 16 m2 chacune, plus des espaces communs d'environ 55 m2. Le tout formant un "plateau communautaire", qui coûte à chacun environ 300 € par mois.
Parmi ces colocations, certaines rassemblent des étudiants mobilisés autour d'un projet commun. Depuis sa création, l'université soutient ces "kots-à-projet" ou "kaps", dans lesquelles elle voit un élément clé d'une vie de campus dynamique.
Empreintes de légèreté ou témoignant d'un engagement plus profond, les thématiques explorées par les étudiants sont extrêmement diverses, de la dégustation de bière (Brassikot) à la prévention des maladies sexuellement transmissibles (Kap-Hot), en passant par la défense de la culture belge (Kot Verdom), l'aide aux personnes âgées (Kap Seniors) ou encore la promotion des sciences et le soutien en maths (Kotangente)…"Ça part dans tous les sens, c'est merveilleux !" sourit Didier Lambert, vice-recteur aux affaires étudiantes de l'UCL.
Des étudiants de l'université de Louvain engagés dans le Kot Verdom pour défendre la culture belge. // © Sophie Blitman - mars 2015
Des associations au cœur de l'identité de l'UCL
Au total, 800 étudiants sont investis dans quelque 80 kaps. Certains existent depuis l'origine, tandis que d'autres ont été créés beaucoup plus récemment. Si l'université intervenait au départ dans le choix des projets, elle se contente désormais tout au plus de "souffler des idées", comme le dit Didier Lambert.
Année après année, les étudiants se chargent eux-mêmes de constituer des équipes lors de "soupers de recrutement" ou lors de la "foire des kaps". Organisée au printemps, celle-ci est aussi l'occasion de présenter les activités de chacun, et de contribuer à l'animation de la ville de Louvain-la-Neuve : la Grand-Place se transforme alors en lieu festif où l'on peut jouer au beach volley et déguster des spécialités locales.
800 étudiants sont investis dans les 80 "kaps", qui sont véritablement partie prenante de l'identité de l'UCL.
Un engagement évalué par la fac mais qui reste bénévole
Bénéficiant d'une totale autonomie dans les activités organisées, les kaps font l'objet d'une évaluation annuelle devant une commission paritaire : celle-ci, composée de personnels et d'étudiants, examine les actions menées, en portant un regard particulièrement attentif aux comptes de ces associations à but non lucratif. Si la plupart des kots ont des budgets assez restreints, certains disposent parfois de sommes considérables, à l'instar du Kot Emploi, l'un des plus anciens de l'UCL.
Lancé il y a près d'un demi-siècle, ce kaps dédie désormais 100.000 € par an à des actions visant à faciliter l'insertion professionnelle des étudiants ingénieurs civils. Au fil des mois, les douze étudiants de l'association – huit qui "kotent" dans l'appartement dédié, plus quatre autres qui "kotent ailleurs", explique le président Jonas Féron – organisent des entraînements aux entretiens d'embauche, des conférences et des visites d'entreprise mais surtout les "journées de l'industrie", vaste forum emploi d'une durée de trois jours. Des activités chronophages auxquelles les étudiants consacrent une grande partie de leurs soirées et week-ends, avec une réunion hebdomadaire le dimanche.
Les "kapistes" entendent bien mettre en avant un tel engagement sur leur CV. Cependant, en majorité, ils tiennent à en préserver la dimension bénévole, alors que l'université a envisagé un moment de reconnaître l'investissement en attribuant quelques crédits d'études aux étudiants.
Les arguments avancés ? "On s'engage parce qu'on en a vraiment envie, et on se sent plus libre de mener les actions que l'on veut, même si, et c'est normal, on a des comptes à rendre à la fin de l'année", insiste Marie-Laure, la présidente du Kap-Hot, qui, tout en organisant un souper aphrodisiaque, une conférence avec une sexologue et un festif "love pack day", achève son master 2 de droit à l'UCL.
Des étudiants engagés dans la colocation Kap-Hot, à l'université catholique de Louvain. // © Sophie Blitman - mars 2015
Un dispositif transposable en France ?
"Les étudiants font preuve d'une maturité assez impressionnante", s'enthousiasme Francis Marcoin, président de l'université d'Artois. Un constat partagé par les autres représentants des universités venus découvrir les kots-à-projets dans le cadre du voyage d'étude organisé par la CPU (Conférence des présidents d'université) et l'Afev (Association de la fondation étudiante pour la ville) en mars 2015.
La tentation de se lancer dans l'aventure des kots-à-projets est grande. Cependant, les différences de fonctionnement entre les systèmes universitaires belge et français rendent une transposition difficile, ne serait-ce que parce que l'UCL possède un important parc de logements qu'elle loue aux étudiants, et qu'elle a développé des partenariats avec 2.500 propriétaires particuliers. Pour gérer ce qui est véritablement considéré comme une mission de l'université, le service des logements compte 70 collaborateurs de l'université, auxquels s'ajoutent 75 contractuels, pour un budget de 19,5 millions d'euros en 2015.
"L'université de Louvain a tous les leviers en main alors qu'en France les acteurs intervenant sur les questions de logement sont divers, souligne Pierre Sineux, président de l'université de Caen Basse-Normandie, qui se dit néanmoins incité à "resserrer les liens avec le Crous". "Cet écosystème est lié à une culture que l'on ne construit pas en quelques mois, renchérit Francis Marcoin. Mais cela montre l'intérêt de développer une vie étudiante dynamique."
Le recteur de l'UCL, Vincent Blondel, replace aussi ce dispositif dans une problématique plus globale, en lien, notamment, avec le développement de l'enseignement en ligne : "Beaucoup plus que par le passé, les universités doivent se demander quelle plus-value les étudiants retirent du fait d'être présents sur le campus. Il faut repenser ce que nous avons à leur offrir, comme nous le faisons par exemple sur le plan pédagogique avec la classe inversée. En ce sens, la vie étudiante devient un enjeu stratégique."
Les universités doivent se demander quelle plus-value les étudiants retirent du fait d'être présents sur le campus. (V. Blondel)
Les colocations solidaires de l'Afev
Sans aller jusqu'à intégrer le logement dans les compétences des universités, des projets inspirés de Louvain-la-Neuve existent d'ores et déjà en France. Ils devraient être amenés à se développer, sous la houlette de l'Afev, qui a lancé en 2010 des "kolocations à projets solidaires", le jeu orthographique permettant de reprendre l'acronyme Kaps.
Les étudiants français sont réunis dans un même appartement autour d'un projet, comme en Belgique, à quelques différences près : moins nombreux, ils s'engagent en général par groupes de trois ou quatre dans des actions tournées vers la société civile. Les logements sont par ailleurs implantés dans des quartiers défavorisés avec l'objectif d'y ramener de la mixité sociale.
"Nous nous situons à proximité des campus et notre action se fait en partenariat avec l'université et le Crous, mais nous travaillons d'abord sur le lien avec les habitants", insiste Béatrice Mérigot, responsable nationale des Kaps de l'Afev.
Après des expérimentations à Toulouse, Poitiers et Grenoble, le dispositif a peu à peu essaimé. S'il rassemble 400 étudiants dans 17 villes en 2015, on compte surtout trois pôles importants : le quartier Mistral à Grenoble (60 étudiants), le Mirail à Toulouse (70) et Oullins à Lyon (90). Outre une montée en puissance sur certains sites, des ouvertures de kaps sont également prévues à la rentrée 2015 à Vaulx-en-Velin et dans le 13e arrondissement de la capitale. En 2016, un autre quartier parisien, celui de la Chapelle, sera concerné. L'objectif étant d'atteindre un millier d'étudiants en 2017. Un nouvel outil à disposition des universités pour booster la vie associative sur leurs campus ?
La création des kots-à-projet remonte à celle de l'université catholique de Louvain, en 1970 : la partie francophone s'installe à Louvain-la-Neuve et devient l'UCL, tandis que la partie néerlandophone, KUL (Katholieke Universiteit Leuven), elle, demeure à Louvain (Leuven) – les deux villes étant distantes d'une trentaine de kilomètres.
Après cette scission, l'UCL s'est attachée à "créer une dynamique, alors que la vie étudiante était très active à Leuven", raconte Didier Lambert, le vice-recteur aux affaires étudiantes de l'UCL. D'où l'idée de soutenir la mise en place de colocations étudiantes sur la base non pas d'affinités géographiques ou facultaires mais de projets qui participent à l'animation du campus, et plus largement de la ville qui s'est construite quasiment ex nihilo autour de l'université. Aujourd'hui, Louvain-la-Neuve accueille 20.000 étudiants, dont la moitié y vivent, et 12.000 habitants.
Sur letudiant.fr : Étudiants, et si votre engagement associatif passait par la coloc' ?